Intervention de Françoise Gatel

Réunion du 16 juin 2015 à 14h30
Malades et personnes en fin de vie — Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Françoise GatelFrançoise Gatel :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, je tiens en préambule à saluer avec une très grande sincérité l’excellent travail de nos collègues rapporteurs, qui a permis d’améliorer le texte issu de l’Assemblée nationale en clarifiant certains points ambivalents.

Aujourd’hui, nous débattons d’un sujet difficile, entouré d’émotions et de convictions et auquel chaque individu, que ce soit pour lui-même ou pour un être cher, sera fatalement confronté.

La mort est un déchirement, un arrachement à la vie, à ceux que nous aimons ; elle est aussi la tragique disparition de ceux qui nous laissent orphelins de leur présence. Toutefois, elle est une issue fatale. L’appréhension de la mort, dans notre société qui sacralise la performance et le progrès, mais sanctionne l’échec, explique la difficulté que représente la question de la fin de vie. Son évocation renvoie à nos valeurs personnelles, mais aussi à celles de notre société.

La mort aujourd’hui est refoulée et devient cette vérité que nous ne pouvons regarder en face. Un sentiment de peur, de gêne, d’échec d’une médecine curative amène à sa mise à l’écart de la vie publique.

Dans les sociétés antérieures, nos parents et nos grands-parents mouraient chez eux, entourés de leur famille et de leur affection. Aujourd’hui, la mort se cache. Elle est une étrangère qu’il s’agit de ne plus voir, un tabou de société, qui explique d’ailleurs que la plupart des personnes meurent à l’hôpital ou en maison de retraite, souvent dans ce que Norbert Elias appelle « la solitude des mourants ».

Faut-il rappeler que, dans notre pays, près de 8 000 personnes résidant en EPHAD décèdent chaque année dans les heures qui suivent leur admission dans le service d’urgence d’un hôpital ?

Pouvons-nous abandonner ceux qui vont mourir à l’acharnement déraisonnable, à la solitude, à la douleur et à la souffrance, car c’est ainsi que les hommes meurent trop souvent ?

Ce texte pose aussi la question de la finalité de la médecine, une médecine curative faite pour sauver et guérir, alors qu’elle doit aussi prendre soin et soulager. Aujourd’hui, le cantonnement des soins palliatifs à la fin de vie, vous l’avez dit, madame la ministre, est générateur d’angoisse pour le patient et ses proches, qui l’associent à une mort imminente.

Les soins palliatifs sont dans notre pays une indignité, malgré la loi de 1999 qui prône l’accès de tous à ces traitements.

La loi Leonetti de 2005 a représenté une avancée majeure ; elle a permis d’améliorer la prise en compte de la volonté du patient et de ses souffrances, en faisant progresser les soins palliatifs et en condamnant l’acharnement thérapeutique. Hélas, mal connue et appliquée, elle se révèle insuffisante. La prise en charge des malades en fin de vie souffre ainsi de plusieurs insuffisances.

La première, ce sont les inégalités multiples et scandaleuses en termes d’accessibilité, puisque seuls 20 % des patients qui pourraient en bénéficier ont accès aux soins palliatifs. Il existe ensuite de très fortes disparités territoriales, puisque quelque 70 % des lits de soins palliatifs sont concentrés dans cinq régions. On constate enfin des inégalités au niveau des structures, car si l’offre hospitalière reste notoirement insuffisante, les structures médico-sociales sont très peu développées et la possibilité de mourir à son domicile, dans son cadre familier, auprès de ses proches, quasi inexistante. Ainsi, quelque 70 % des malades meurent en milieu hospitalier, alors que 70 % des Français affirment vouloir mourir chez eux.

La deuxième insuffisance concerne le manque flagrant de formation des médecins aux soins palliatifs. Le déficit de formation des professionnels de santé et des accompagnants rend la situation actuelle inacceptable et même trop souvent indigne.

Les médecins doivent mieux appréhender la limite entre l’efficacité et l’« obstination déraisonnable », car science sans conscience est vaine. Le serment d’Hippocrate engage à sauver et à guérir ; les médecins, trop souvent encore, refusent d’accepter l’impuissance de la science, mais la médecine se doit d’être curative et palliative.

Malgré une amélioration de la formation, le rapport Sicard de 2013 montre l’ampleur des progrès à entreprendre pour sensibiliser les médecins aux soins palliatifs. Comme le souligne ce document, les personnes malades en fin de vie éprouvent, pour la plupart d’entre elles, le sentiment soit d’être soumises à une médecine qui privilégie la performance technique au détriment de l’attention qui devrait leur être portée, soit d’être purement et simplement abandonnées. Il s’agit ici de soulager avec compétence et d’accompagner avec humanité.

L’Observatoire national de la fin de vie estime ainsi que quelque 80 % des médecins n’ont reçu aucune formation à la prise en charge de la douleur.

Madame la ministre, tant que ce type de formation ne sera pas véritablement intégré dans le cursus et valorisé, tant qu’une véritable culture palliative ne sera pas développée dans notre pays, le changement de pratiques en France face aux situations de fin de vie restera pathétique.

La troisième insuffisance concerne le manque de moyens.

Madame la ministre, nous serons extrêmement vigilants, lors du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale, au fait que les crédits nécessaires soient alloués aux soins palliatifs, conformément à la volonté annoncée à la fin de l’année dernière par le Président de la République de combler le retard français en la matière.

La quatrième insuffisance porte sur l’information du grand public. L’ensemble des sondages montre l’ignorance actuelle de nos compatriotes sur le dispositif existant. Vous l’avez rappelé, madame la ministre, seuls 2, 5 % de nos concitoyens ont rédigé des directives anticipées.

Aujourd'hui, les patients et les familles souhaitent être associés aux décisions qui les concernent et attendent un rééquilibrage entre le savoir médical et les attentes des malades.

La proposition de loi va parfaitement dans ce sens. Force est de constater qu’en devenant contraignantes, les directives anticipées faciliteront la prise de décision qui appartient au médecin et la prise en charge de personnes incapables d’exprimer leur volonté. Chacun de nous songe à la situation dramatique et violente récemment médiatisée, au cœur d’une tourmente juridique et familiale si tragique et si inhumaine.

La loi permettra également de sécuriser les médecins. En ce sens, le principe d’une procédure collégiale assure le médecin d’une sécurité juridique accrue, mais aussi la famille et le patient de la prise en compte de leur volonté légitime d’être entendus.

Ce texte, s’il a pour vertu d’éclaircir certains points importants, soulève également son lot de questions, notamment celle, particulièrement délicate et douloureuse, de la néonatologie, ou celle des personnes hors d’état d’exprimer leur volonté et n’ayant pas rédigé de directive.

De façon plus globale, à partir de quel point peut-on considérer que les traitements n’éviteront pas une issue fatale ? Est-on encore vivant si l'on n’a plus ni conscience ni aucune interaction possible avec le monde autour de soi et que seul le corps subsiste ? Peut-on et doit-on aller plus loin dans certains cas exceptionnels où l’abstention thérapeutique ne suffit pas à soulager les douleurs insupportables ?

Ce texte est critiqué par ceux dont les convictions sont que la vie est sacrée et qu’elle n’appartient pas aux hommes ; il l’est aussi par ceux qui espèrent, au nom de leur liberté individuelle, un droit à mourir.

Toutefois, mes chers collègues, ce texte n’est pas fait pour celles et ceux qui veulent mourir ; il est fait pour ceux qui vont mourir, dont le pronostic vital est engagé. Notre société ne peut laisser mourir dans la souffrance, l’angoisse et la solitude. Apaiser, soulager est un devoir de fraternité. Ce texte engagera notre société, comme il vous engagera, madame la ministre, à respecter vos promesses ; il vous obligera.

La fin de vie pose des questions éthiques, philosophiques, religieuses et morales infiniment personnelles. C’est pourquoi chacun des sénateurs du groupe UDI-UC se prononcera en conscience sur ce texte, un texte équilibré qui permet de répondre à l’exigence d’une fin de vie apaisée, sans pour autant banaliser les actes pouvant conduire à la mort.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion