Intervention de Alain Milon

Réunion du 16 juin 2015 à 14h30
Malades et personnes en fin de vie — Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Alain MilonAlain Milon :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous allons donc discuter dans les heures à venir de cette proposition de loi Claeys-Leonetti qui, à la demande du Président de la République, conformément au programme de campagne présidentielle de celui-ci, vient compléter la loi Leonetti, reconnue par les professionnels de la santé, du moins ceux qui la connaissent, comme une bonne loi qui a fait progresser la prise en charge de la fin de vie dans notre pays.

Reprendre cette question au travers d’une proposition de loi élaborée après de nombreuses consultations nationales et après un débat populaire est exemplaire de ce qui doit être fait pour toutes les lois sociétales. Je pense à la bioéthique et, en particulier, à la loi sur l’interruption volontaire de grossesse, dont nous reparlerons dans quelques semaines.

Je ne doute pas que le débat qui s’ouvre aujourd’hui constituera un moment particulier dans le cours de notre activité législative habituelle, comme chaque fois que les questions liées à la fin de vie sont venues en discussion devant notre Haute Assemblée.

Ce débat est attendu, car le texte qui nous est présenté, remanié dans une écriture plus conforme au respect de la personne par la commission des affaires sociales du Sénat, nous oblige à renforcer notre vigilance, car, selon une partie de ceux qui ont étudié la fin de vie, il peut menacer ce qui nous paraît essentiel.

L’engagement que nous prendrons en votant le texte définitif, quel qu’il soit, concerne les droits fondamentaux de personnes vulnérabilisées, lourdement handicapées et qui risquent d’être exposées à des renoncements si notre société y consent. Il concerne ces personnes dont la mort semblerait préférable à ce qu’aurait pu être de notre part une sollicitude à leur égard dans leur parcours de vie.

En outre, une même attention doit être portée aux proches, aux familles qui ne lâchent jamais, qui refusent l’abandon et qui, comme le disait Emmanuel Hirsch, « restituent à notre démocratie le sens profond de l’idée de fraternité ».

L’examen de ce texte est particulièrement attendu, parce qu’il touche chacun d’entre nous en ce qu’il ressent de plus intime et parce qu’il nous renvoie à ce qui est essentiel à notre condition humaine. Nous en mesurons l’importance et la nature singulière.

Des positions divergentes vont se manifester, mais toutes témoigneront de convictions sincères et profondes comme de la diversité de nos approches personnelles de la vie et de la mort.

Dans ce débat s’exprimeront aussi, très certainement, des regrets, des craintes et des doutes.

Des regrets seront exprimés par ceux qui souhaitent voir reconnaître un droit à l’assistance pour mourir et instituer un dispositif assurant l’effectivité d’un tel droit. Toutefois, je pense que nous n’avons pas le droit de compromettre les raisons, même minimes, qui permettent d’espérer encore de la vie.

Des craintes viendront de ceux qui, au contraire, appréhendent, avec la formalisation juridique des protocoles de sédation profonde, un basculement vers une euthanasie qui ne dirait pas son nom, car nous avons le devoir, comme le dit Emmanuel Hirsch, de « préserver l’humanité et ne pas renoncer à reconnaître l’autre en ce qu’il demeure jusqu’au terme de son existence ».

Des doutes, enfin, se feront entendre, car il est légitime de s’interroger sur la nécessité et les limites de l’approche législative en une telle matière. Il faut également s’interroger sur les directives juridiques qui entraînent des protocoles exécutés à la demande et livrés à toutes sortes de dérives, car l’homme est humain.

La loi peut-elle apporter les réponses appropriées à toutes les situations ? Peut-elle prétendre satisfaire les attentes supposées de nos concitoyens, alors que la fin de vie demeure, pour les malades et leur famille, source de sentiments complexes, avec leur part d’ambivalence, de variabilité, d’hésitation et parfois de contradiction ?

Jusqu’où le législateur peut-il, par des procédures codifiées, encadrer la relation particulière entre le patient et son médecin, ce colloque singulier qui reste à la base de notre conception de la médecine ?

Quel substitut donner à la volonté du malade lorsque celui-ci est dans l’impossibilité de l’exprimer ? Quelle autorité reconnaître à la parole de ses proches, pour autant qu’ils ne se contredisent pas ?

Cette proposition de loi ne pourra répondre à toutes ces questions, ce que n’ont pas fait non plus les textes précédents, d'ailleurs. Le Président de la République, le Gouvernement et l’Assemblée nationale n’ont pas voulu introduire dans notre droit, me semble-t-il, l’euthanasie, le suicide assisté ou toute forme de droit à se faire donner la mort.

À proximité de la mort et face à elle, nul ne détient la vérité.

La commission des affaires sociales du Sénat approuve la position prise par les rapporteurs. J’espère que cette position sera aussi celle de notre Haute Assemblée, car, comme je l’ai déjà exprimé à plusieurs reprises à cette tribune, je ne crois pas qu’il appartienne à notre société d’instaurer, fût-ce dans le contexte dramatique des souffrances et des angoisses d’une fin de vie, un droit d’administrer la mort. N’instrumentalisons pas le concept de dignité en inscrivant dans la loi les éléments favorables à une dépénalisation de l’euthanasie.

Le droit de vivre est-il contestable ? Je ne crois pas qu’une telle mission puisse être assignée à des médecins, des infirmiers ou tout autre personnel soignant. Je ne crois pas davantage que le suicide, qui reste une liberté, puisse devenir un droit, même dans les circonstances spécifiques des phases ultimes de la maladie.

Pour autant, faut-il se satisfaire des conditions actuelles de fin de vie de nos concitoyens ? Certainement pas. Nombre d’orateurs l’ont exprimé avant moi. J’approuve sur ce point ce qui a été dit par nos rapporteurs, par les auteurs de la proposition de loi, lorsque nous les avons reçus devant la commission des affaires sociales, et par les experts les plus qualifiés, qui ont souligné au cours des derniers mois nos carences dans la diffusion des soins palliatifs comme dans la connaissance et dans l’application de toutes les dispositions de la loi de 2005.

Le premier mérite de cette proposition de loi Claeys-Leonetti, à mes yeux, tient justement à ce que sa préparation a de nouveau mis en lumière des faiblesses auxquelles il est indispensable et urgent de remédier.

Son examen est l’occasion de réaffirmer devant le Parlement, mais aussi au-delà, auprès du monde médical et de l’ensemble de la société, la nécessité de donner son plein effet au cadre législatif mis en place en 1999, en 2002, puis en 2005.

L’élaboration d’un nouveau plan triennal de développement des soins palliatifs, dont vous venez de nous parler, madame la ministre, va dans ce sens. Je souhaite que ce débat soit l’occasion, pour le Gouvernement, d’en préciser le contenu et les moyens.

Il est à mon sens nécessaire de généraliser une culture palliative aujourd’hui encore trop cantonnée à des équipes spécialisées, en favorisant par la formation initiale et continue la connaissance de ces pratiques soignantes, mais aussi celle des dispositions législatives qui proscrivent l’obstination déraisonnable et définissent ce que doit être l’accompagnement des malades en fin de vie.

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