Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis quelques mois, l’Europe découvre en Méditerranée une situation humanitaire tragique, qui a déjà causé des centaines de victimes.
Je dis : « découvre », mais je devrais plutôt dire : « feint de découvrir ». Depuis des années, ce sont des flots de migrants poussés par les désordres du monde qui arrivent, dans des conditions déplorables, sur les côtes de l’Union européenne.
Plus de 100 000 migrants et réfugiés seraient arrivés en Europe depuis le début de l’année 2015, via la Méditerranée. Cette situation soulève de nombreuses questions.
Tant que leur course désespérée finissait discrètement sur la petite île de Lampedusa, aujourd’hui à saturation, l’Union européenne se contentait de gérer a minima, laissant à l’Italie la plus grande partie de la charge du sauvetage, à travers l’opération Mare Nostrum.
Semblant prendre conscience des enjeux, et sous la pression de l’Italie, l’Union européenne a lancé l’opération Triton, pilotée par l’agence européenne FRONTEX.
Je relève d’emblée le manque d’ambition et de moyens de cette mission, censée être commune. Nous avons déjà évoqué dans cet hémicycle, lors des débats sur la proposition de résolution européenne relative à la lutte contre le terrorisme, les difficultés et l’insuffisance des moyens de ladite agence, dont le budget global correspond à celui de Mare Nostrum.
Dans le cadre de Triton, notre marine nationale, qui doit par ailleurs faire face à ses propres contraintes opérationnelles, maintient en permanence un patrouilleur de haute mer chargé du contrôle des frontières et du recueil de migrants, qui sont pour le moment dirigés vers des ports italiens.
Le premier navire français, qui a recueilli plusieurs centaines de naufragés au mois de mai dernier, a été relevé par l’aviso Commandant Ducuing. Preuve de la tension sur les matériels et de la multiplication des missions, ce navire est, dans le même temps, mobilisé par le plan de contrôle européen de la pêche au thon rouge en Méditerranée. Malgré le professionnalisme des personnels engagés, est-ce un gage d’efficacité d’avoir deux missions assurées par un seul navire ?
De plus, la France effectue les patrouilles de haute mer avec des bâtiments anciens, qui datent souvent de plus de trente ans. Par conséquent, la moindre avarie risque d’engendrer des « trous capacitaires », alors que la livraison de patrouilleurs hauturiers de dernière génération du programme de bâtiments de surveillance et d’intervention maritime, dit programme BATSIMAR, n’est pas attendue avant 2024. Je le rappelle, en plus des missions de souveraineté sur notre zone économique exclusive, la France participe avec ce type de navires aux opérations européennes de surveillance de l’immigration illicite et de lutte contre la piraterie, ainsi qu’à la lutte contre le terrorisme dans l’océan Indien.
Monsieur le secrétaire d’État, face à la multiplication des opérations, souvent décidées dans l’urgence même si elles sont justifiées, et au renouvellement lent des matériels, il existe bien un risque de remise en cause de notre capacité de participation à ces missions internationales. Dès lors, le Gouvernement compte-t-il avancer quelques acquisitions de navires ?
Comme pour le terrorisme, les solutions au trafic de migrants résident largement dans la coopération accrue entre les organisations Europol, FRONTEX et Eurojust. Encore faudra-t-il que celles-ci puissent agir. Les annonces récentes vont dans le bon sens, à condition d’être suivies par des actes. La France doit y veiller.
Par ailleurs, les projets de destruction des bases des trafiquants, peut-être par des opérations spéciales, ne seront d’aucun effet durable sur le trafic, qui nécessite seulement au sol des structures légères et quelques bateaux, sauf à maintenir sur les réseaux une pression constante : action en justice ou saisie des avoirs.
Peu de pays européens sont capables, comme la France, de mener la collecte de renseignement et d’engager de telles actions ciblées, dont le coût est élevé. Cela a été souligné par d’autres orateurs, la charge de la sécurité ne repose que sur quelques États.
Par ailleurs, la Méditerranée doit rester une zone d’attention particulière pour la sécurité en Europe. Chaque jour, que ce soit dans des embarcations go fast ou dans des navires de plaisance ou de commerce, d’importantes quantités de stupéfiants remontent par voie maritime d’Afrique du Nord vers nos côtes et inondent le marché européen. Là aussi, quelques États s’endettent pour renforcer leurs dispositifs de lutte, tandis que les narcotrafiquants s’enrichissent et peuvent réinvestir dans l’économie légale. Une grande partie de cette drogue provient du trafic transméditerranéen.
Monsieur le secrétaire d’État, la Méditerranée a plus que jamais besoin d’une politique européenne renforcée contre le narcotrafic international, qui représente une menace pour les États membres de l’Union européenne.
Au-delà, il y a lieu de mener pour l’avenir une réflexion sur les missions de lutte contre l’immigration illégale, le narcotrafic ou la pollution, qui prennent une importance grandissante. Ces missions devraient conduire à une plus large mutualisation et intégration des moyens. Pourquoi ne pas avancer sur la question d’un corps européen de garde-côtes – il pourrait s’agir d’une nouvelle fonction communautaire – face à ces nouveaux enjeux sécuritaires, dans un contexte budgétaire contraint pour les États membres ?
Dans de nombreux domaines, faute de vision stratégique et politique claire, l’Europe traite les problèmes lorsqu’ils se présentent. Le terrorisme ou la crise des migrants en Méditerranée en constituent de tragiques illustrations. La sécurité est longtemps restée une préoccupation secondaire de l’Union européenne, qui est entièrement tournée vers le développement économique et l’extension à l’Est. Mais le monde a changé dans l’environnement immédiat de l’Europe sans que l’Union prenne toute la mesure de ces nouvelles menaces.
Ce modus operandi reporte de fait l’essentiel de la charge vers ceux des États, dont le nôtre, qui ont fait le choix de maintenir un outil de sécurité à la hauteur des enjeux du XXIe siècle. Que représente alors la contribution financière d’un État dans une opération ponctuelle, rapportée au coût d’acquisition et d’entretien permanent de navires, de satellites, de radars ou de drones, que supportent d’autres États ?
L’exemple français montre combien il demeure important de pouvoir disposer, au profit de tous, d’une armée mobilisable tantôt sur terre et dans les airs pour combattre le terrorisme, tantôt sur mer pour lutter contre la piraterie ou le trafic d’êtres humains.
Il me semble dès lors plus que temps de songer à une autre répartition des rôles et des charges pour protéger l’Europe.
En Méditerranée comme ailleurs, les efforts sécuritaires ne représentent qu’un volet des mesures à envisager. La coopération économique et politique et le dialogue sont autant d’instruments à promouvoir avec les pays du voisinage, bien qu’il s’agisse de dispositifs difficiles à mettre en œuvre, et dont les effets se mesureront sur le long terme.
À mon sens, nous ne pourrons pas non plus faire l’économie d’une réflexion approfondie sur la politique migratoire de l’Union européenne ; nous voyons bien les interrogations qu’elle suscite dans les opinions publiques des États membres.
Monsieur le secrétaire d’État, au regard de son expérience et de ses capacités, la France doit être en pointe sur ces sujets et de peser de tout son poids, notamment lors du prochain Conseil européen.