Intervention de Claude Bérit-Débat

Réunion du 11 juin 2015 à 11h00
Débat sur le bilan annuel de l'application des lois

Photo de Claude Bérit-DébatClaude Bérit-Débat :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mesdames, messieurs les présidents des commissions permanentes, mes chers collègues, comme tous les ans depuis 2012, nous voici réunis en séance publique pour faire le point sur l’application des lois, en présence de M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement.

Cette année, vous aurez cependant noté deux différences importantes de procédure : tout d’abord, nous siégeons en salle Clemenceau, qui est sans doute plus appropriée que l’hémicycle pour un débat de contrôle de ce type ; ensuite, comme l’a décidé le bureau du Sénat, la synthèse des observations des commissions permanentes m’a été confiée, en ma qualité de président de la délégation du Bureau chargée du travail parlementaire, du contrôle et des études.

Les années précédentes, ce travail était effectué par une instance ad hoc présidée par notre collègue David Assouline, dont je tiens à saluer l’excellence du travail. Tirant les conséquences de la révision constitutionnelle de 2008, il a beaucoup contribué à diffuser la nouvelle culture du contrôle et de l’évaluation.

Au-delà des différences formelles, l’essentiel est la vigilance inlassable que le Sénat exerce depuis plus de quarante ans sur une bonne mise en application des lois votées par le Parlement.

Vous trouverez dans mon rapport écrit tous les chiffres et toutes les données qualitatives de la dernière session, en l’occurrence l’année parlementaire 2013-2014.

Ce matin, je me contenterai donc d’en récapituler les points essentiels, tels que j’ai pu les présenter en conférence des présidents le 27 mai dernier.

Les données ont été élaborées à partir des bilans détaillés des commissions permanentes et des statistiques de la direction de la législation et du contrôle du Sénat, après recoupement avec les chiffres quasi concordants du Secrétariat général du Gouvernement.

Nous avons également eu l’honneur et le plaisir de recevoir le nouveau Secrétaire général du Gouvernement, M. Marc Guillaume, le 19 mai dernier, quelques semaines seulement après son entrée en fonctions, en présence des présidentes et présidents des commissions permanentes ou de leur représentant.

Je retiendrai sept points de ce bilan.

Premièrement, la production législative a été soutenue. Sur l’année, 66 lois ont été promulguées, hors conventions internationales, contre 50 l’année précédente, soit une augmentation de plus de 30 %. Sur l’ensemble, 40 % des lois ont été d’initiative parlementaire, et le Sénat, avec 9 propositions de loi, a été à lui seul à l’origine de presque une loi sur sept.

Deuxièmement, en nombre de lois, le pourcentage d’application totale ou partielle a atteint 94 % ; mais, comme je l’explique dans mon rapport écrit, ce chiffre impressionnant n’a qu’une signification relative. En effet, 27 des 66 lois de l’année n’appelaient aucune mesure réglementaire et étaient donc « d’application directe ».

Troisièmement, le décompte par mesure sur l’ensemble de la législature, donc depuis le 20 juin 2012, me semble plus révélateur. Le Secrétaire général du Gouvernement annonce à ce jour un taux de 65 %, qui rejoint nos propres estimations.

Nous avons également établi le pourcentage de parution des textes nécessaires à la mise en œuvre des mesures législatives de la précédente session, qui s’élève à ce jour à 55 %. Là encore, il s’agit d’un simple indicateur tendanciel, qui ne prend pas en compte tous les textes déjà parus ou encore à paraître après le 31 mars 2015.

Au total, on peut considérer que le taux réel d’application des lois tourne aujourd’hui autour de 65 %.

Ce taux appelle deux observations de ma part.

De prime abord, on pourrait le juger insuffisant, ou regretter qu’il stagne depuis cinq ans. Certes, il y a encore des progrès à attendre, mais le taux actuel est tout de même très supérieur aux pourcentages calamiteux observés avant 2010, lesquels tournaient entre 15 % et 30 %.

Ensuite, ce pourcentage global masque de gros écarts entre les différentes commissions, avec, par exemple, seulement 30 % pour les lois relevant de la commission des affaires économiques, contre 95 % pour les textes relevant de la commission de la culture. De son côté, le Secrétaire général du Gouvernement a reconnu que des écarts sensibles existaient entre les ministères.

Quatrièmement – et c’est une autre tendance dans la durée –, sur 54 lois votées au début de la XIVe législature, du 20 juin 2012 au 30 septembre 2013, seules 2 lois n’ont encore connu aucun début de mise en application. Autrement dit, le stock de lois durablement inappliquées n’augmente pas, même s’il est trop tôt pour tirer des conclusions définitives.

Cinquièmement, s’agissant des délais de publication, une circulaire de février 2008 donne aux ministères six mois à compter de la promulgation d’une loi pour faire paraître leurs textes. En pratique, ce délai est rarement respecté en raison de la complexité du processus de rédaction des décrets.

Là encore, la charge de travail est très inégale selon les ministères : certains sont submergés de décrets quand d’autres n’en rédigent presque jamais. L’an dernier, seulement 30 % des textes d’application sont sortis dans les six mois ; mais ce pourcentage n’a rien d’alarmant, car, en général, les dépassements restent dans la limite du raisonnable : sur 491 décrets d’application de la précédente session, 86 % sont sortis en moins d’un an.

Au total, le délai moyen de parution des décrets d’application tourne autour de huit mois et cinq jours.

Sixièmement, cette année encore, monsieur le secrétaire d’État, le seul vrai point noir réside dans le dépôt – je devrais plutôt évoquer « l’absence de dépôt » – des rapports demandés par le Parlement.

Sur la moyenne des dix dernières sessions, seulement 60 % des lois demandant un rapport ont été suivies d’effet. Cette lacune est certes dénoncée depuis des années, mais la situation ne s’améliore pas au fil des sessions. Ce constat devrait nous conduire à nous interroger sur les raisons de ce phénomène. Peut-être demandons-nous trop de rapports ? Force est de constater qu’un rapport est aussi, assez souvent, une concession du Gouvernement en échange du retrait d’un amendement. Aussi, il est permis de s’interroger sur ce type de pratique…

Cependant, le constat est là, et quelles qu’en soient les raisons, bonnes ou mauvaises, le défaut de remise des rapports est une atteinte regrettable à l’exercice par le Sénat de sa fonction constitutionnelle de contrôle.

Enfin, septièmement, monsieur le secrétaire d’État, je souhaite attirer l’attention du Gouvernement sur un point d’ordre plus qualitatif : la pratique montre que, assez souvent, les textes d’application ne sont pas pleinement fidèles aux lois qu’ils sont censés appliquer.

On assiste même parfois à un phénomène de distorsion cumulative : le décret s’écarte un peu de la loi, puis la circulaire s’écarte à son tour du décret, et, d’interprétation en interprétation, le droit appliqué sur le terrain n’est plus conforme à l’intention initiale du législateur. Les élus locaux ont trop souvent l’occasion d’observer des situations de ce genre.

J’ai fait état de ce phénomène lors de l’audition du Secrétaire général du Gouvernement et il conviendra d’y réfléchir. D’autres pistes de réflexion ont été évoquées lors de cette audition, en particulier sur les retards dans les réponses ministérielles aux questions des sénateurs, mais le temps me manque pour les développer.

En conclusion, je crois légitime de dire que les chiffres de 2013-2014, sans être exceptionnels, vont dans le bon sens. Il faut en donner acte au Gouvernement, car il a pris cette question à bras le corps, la coordination étant effectuée par vos soins, monsieur le secrétaire d’État. Une communication mensuelle en conseil des ministres est désormais réalisée à cet égard, innovation dont on ne peut que se réjouir.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les procédures et les techniques du contrôle évoluent d’une année sur l’autre, mais l’application des lois reste un combat de tous les jours. Le Sénat et ses commissions permanentes s’y impliquent activement, et y déploient une grande expertise. Ce travail constitue, à mes yeux, une activité de contrôle parlementaire au meilleur sens du terme : non pas un combat contre le Gouvernement, mais un effort aux côtés du Gouvernement et au service de nos concitoyens. Cette démarche démocratique est essentielle, car la loi votée par le Parlement exprime la volonté générale, et il importe d’en faire, à tous les niveaux, l’application la plus fidèle et la plus rapide possible.

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