Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au cours des dernières décennies, le choix de la fin de vie est devenu l’une des grandes problématiques sociétales.
Oui, c’est la société dans son ensemble qui s’est continuellement saisie de cette question. J’ai dénombré pas moins de vingt-quatre initiatives parlementaires, sans compter les avis du Conseil d’État, du comité consultatif national d’éthique, de la conférence citoyenne, ou les prises de position de grandes associations comme l’association pour le droit à mourir dans la dignité, l’ADMD, dont je salue l’investissement.
Mme la ministre a rappelé l’engagement et la volonté du Président de la République ; je n’y reviens pas. Conformément à sa promesse, le chef de l’État a engagé un large processus de consultation sur la fin de vie. On le sait, la mission confiée au professeur Didier Sicard a été la première étape d’une série de débats publics et de propositions sous formes diverses. Son rapport a éclairé les travaux de l’Assemblée nationale et du Sénat.
En 2011, le Premier ministre, Manuel Valls, évoquait une proposition de loi de sénateurs socialistes, communistes et UMP, discutée alors au Sénat, qui avait su aller par-delà les clivages partisans.
Nous le savons, il s’agit non pas de définir les critères d’une mort digne, mais de permettre à chaque individu d’en être le seul juge. Je crois avec force qu’apporter des réponses à la question du choix de sa propre mort et à celle de la souffrance, c’est affirmer dans quelle société nous voulons vivre. On prête souvent les propos suivants à André Gide : il nous faut « penser la mort pour aimer mieux la vie ». Ils sont riches de sens. Il est des phrases qui nous élèvent.
Nous sommes nombreux à penser qu’il est temps de franchir une étape nouvelle dans cette « longue marche vers une citoyenneté totale », pour reprendre les mots extraits de l’exposé des motifs de la proposition de loi récemment adoptée par les députés. Ce texte reconnaît un droit à la sédation profonde et continue pour accompagner l’arrêt de traitement. Le patient pourra spécifier dans ses directives anticipées sa demande d’accéder à une sédation, dans les circonstances prévues par la loi.
Ce texte affiche des objectifs louables : il se veut un effort en faveur d’une meilleure prise en charge des patients en fin de vie ; il se dit un effort en faveur d’une diffusion de la culture palliative chez les professionnels de santé ; il entend faire en sorte que, à la volonté du patient, corresponde un acte du médecin.
Cependant, après avoir lu ce texte, un certain nombre d’entre nous estime que les choses ont peu avancé eu égard aux nombreux travaux, interventions, consultations menées depuis des années et aux évolutions constatées de la jurisprudence. Malgré de grandes annonces, nous constatons que le texte se limite à autoriser l’accès à la sédation en phase terminale et à renforcer le caractère contraignant des directives anticipées.
Je salue néanmoins le travail des rapporteurs, qui se sont attachés à préciser le texte sur de nombreux points, notamment à l’article 3.
La mention de la prolongation « inutile » de la vie concernant les conditions de mise en œuvre de la sédation profonde et continue jusqu’au décès était, en effet, une réelle source d’ambiguïtés qui méritait d’être supprimée. Il en est de même pour l’expression de directives « manifestement inappropriées » à l’article 8.
Pour autant, le groupe socialiste a déposé une série d’amendements qui visent à aller plus loin – pas trop loin non plus, rassurez-vous, madame la ministre ! Je tiens à remercier sincèrement Jean-Pierre Godefroy et Dominique Gillot de leur travail.
Nous avons ainsi souhaité rétablir la rédaction initiale de l’article 2, en ajoutant la référence à l’article 37 du code de déontologie médicale concernant la procédure collégiale. Au même article, nous avons également rétabli l’inscription explicite dans le texte que « la nutrition et l’hydratation artificielles constituent un traitement ».
Je salue d’ailleurs la qualité des débats qui ont eu lieu en commission sur ce sujet. Notre travail n’est pas encore terminé. Il convient, selon nous, de tenir compte des apports de la décision du Conseil d’État du 24 juin 2014.
Comme nous estimons – je l’ai dit ici à l’occasion de débats sur les vaccinations – que la carte Vitale est un excellent support, nous souhaiterions qu’y soient inscrites la mention de l’existence de directives anticipées et les informations relatives à la personne de confiance.
Nous sommes très attachés à ce que soit étendue l’allocation journalière d’accompagnement d’une personne en fin de vie dans des établissements de santé. Notre amendement sur ce sujet a été « retoqué », pour employer un terme du jargon parlementaire, par la commission des finances. C'est la raison pour laquelle nous demandons un rapport pour obtenir une évaluation des coûts d’une telle extension. En effet, près de 58 % des décès se produisent dans des établissements de santé. Cette situation doit changer.
Enfin, nous plaçons la sensibilisation de la population à ces questions au cœur du dispositif, en informant cette dernière de ses droits, notamment à l’occasion de la journée défense et citoyenneté, occasion unique de sensibiliser très tôt l’ensemble de la population.
Par ailleurs, je déplore, comme d’autres orateurs avant moi, une carence du texte sur la formation des étudiants en médecine sur les soins palliatifs. Un temps de formation obligatoire sur ce sujet inclus dans le cursus des étudiants favoriserait l’information des médecins et permettrait le développement d’une culture du palliatif en France. Le rapport de MM. Amiel et Dériot le souligne : les droits des malades en fin de vie sont inégalement respectés sur notre territoire, et ces pratiques hétérogènes accentuent les inégalités face aux conditions de la mort.
Il n’aura échappé à personne que de nombreux sénateurs socialistes ont cosigné un amendement qui a pour objet de reprendre le contenu des nombreuses propositions de loi déposées au Sénat. Cet amendement, qui vise les personnes, qu’elles soient en état ou hors d’état d’exprimer leurs volontés, pour lesquelles l’arrêt du traitement ne suffirait pas à soulager leur douleur, tend à leur donner la possibilité de bénéficier d’une assistance médicalisée pour mourir.
Il s’agit non pas de donner la mort, mais d’accompagner une mort choisie. Je suis cosignataire de cet amendement, mais comme je m’exprime à cette tribune en tant que chef de file du groupe socialiste, je ne m’étendrai pas sur cette question.
Mes chers collègues, je ne saurais terminer ce propos sans rendre hommage à l’un de nos collègues ici présents, ce qui est inhabituel à cette tribune, Jean-Pierre Godefroy.
Mon cher collègue, vous êtes un homme de justesse et d’équilibre, un homme à qui nous devons le plus profond respect, tant votre combat dans ce domaine marquera l’histoire de notre assemblée. Ce texte ne rend pas suffisamment hommage aux combats dans lesquels vous vous êtes engagé il y a bien longtemps déjà. Léon Blum écrivait : « L’homme libre est celui qui n’a pas peur d’aller jusqu’au bout de sa pensée. » Monsieur Godefroy, c’est cette réflexion que vos travaux m’inspirent.