Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, aux limites de la souffrance, au bout de la maladie, la vie est-elle un privilège ou une fatalité ?
La proposition de loi qui fait l’objet de notre débat traite d’un sujet difficile et sensible, qui engage à la fois des considérations médicales et juridiques, des questionnements éthiques et philosophiques, et surtout des souffrances humaines.
La fin de vie, les douleurs qui l’accompagnent, l’ultime choix laissé aux patients et le rôle de la médecine au seuil de la mort appellent donc une réflexion prudente, empreinte d’humilité.
Deux principes cardinaux de la législation française ont encadré et déterminé la position de la commission des lois : d'une part, la prohibition absolue que la mort soit donnée activement et intentionnellement, d'autre part, le respect, dans ce cadre, de la volonté de la personne.
En prévoyant de consacrer dans certains cas un droit pour le patient à bénéficier d’une sédation profonde et continue jusqu’à son décès, la proposition de loi ne crée pas une nouvelle pratique médicale. En ultime soin, d’ores et déjà, les équipes soignantes y recourent dans un souci d’humanité pour éviter au patient les souffrances de sa maladie ou de son agonie.
En revanche, élever cette possibilité au rang d’un droit garantirait aux patients de pouvoir réclamer le bénéfice de cette sédation contre un médecin qui le lui refuserait, cas fort peu probable au regard des exigences de la déontologie médicale, ou de pouvoir en réclamer le bénéfice contre l’établissement hospitalier ou les services qui le soignent, ce qui est plus plausible compte tenu du retard de notre pays dans le développement des soins palliatifs.
Cependant, des situations différentes changent le sens qui peut être donné à la consécration de ce droit à la sédation.
Le Conseil d’État a énoncé une préoccupation qui n’a cessé d’être à l’esprit de la commission des lois : « La sédation profonde ne peut en aucun cas être un substitut aux soins palliatifs, une solution “de facilité” qui viendrait en quelque sorte pallier leur absence. »
Dans le texte adopté par la commission des affaires sociales, le recours à la sédation profonde est permis lorsque le patient en fin de vie, atteint d’une maladie grave et incurable, éprouve une souffrance réfractaire à tout traitement comprenant la gamme entière des soins palliatifs. Il est également permis lorsque le patient, hors d’état d’exprimer sa volonté, subit un acharnement thérapeutique et qu’une décision d’arrêt du traitement le maintenant en vie est prise au titre du refus de l’obstination déraisonnable.
La commission des lois a marqué son plein accord avec l’approche retenue par la commission des affaires sociales. Mais il lui est apparu qu’un lien systématique entre la sédation profonde et continue et l’arrêt de tous les traitements posait question.
Parce qu’il serait principalement contradictoire de reconnaître un nouveau droit du patient tout en limitant sa liberté dans l’exercice de ce droit, et parce que lier indissolublement sédation profonde et arrêt des traitements vitaux rend plus indistincte la frontière entre la mort causée par la maladie et une mort causée par autre chose que cette maladie, la commission des lois souhaite redonner toute force à la volonté du patient au seuil de sa vie.
Nous en débattrons lors des échanges concernant un amendement que je présenterai sur ce point au nom de la commission des lois.
Le même souci de respecter le choix personnel a conduit la commission des lois à écarter le recours à la procédure collégiale lorsque le refus de traitement au titre de l’obstination déraisonnable est exprimé clairement et consciemment par le patient lui-même.
Privilégier la volonté de la personne en fin de vie revient à mettre tout en œuvre pour s’assurer de son contenu.
La proposition de loi a opéré un choix : faire des directives anticipées une preuve absolue de la volonté du patient. Les auteurs du texte ont ainsi choisi de renforcer substantiellement la force des directives anticipées, en supprimant leur durée de validité de trois ans et en prévoyant qu’elles s’imposeraient aux médecins.
Le texte établit une hiérarchie entre les différents éléments de preuve en présence. Les directives anticipées l’emporteraient sur tout autre témoignage. À défaut de directives, c’est le témoignage de la personne de confiance qui ferait foi. En dernier lieu seraient pris en compte les éléments recueillis par la famille ou les proches.
Or, pour parfaire notre recherche de la réalité de la volonté du patient, il est nécessaire de bien dissocier deux questions dans notre réflexion.
La première concerne la validité des directives anticipées au regard des souhaits les plus récents exprimés par le patient, avant qu’il n’ait sombré dans l’inconscience, ce indépendamment du contenu de ces directives. La seconde concerne l’effet contraignant des directives l’égard du médecin dès lors que le contenu n’est pas adapté à la situation médicale du patient.
Il existe en effet un risque grave à faire des directives anticipées la preuve irréfragable de la volonté du malade.
Certes, les directives constituent l’élément le plus fiable pour déterminer la volonté d’un patient en état d’inconscience, mais il est dangereux de leur attribuer un caractère trop absolu, au risque qu’elles ne se retournent contre le patient lui-même.
Comme l’a souligné Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’État, lors de son intervention au colloque organisé par le Sénat sur la fin de vie en janvier dernier, « lorsque le patient est dans un état d’inconscience, ses directives anticipées expriment une présomption de volonté ; elles sont une approximation, certes très forte, de ce qu’aurait été sa volonté consciente. Mais cette présomption ne saurait être irréfragable : elle doit pouvoir être écartée, lorsqu’un faisceau d’indices probants et circonstanciés démontre qu’elles ne correspondent plus à la volonté du patient. »
Dès lors, les directives anticipées doivent pouvoir être révoquées « par tout moyen » et le médecin doit pouvoir s’assurer de leur validité.
Pour améliorer, autant que faire se peut, la mise à jour des directives anticipées, il vous sera proposé que le décret en Conseil d’État, qui fixe notamment les conditions de conservation de ces directives, prévoie également un rappel régulier de l’existence de celles-ci dans le registre national.
Par ailleurs, la rédaction actuelle du texte précise que la parole de la personne de confiance prévaudra « sur tout autre élément permettant d’établir la volonté du patient à l’exclusion des directives anticipées ». Sans doute est-il sur ce point préférable de revenir au texte de l’Assemblée nationale, qui ne l’a fait prévaloir que sur les autres témoignages.
Sous réserve de quelques autres propositions d’amendements qui viendront en discussion tout à l’heure, dont la portée est plus directement juridique ou rédactionnelle et qui sont issues des débats de la commission des lois, j’ai tenté d’exprimer synthétiquement les priorités de cette commission dans l’examen de ce texte. Vous l’avez compris, mes chers collègues, elle veut assurer une totale protection des décisions du patient, hors celles qui conduiraient à une mort donnée activement.
Avant d’en débattre, je ne puis occulter le malaise ressenti face à un exemple éclatant de notre propre impuissance. Nul d’entre nous ne niera sérieusement que, en son for intérieur, il sait qu’il accepte de légiférer pour corriger l’étendue de droits restés quasiment à l’état de proclamations.
Pourtant, en avril 2005, ces droits avaient été instaurés au Sénat par un vote conforme en première lecture d’un texte voté à l’unanimité de l’Assemblée nationale ! Et ces droits sont cités, enviés, salués.
Si on sait de quoi on parle quand on évoque la notion de soins palliatifs, on ne change pas un mot à la résolution du Conseil de l’Europe du 28 janvier 2009, qui « considère les soins palliatifs comme un élément essentiel des soins de santé appropriés, fondés sur une conception humanitaire de la dignité humaine, sur l’autonomie, sur les droits de l’homme, du citoyen et du patient, ainsi que sur une conception généralement admise de la solidarité et de la cohésion sociale. »
De même, lorsqu’on sait de quoi on parle, on dénonce, avec le Comité consultatif national d’éthique dans son rapport publié le 21 octobre 2014 « le scandale que constitue depuis quinze ans le non-accès aux droits reconnus par la loi, la situation d’abandon d’une immense majorité des personnes en fin de vie et la fin de vie insupportable d’une très grande majorité de nos concitoyens ».
Mme Laure Copel, responsable d’un service de soins palliatifs, dont les propos sont relatés dans Le Monde du mercredi 17 juin, nous place devant notre responsabilité : « Le danger est extrême de n’avoir que la sédation à apporter comme réponse à une absence de soins de qualité. »
Dans ces circonstances, nous pouvons certainement nous accorder pour légiférer, mais à la condition expresse, fermement et fortement rappelée, que nous ne transigeons pas sur le droit pour tous d’accéder à une médecine palliative dans une unique et indivisible culture du soin.