Intervention de André Gattolin

Réunion du 16 juin 2015 à 14h30
Débat préalable à la réunion du conseil européen des 25 et 26 juin 2015

Photo de André GattolinAndré Gattolin :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le moins qu’on puisse dire est que le prochain Conseil européen ne dérogera pas à la tradition ! Les chefs d’État et de gouvernement n’auront que deux petites journées pour tenter d’abattre un ordre du jour toujours plus long et composite.

Quand on survole le programme d’ores et déjà annoncé, auquel s’ajouteront en urgence quelques sujets majeurs d’actualité, on peut se demander quels points seront sérieusement débattus et feront l’objet de véritables avancées.

Au regard de cet ordre du jour en forme de liste à la Prévert, comment peut-on espérer aboutir à des conclusions audibles et à un message politique suffisamment clair ?

Au cours de ces dernières années, l’Union européenne a pris la fâcheuse habitude d’ultra-sectoriser son travail, multipliant ainsi à outrance les chantiers de réforme. Elle arrive désormais à un point de rupture : le morcellement des dossiers a pris le pas sur la cohérence du projet européen. Cette absence de vision globale des enjeux empêche de traiter ceux-ci avec justesse. Car, aux divergences parfois fortes exprimées par les différents États membres, s’ajoutent de plus en plus des divergences de vue et d’approche assez singulières entre les nombreuses directions générales de la Commission européenne sur des questions pourtant fortement liées entre elles.

Une telle divergence d’orientation intracommunautaire s’illustre parfaitement dans deux domaines : celui de la politique européenne du numérique, qui est inscrite à l’ordre du jour du Conseil européen, et celui de la stratégie arctique de l’Union européenne, qui figurera à l’ordre du jour d’un sommet organisé à la fin de cette année.

Permettez-moi d’évoquer d’abord la politique européenne en matière de numérique.

Le 9 mai dernier, la Commission européenne a dévoilé sa stratégie pour mettre en place un marché unique du numérique en Europe, afin, notamment, d’harmoniser la réglementation, d’améliorer l’accès aux biens et services numériques ou encore de maximiser le potentiel de croissance de notre économie numérique. Au total, ce ne sont pas moins de seize textes législatifs qui devront être adoptés d’ici à la fin de l’année 2016, selon la Commission européenne. Même si l’on peut douter du calendrier, il s’agit indubitablement d’une avancée, car les textes actuels sont insuffisants ou obsolètes.

De plus, la Commission européenne commence à se préoccuper sérieusement de la fiscalité des grandes entreprises du numérique. Enfin ! Le chemin est encore long. Il s’agirait d’une fiscalité fondée sur des éléments rattachables à un territoire.

Il est louable de vouloir enfin freiner l’optimisation fiscale pratiquée en matière d’économie numérique, tout comme il est judicieux de vouloir harmoniser les règles applicables. Cependant, cela ne reviendrait-il pas, une fois encore, à considérer l’Union européenne uniquement sous le prisme d’un marché de consommation, et non pas comme un territoire de production, de création d’emplois et de croissance ?

Au cœur de cette stratégie numérique, il y a, en vérité, deux sujets urgents.

Le premier concerne les moyens à déployer pour établir une industrie numérique et européenne solide, qui est aujourd'hui encore naissante. Actuellement, les règles fixées en matière de concurrence empêchent toujours nos États de jouer un rôle incitatif dans ces filières. Comment promouvoir une industrie numérique si celle-ci n’est pas soutenue par les États membres ?

Penser l’Europe du numérique comme un simple débouché économique, et non pas comme un secteur d’activité d’avenir serait une erreur pour l’Union européenne. Le retard que nous avons à rattraper est grand, mais il n’est pas insurmontable, si l’on y consacre toute l’énergie et la cohérence nécessaires.

Alors que se négocient au même moment des accords commerciaux, la question sensible du numérique semble être éludée. Dans le cadre du Transatlantic Free Trade Area, le TAFTA, la Commission européenne déclare haut et fort que ce volet n’est pas inclus dans les négociations. Pourtant, cela ne rassure ni le Parlement européen ni le Conseil national du numérique.

Par ailleurs, des inquiétudes croissantes s’expriment à propos de l’accord sur le commerce des services, en cours de discussion entre vingt-trois membres de l’Organisation mondiale du commerce, dont l’Union européenne et les États-Unis. En effet, ces derniers souhaitent y intégrer le commerce électronique, ce qui constituerait en réalité une porte ouverte à l’introduction d’un volet numérique déséquilibré pour les Européens.

J’en viens maintenant à un autre sujet urgent : la sécurité informatique.

La cybersécurité est au cœur tant du contre-terrorisme que de l’élaboration d’une politique numérique ambitieuse et offensive. Il faut donc trouver une cohérence entre la sécurité intérieure et informatique et le souci de dynamiser le rôle de l’Union européenne dans le domaine du développement des données en nuage et des objets connectés. Or la multiplication récente des cyberattaques a montré la vulnérabilité de nos systèmes d’information et les limites de nos moyens en matière de protection.

Récemment, une étude présentée au Forum économique mondial de Davos montre que, si l’on ne s’arme pas suffisamment contre les cyberattaques, celles-ci pourraient entraîner une perte pouvant atteindre 2 700 milliards d’euros d’ici à 2020. Dès lors, il apparaît vital de développer une véritable culture de la cybersécurité. Ainsi, la déconnexion injustifiée entre les différentes dimensions du numérique au sein des politiques européennes et le goût perpétuel pour l’urgence renforcent l’incohérence et l’absence de vision globale des enjeux.

Toujours à propos de l’absence de cohérence des politiques développées par la Commission européenne, permettez-moi d’évoquer rapidement ici la politique arctique de l’Union européenne.

Comme vous le savez, l’Union européenne devra, à la fin de l’année et parallèlement à la COP 21, définir sa feuille de route pour cette région de plus en plus stratégique qu’est l’Arctique. En effet, si l’Union européenne conduit déjà une politique de voisinage à l’égard de ses confins orientaux et méridionaux et, d’une certaine manière, avec nos voisins nord-américains au travers de traités commerciaux en cours de négociation, elle pèche encore par un manque de véritable politique à l’endroit des pays situés au nord, même si elle compte en son sein trois des huit pays arctiques de la planète.

L’Arctique est une région où les enjeux climatiques et environnementaux, mais aussi géostratégiques sont considérables. Le lien à établir avec nos politiques en matière de climat et d’environnement, notamment dans la perspective de la COP 21, semble évident : le réchauffement climatique y est deux fois et demie plus rapide et plus élevé que sur le reste de la planète. C’est d’ailleurs le sens de la résolution adoptée au printemps dernier par le Parlement européen et des conclusions du Conseil européen, qui s’est tenu peu de temps après. Cette instance a chargé la Commission européenne et le service européen pour l’action extérieure de préparer la feuille de route européenne pour cette région.

Les positions contenues dans ces deux textes sont d’ailleurs de nature très raisonnable et équilibrée : tout en visant à préserver l’environnement arctique, elles ne nient pas les aspirations des populations arctiques à un renforcement de leur économie, en préconisant une approche liée au développement durable.

Toutefois, pour m’être fortement impliqué dans les travaux préparatoires conduits depuis la fin de l’année 2014 par la direction générale des affaires maritimes et de la pêche au sein de la Commission européenne, chargée de ce dossier, j’observe une dérive inquiétante des objectifs préalables vers une volonté de faire financer, surtout et d’abord, par l’Union européenne des projets dont les maîtres mots sont « croissance », « compétitivité », « infrastructures », « partenariat public-privé, » « effet de levier », le tout dans une région où les appétits spéculatifs pour les ressources fossiles sont déjà excessifs.

Bref, au lieu de tenter de rendre notre politique arctique cohérente avec nos objectifs climatiques et environnementaux, j’ai bien peur que la direction générale des affaires maritimes et de la pêche vise à ne faire de celle-ci qu’un succédané, ici totalement inapproprié, du plan Juncker.

Pour clore mon intervention, je voudrais savoir si, à l’instar de nombre de parlementaires nationaux et européens de tout bord politique, le Gouvernement a conscience de ces dérives et des incohérences politiques qui se multiplient au sein des instances européennes. Entend-il agir de concert avec nos autres partenaires pour y remédier ?

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