Intervention de Harlem Désir

Réunion du 16 juin 2015 à 14h30
Débat préalable à la réunion du conseil européen des 25 et 26 juin 2015

Harlem Désir :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de l’organisation de ce débat préalable.

L’ordre du jour du Conseil européen des 25 et 26 juin sera particulièrement dense. Outre des sujets programmés de longue date et tout à fait essentiels, comme la politique de sécurité et de défense commune ou l’approfondissement de l’Union économique et monétaire, seront abordées des questions liées à l’évolution de la situation en Europe qui nécessitent des débats et des décisions. Je pense en particulier à la crise des migrations en Méditerranée et aux demandes du Royaume-Uni.

Il s’agira du premier Conseil européen après les élections britanniques. Le Premier ministre du Royaume-Uni a indiqué qu’il présenterait à cette occasion les demandes spécifiques dont il souhaite l’examen en vue du référendum dans son pays. Le Conseil européen devra donc décider de la méthode selon laquelle celles-ci seront traitées.

Il est également possible, même si cela n’est pas inscrit à l’ordre du jour de ce Conseil européen, que la situation de la Grèce soit débattue, soit lors des sessions, soit en marge de ces dernières, compte tenu de l’évolution de la situation au sein de l’Eurogroupe. J’y reviendrai.

Je voudrais principalement centrer mon propos sur trois enjeux essentiels de l’ordre du jour : les questions migratoires, les questions de sécurité et de défense et les questions économiques.

L’Europe est confrontée à une crise d’une ampleur sans précédent sur les questions migratoires.

Au cours des derniers mois, le nombre d’arrivées de migrants en Europe s’est fortement accru, non seulement en Italie, mais aussi en Grèce et dans les Balkans. Cette situation est liée notamment aux guerres en Syrie, en Somalie, au Soudan, mais également à des dictatures, comme en Érythrée, et également à la pauvreté et au sous-développement dans de nombreux pays d’Afrique. À cela s’ajoute la situation d’un État failli, la Libye, devenue le lieu de tous les trafics, y compris le trafic d’êtres humains.

Les répercussions d’une telle situation se font ressentir dans toute l’Europe, y compris en France, et pas seulement dans les pays de premières arrivées. Face à l’urgence dramatique qui résulte des naufrages en Méditerranée, les chefs d’État et de gouvernement ont décidé, lors d’un Conseil européen extraordinaire le 23 avril dernier, de renforcer les moyens de surveillance des frontières extérieures dont dispose l’agence FRONTEX, ainsi que les opérations Triton et Poséidon, menées en Méditerranée pour sauver des vies humaines.

La France a rapidement répondu à cet appel en mettant des moyens navals et aériens supplémentaires à la disposition de FRONTEX. Toutefois, le Conseil européen a appelé à une réponse globale, qui porte sur la lutte contre les trafiquants, l’appui et la coopération avec les pays de transit et d’origine quand cela est possible, la solidarité et la responsabilité des États européens dans l’accueil des réfugiés et le traitement de l’immigration illégale.

À nos yeux, le respect de ces deux principes, responsabilité et solidarité, est essentiel.

La Commission a, depuis lors, formulé des propositions, dans le cadre de son agenda pour les migrations. Certes, ces propositions doivent être complétées et améliorées ; nous avons besoin d’un dispositif global, avec des dispositions étroitement interdépendantes.

Nous avons adopté avec l’Allemagne une position commune sur le mécanisme de répartition solidaire des personnes relevant d’une protection internationale, que l’on appelle parfois relocalisation. Cette position a été rappelée dans un communiqué conjoint de Bernard Cazeneuve et de son homologue Thomas de Maizière, le 1er juin dernier.

Nous sommes favorables à l’examen de la proposition de la Commission, mais nous souhaitons la renforcer et l’améliorer en la modifiant sur certains points.

Premièrement, le mécanisme de répartition solidaire, qui répond à une situation d’urgence, doit rester exceptionnel et temporaire. Nous ne souhaitons pas que les règles communes de Dublin concernant les conditions d’accueil des demandeurs d’asile en Europe soient remises en cause.

Deuxièmement, la relocalisation ne peut s’envisager qu’à condition que d’autres mesures destinées à encadrer l’afflux actuel de migrants soient également mises en place. Je pense en particulier, et c’est pour nous essentiel, à la création de zones d’attente ou d’accueil à la frontière, que la Commission a baptisées hotspots. Le dispositif doit permettre l’enregistrement de l’identité et de la situation des nouveaux arrivants, la prise d’empreintes digitales et l’identification rapide de ceux des migrants qui sont en « besoin manifeste de protection », à commencer par les Syriens et les Érythréens. Ils pourront être accueillis dans les différents États membres, conformément au mécanisme de répartition. Ces zones d’attente devront aussi permettre l’identification des personnes ne relevant pas de la protection internationale au sens du droit d’asile et devant faire l’objet d’un retour dans leur pays.

Les migrants n’appartenant à aucune de ces catégories verront leur situation traitée dans le cadre des procédures habituelles, notamment les procédures d’examen des demandes d’asile.

Pour mettre en place de telles zones d’attente, le soutien de l’Union européenne est indispensable ; on ne peut pas considérer que ces mesures sont à la charge de l’Italie ou de la Grèce seulement.

Soutien financier d’abord : la Commission a d’ores et déjà décidé une augmentation du budget de l’Union consacré à ces questions, et nous nous en félicitons.

Soutien juridique ensuite : il est essentiel que chaque État membre dispose des procédures pour organiser ces zones d’attente.

Soutien logistique enfin : il faut pleinement mobiliser FRONTEX, le bureau européen d’appui en matière d’asile, ou EASO, et Europol, dont les experts doivent être présents sur place.

Pour sa part, la France est prête à apporter un soutien plein et entier à l’Italie et à la Grèce, en mettant à disposition l’expertise nécessaire au fonctionnement de ces zones d’attente.

Troisièmement, l’effectivité d’une politique de retour est indispensable. Le commissaire Dimítris Avramópoulos a transmis des pistes intéressantes à cet égard.

C’est tout l’enjeu des accords de réadmission. Un dialogue politique à haut niveau en direction des principaux pays d’origine et de transit doit être engagé sans même attendre le sommet entre l’Union européenne et l’Afrique qui se tiendra sur ces sujets à Malte à l’automne prochain.

Le traitement de ces deux questions, mise en place des zones d’attente et effectivité d’un dispositif de retour à partir de celles-ci, devrait permettre l’adoption rapide d’un dispositif d’ensemble cohérent sur la base des propositions de la Commission.

Cela étant, il nous faudra également discuter des critères de répartition proposés par la Commission. En effet, la France souhaite que les efforts d’accueil antérieurs des demandeurs d’asile soient mieux pris en compte.

Vous le savez, à l’heure actuelle, cinq pays accueillent près de 75 % des demandeurs d’asile. Il faut donc que la solidarité s’exerce entre États membres dans ce domaine et que ce critère soit mieux pondéré dans la répartition proposée.

Le dispositif doit être complété par les autres volets de l’action européenne, en particulier la lutte contre le trafic de migrants, avec l’opération EUNAVFOR Med, pour laquelle nous demandons un mandat du Conseil de sécurité des Nations unies, afin de pouvoir intervenir en haute mer et, au besoin, dans les eaux territoriales libyennes.

En outre, et je l’ai indiqué, la coopération doit être renforcée avec les pays d’origine et, plus encore, avec les pays de transit. Le Niger exige une attention particulière. Ce pays est confronté à un afflux massif de migrants. Une grande partie des routes menant, plus au nord, en Libye passent par son territoire, en particulier par la ville d’Agadez. Le Niger a donc besoin d’un appui très fort de la part de l’Union européenne.

Le deuxième grand enjeu de ce Conseil européen est lié à l’emploi, à la croissance et à l’investissement.

Je me réjouis que nous ayons tenu l’objectif fixé par le Conseil européen quant au calendrier d’adoption du plan Juncker pour les investissements. Le règlement sur le Fonds européen pour les investissements stratégiques a bien été adopté. Il entrera en vigueur avant la fin du mois de juin. C’était l’objectif du Président de la République et du Conseil européen. Le plan d’investissement pourra donc entrer dans une phase opérationnelle dès le second semestre de cette année.

Sans attendre, la Banque européenne d’investissement, ou BEI, a retenu sur ses fonds propres plusieurs projets éligibles au plan Junker. Ce programme comprend en particulier deux projets français : un plan de 420 millions d’euros en faveur de l’innovation dans les PME et les ETI, conçu et proposé par Bpifrance, et un plan de rénovation énergétique de 40 000 logements, soutenu à hauteur de 400 millions d’euros.

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