Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je remercie la conférence des présidents d’avoir accédé à la demande de la commission des affaires européennes et me félicite de la tenue de ce débat préalable au Conseil européen des 25 et 26 juin prochains.
Les questions économiques et les défis en matière de sécurité figurant à l’ordre du jour de ce Conseil européen, il me paraissait primordial que le Sénat puisse en débattre avec le Gouvernement. Par conséquent, nous vous remercions de votre présence et de votre disponibilité, monsieur le secrétaire d’État.
Il est vrai – et c’est tant mieux ! – que la situation économique en Europe connaît une éclaircie, dont les causes résultent pour l’essentiel des effets de la réunion de facteurs conjoncturels, comme la baisse des taux d’intérêt, la diminution du prix du pétrole ou encore la politique d’assouplissement quantitatif menée par la Banque centrale européenne. Cependant, cela ne doit pas dispenser les États membres de l’Union européenne de conduire les efforts indispensables.
Tout d’abord, Mario Draghi, président de la Banque centrale européenne, s’est clairement exprimé en indiquant que la BCE avait réalisé sa part du travail et qu’il revenait désormais aux États de remplir la leur en conduisant les réformes structurelles nécessaires. Benoît Cœuré, membre du directoire de la BCE, nous a tenu les mêmes propos lorsque nous l’avons rencontré à Francfort ; vous étiez présent avec un certain nombre de députés, monsieur le secrétaire d’État.
Le commissaire européen Pierre Moscovici, que nous avons reçu au Sénat, a également insisté sur le risque qu’encourent les États qui n’engageraient pas les réformes nécessaires, sous prétexte qu’une reprise du cycle économique est envisageable. On ne peut que souscrire à la conclusion qu’il a formulée : les économies les plus fortes seront celles qui auront réalisé le plus de réformes ! À cet égard, la Commission européenne délivre un triple conseil aux États membres : favoriser l’investissement, mettre en œuvre des réformes structurelles et poursuivre une politique de responsabilité budgétaire.
Or, pour la France, les attentes de la Commission européenne et de nos partenaires sont récurrentes. Il nous est ainsi demandé de renforcer notre stratégie en matière budgétaire, de préciser la nature des mesures de réduction de dépenses prévues jusqu’en 2017 et d’intensifier nos efforts pour améliorer l’examen de nos dépenses. En outre, l’équilibre des régimes de retraite et la réforme du marché du travail sont également en cause, comme l’ont rappelé un certain nombre de nos collègues. Le Gouvernement entendra-t-il ce message ? Quelles réponses y apportera-t-il ?
Les discussions avec la Grèce demeurent complexes ; je dirais même chaotiques ! Les aides de l’Europe doivent aller de pair avec un véritable programme de réformes. Notre collègue Simon Sutour devrait prochainement rendre un rapport à la suite du voyage qu’il vient de réaliser dans ce pays.
Peut-on espérer une issue favorable à cette situation ? Je me doute que vous partagerez ma position, monsieur le secrétaire d’État : malgré ses bravades, son inconscience, voire ses provocations, la Grèce devra bien finir par comprendre que le remboursement de la dette qu’elle a contractée au travers de prêts à la Banque centrale européenne, au FMI et auprès d’un certain nombre d’États membres n’est pas négociable !
Souvenons-nous que la restructuration de la dette accumulée par la Grèce auprès des banques privées s’est soldée en 2012 par l’effacement de près de 35 milliards d’euros ! En l’espèce, il me semble que ce sera extrêmement difficile cette fois-ci.
En outre, la situation de la Grèce ne doit pas nous empêcher de nous montrer particulièrement inventifs, au travers notamment de certificats d’investissement, qui feront l’objet d’une proposition dans le prochain rapport de la commission.
Au-delà de la conjoncture grecque, c’est la compétitivité de nos économies que l’on doit renforcer. Le prochain Conseil européen se prononcera ainsi sur la stratégie numérique que la Commission européenne a présentée le 6 mai dernier.
Nous avons rencontré le vice-président de la Commission, Andrus Ansip, ainsi que le commissaire européen Günther Oettinger. Nous leur avons transmis les messages que le Sénat souhaitait délivrer sur un sujet auquel il a beaucoup contribué. En effet, nos collègues Catherine Morin-Desailly, Gaëtan Gorce, André Gattolin ou Colette Mélot ont tous examiné cette question. L’Europe doit devenir productrice, et non plus seulement consommatrice sur le marché unique du numérique. Elle doit adopter une stratégie efficace en faveur de la gouvernance d’internet, en entreprenant la régulation des plateformes.
Avec le développement du numérique, nous devons saisir l’occasion de mettre en avant le principe d’innovation qui contrebalancera utilement un principe de précaution qui s’est souvent imposé de façon excessive. J’adhère à l’expression qu’a employée tout à l’heure notre collègue Yves Pozzo di Borgo : l’économie du XXIe siècle sera totalement « uberisée ». En effet, notre société doit se préparer à une mutation importante.
Le renforcement de notre compétitivité résultera également du financement adéquat de notre économie. À ce sujet, l’idée d’une union des marchés de capitaux, sur laquelle travaillent nos collègues Jean-Paul Emorine et Richard Yung, nous paraît intéressante. Je salue en particulier le pragmatisme tout britannique du commissaire européen Jonathan Hill, dont l’intention est d’agir vite en la matière, aux différents niveaux de développement des entreprises, car c’est une économie en mouvement qu’il faut accompagner ! L’union des marchés de capitaux doit être entendue comme un complément utile au rôle des banques, qui enrichira les offres de financement existantes.
Vous me permettrez d’évoquer la particularité de certains établissements financiers français, fondés sur le principe mutualiste, à commencer par le Crédit agricole, qui représente 25 % du marché. Il faudra bien trouver une solution sur ce point, en dépit de l’approche que peuvent avoir différents membres du directoire de la Banque centrale européenne.
Par ailleurs, le Conseil européen examinera les défis en matière de sécurité.
Je rappelle que le Sénat a beaucoup travaillé sur la lutte contre le terrorisme, après les attentats de Paris et de Copenhague. En particulier, nous avons adopté une résolution européenne demandant que, à l’échelon de l’Union, la lutte contre le terrorisme soit plus déterminée. Le 30 mars dernier, nous avons aussi adopté, avec les parlements de plusieurs pays qui ont également subi la violence terroriste, et sous votre autorité, monsieur le président, la Déclaration de Paris, qui affirme une volonté commune pour une politique européenne répondant aux attentes légitimes de nos concitoyens en matière de sécurité.
Or nous déplorons la lenteur et le manque de réactivité qui se manifestent dans ce domaine et qu’atteste un récent rapport du coordinateur européen, M. Gilles de Kerchove, que nous avons rencontré à Bruxelles. Ainsi, le PNR – Passenger Name Record – européen attend toujours le feu vert du Parlement européen, malgré les demandes expresses que nous avons présentées à nos collègues députés européens membres de la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures. Je me souviens d’ailleurs que, lorsque nous les avons vus à Bruxelles en mars dernier, les relations avaient été plutôt tendues...
Quant aux contrôles systématiques aux frontières extérieures de l’Union européenne sur le fondement d’une évaluation des risques, ils ne semblent toujours pas progresser ; il y a là une inertie insupportable au regard de la gravité des enjeux et des attentes, mêlées de crainte, de nos concitoyens.
Les drames qui se produisent quasi quotidiennement en Méditerranée nous interpellent. S’ils constituent d’abord une tragédie humaine, ils représentent aussi un défi pour le contrôle des frontières extérieures de l’Union européenne, qui met en cause la crédibilité même de l’espace Schengen. Nos collègues André Reichardt et Jean-Yves Leconte nous ont présenté l’agenda de la Commission européenne pour les migrations. J’approuve la proposition – vous l’avez évoquée tout à l'heure, monsieur le secrétaire d’État – de créer dans les États membres situés en première ligne des « points d’accès ».
J’estime aussi qu’il convient avant tout d’éviter de créer des appels d’air, qui ne feraient qu’aggraver la situation. De fait, chaque fois que nous avons mené une politique quelque peu laxiste dans ce domaine, nous avons suscité une augmentation des flux de migrants !
Par ailleurs, on ne peut pas faire l’impasse sur le trop faible taux d’exécution des mesures d’éloignement. Songez, mes chers collègues, que, selon la Cour des comptes, 99 % des déboutés du droit d’asile se maintiennent sur le territoire national, …