Intervention de Marisol Touraine

Réunion du 16 juin 2015 à 14h30
Malades et personnes en fin de vie — Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Marisol Touraine, ministre :

Cette proposition de loi marque des avancées importantes.

Première orientation du texte qui vous est proposé : renforcer l’accès aux soins palliatifs, aujourd’hui insuffisant.

Depuis dix ans, les unités de soins palliatifs se sont développées en France ; le nombre de lits a été multiplié par vingt. Pourtant, si les deux tiers des Français qui meurent de maladie auraient besoin de soins palliatifs, une grande partie d’entre eux n’y a pas accès, ou alors trop tardivement. Cette injustice – la situation est en tout cas perçue comme injuste – est à la fois sociale et territoriale, ce qu’a montré un rapport de la Cour des comptes paru cette année.

C’est pourquoi, avant même de réfléchir aux évolutions à apporter aux conditions dans lesquelles la fin de vie peut être aménagée, il paraît nécessaire de proposer un nouveau plan de développement des soins palliatifs. Il s’agit de développer la culture palliative dans notre pays en mettant en avant plusieurs priorités.

Il convient d’abord de garantir le développement des soins palliatifs dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, les EHPAD, partout sur le territoire, car ce n’est pas encore le cas aujourd’hui.

Il faut ensuite répondre à la demande très forte, très pressante, de nos concitoyens de pouvoir accéder à des soins palliatifs à domicile. Alors que la majorité des Français, nous le savons, souhaiteraient pouvoir mourir chez eux, l’absence de soins palliatifs, sans que ce soit la seule raison, les amène trop souvent à s’éteindre à l’hôpital.

Nous devons aussi proposer une meilleure formation des personnels soignants, qui se disent eux-mêmes ignorants des démarches à engager, en intégrant un enseignement spécifique consacré à l’accompagnement des malades dans toutes les formations sanitaires.

Il nous faut enfin proposer des procédures communes aux professionnels de santé pour accompagner la sortie d’hôpital des patients qui ont besoin de soins palliatifs à leur domicile ou dans un EHPAD. La nécessité d’éviter toute rupture doit faire l’objet d’un référentiel commun ; la Haute Autorité de santé y travaille.

Un plan triennal est en voie d’élaboration et sera soumis dès la semaine prochaine à un comité de pilotage composé des acteurs des soins palliatifs. Ce comité éclairera et complétera, si nécessaire, les orientations que je proposerai à cette occasion. Je présenterai ensuite un plan finalisé pour permettre la montée en charge de cette offre de soins palliatifs au cours des trois années à venir.

Deuxième orientation de ce texte : renforcer la possibilité donnée à nos concitoyens de faire valoir leurs droits, que les Français disent ne pas connaître suffisamment. Près de la moitié d’entre eux ignorent en effet que la loi autorise d’ores et déjà le patient à demander l’arrêt des traitements qui le maintiennent en vie. Seulement 2, 5 % de nos concitoyens ont rédigé des directives anticipées ! Or nous savons qu’elles pourraient répondre à nombre de situations difficiles.

La situation, largement médiatisée, de Vincent Lambert, qui n’est pas en fin de vie, il faut le préciser, rappelle la nécessité de tout faire pour que puisse s’exprimer la volonté de chacun. Les difficultés auxquelles le corps médical est confronté dans cette situation viennent en partie du fait que l’expression de sa volonté fait l’objet d’interrogations et de débats.

Nous devons donc renforcer et clarifier le cadre de l’expression personnelle de la volonté de chacun.

Le texte vise ainsi à rendre les directives anticipées contraignantes et à en supprimer la durée de validité. C’est une avancée majeure. Aujourd’hui, ces directives, lorsqu’elles existent, ne constituent que l’un des éléments à prendre en compte dans la décision médicale. Demain, c’est bien la volonté du patient qui sera déterminante pour l’issue de sa vie. Rester maître de sa vie jusqu’au moment ultime, jusqu’au moment où on la quitte, tel est l’enjeu de dignité auquel ce texte s’attache.

Il s’agit également de renforcer l’information sur ces directives : information du patient, qui doit connaître son droit pour pouvoir l’exercer, mais aussi information de l’équipe médicale, qui doit avoir le plus rapidement et le plus clairement possible connaissance des volontés du malade.

Les amendements adoptés par l’Assemblée nationale renforcent ce volet du texte. Concrètement, un formulaire type de directive anticipée sera élaboré sous l’égide de la Haute Autorité de santé et un registre national automatisé permettra à chaque Français de rédiger une directive anticipée de la manière la plus simple qui soit. Ces dispositifs permettront aux médecins d’avoir une vision rapide et immédiate des directives anticipées du malade dont ils ont la charge. Ils pourront facilement consulter ce registre, dont les données seront au demeurant confidentielles, et il conviendra évidemment de garantir le respect de cette confidentialité.

Il nous revient en outre de trouver les moyens d’informer utilement nos concitoyens sur ce droit nouveau.

Enfin, la troisième orientation de ce texte est de consacrer une plus grande autonomie des personnes.

L’encadrement de l’arrêt des traitements, permis par la loi du 22 avril 2005, a constitué un progrès indéniable pour la dignité des malades, personne ne le conteste. Toutefois, il nous faut aujourd’hui franchir une étape supplémentaire.

En effet, en l’état actuel de notre droit, c’est au seul médecin que revient la décision d’entreprendre ou non les traitements, de les interrompre ou non. Si un dialogue a évidemment lieu au sein des équipes soignantes, certains médecins peuvent être désemparés lorsqu’ils sont confrontés à la décision d’interrompre ou non les traitements.

Dans le même temps, nous le savons, trop de patients, trop de familles, estimant que leurs droits sont mal reconnus, ont le sentiment de ne pas être entendus. Les droits des malades en fin de vie doivent donc être renforcés.

Il s’agit aussi d’offrir à la fois aux patients et aux soignants une sécurité telle que la diversité des situations et des prises en charge sur le territoire national soit réduite. On s’aperçoit en effet que, selon l’interprétation qui est faite de la loi, selon les équipes soignantes et les lieux où l’on se trouve sur le territoire, les réponses apportées à des situations identiques ne sont pas les mêmes.

Ce texte vise ainsi à préciser les modalités d’interruption des traitements. Il clarifie la notion d’« obstination déraisonnable » et prévoit d’instaurer un droit à bénéficier, lorsque le pronostic vital est engagé à court terme, d’une sédation profonde et continue jusqu’au décès. À l’heure actuelle, ce traitement relève, je l’ai dit, de la seule appréciation médicale. Son application dépend donc largement du territoire, de l’établissement ou du service. Il s’agira désormais d’un droit concret, reconnu à tous et partout.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la fin de vie est un sujet sensible, qui nous concerne tous, individuellement et collectivement. Par-delà nos croyances, nos engagements, nos parcours et nos points de vue, nous avons une grande mission collective, celle de répondre aux attentes exprimées par nos concitoyens.

Ce texte permettra de franchir une étape considérable. L’opposabilité des directives anticipées, couplée à la reconnaissance de la sédation profonde et continue jusqu’au décès, inverse la logique de décision : c’est le patient, et non plus le médecin, qui devient le maître de son destin puisque c’est à lui que revient le dernier mot. Il s’agit de redonner, jusqu’au dernier instant, de la force à la volonté et à la liberté de chaque personne.

Ce sujet, nous ne pouvons pas le nier, fait appel à la conscience de chacun. Selon moi, nous devons l’aborder avec la conviction que nul ne détient la vérité absolue et que chacun devant pouvoir exprimer sa conviction profonde. Sur vos travées comme sur les bancs de l’Assemblée nationale, de même que dans l’ensemble du pays, certains considèrent que ce texte ne va pas assez loin. D’autres estiment que toute évolution du cadre juridique de la fin de vie est inopportune. Du côté de ceux qui voudraient aller plus loin, des démarches différentes sont suggérées : il n’y a pas, de ce côté non plus, de consensus absolu quant à l’étape supplémentaire qu’il convient de franchir.

Le Gouvernement souhaite que le débat s’engage de manière sereine. Il n’appartient à personne de porter un jugement sur des convictions qui sont toutes aussi respectables les unes que les autres. Il s’agit aujourd’hui de définir un texte qui rassemble largement et constitue un point d’équilibre dans la société, conformément à la volonté du Président de la République, lequel a fixé un cap clair : franchir, dans le rassemblement, une étape de liberté pour les malades.

Le Sénat est sans doute le lieu le plus à même de répondre à cette double exigence et d’entendre cet appel. En effet, votre engagement historique sur ce sujet, mesdames, messieurs les sénateurs, montre bien que des rassemblements peuvent s’opérer par-delà les clivages partisans. En outre, vous avez à cœur de rester attentifs à l’aspiration à la dignité des personnes en fin de vie.

Je ne doute pas que nos débats seront importants, utiles et éclairants pour notre société. Je ne doute pas non plus que des points de vue différents s’exprimeront et que des aspirations différentes se dessineront. Je ne vous apprendrai rien en vous disant que, au sein même de l’exécutif, des points de vue différents se sont exprimés. Au fond, c’est la question suivante qui nous a rassemblés : comment, aujourd'hui, peut-on faire progresser le débat, sans heurter, en répondant à l’exigence de liberté, d’autonomie et de dignité ?

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