Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en abordant le bilan de l’application des lois, nous interrogeons, au fond, la performance du processus démocratique. Les parlementaires que nous sommes sont au cœur de ce processus, et se trouvent aujourd’hui à la croisée de leurs deux missions : l’élaboration de la loi et le contrôle de l’action du Gouvernement.
Le principe démocratique ne peut être garanti par la seule existence de débats parlementaires, aussi enrichissants soient-ils, mais il doit se traduire par une mise en application des lois qui sont votées.
Quelle portée aurait notre travail si celui-ci ne débouchait pas sur une mise en œuvre réelle des mesures élaborées et votées ?
Nous livrant chaque année à ce débat, nous constatons assez régulièrement des manquements quasi permanents au processus démocratique. Malgré certains progrès, nous ne parvenons toujours pas au taux idéal de 100 % de mise en application des lois dans les délais.
Un principe simple doit être rappelé : toute loi votée doit être appliquée, et seule cette issue doit nous satisfaire. Nous ne saurions nous contenter du taux actuel de 60 % ou 65 % de mise en application. Cela est d’autant plus important que le taux d’application des lois d’initiative parlementaire est plus faible que celui des textes d’initiative gouvernementale, et qu’il tend à être encore moins élevé quand ces lois sont issues du Sénat.
La non-application des lois met donc à mal les droits du Parlement, de notre assemblée, et donc l’initiative législative des groupes parlementaires, lesquels ne disposent déjà que de peu d’espaces dédiés à la discussion des propositions de loi.
Nous constatons également des manquements en ce qui concerne les rapports, prescrits par la loi, que le Gouvernement doit remettre au Parlement. Ceux-ci sont pourtant utiles puisqu’ils permettent au Parlement d’exercer un contrôle sur l’action du Gouvernement.
Au-delà de ces constats, je pense que la question de l’application des lois a beaucoup à voir avec les conditions dans lesquelles celles-ci sont présentées et adoptées.
S’il est vrai que les rapports demandés au Gouvernement, compte tenu de leur nombre important, « nous coûtent très cher », comme le disait M. Houel, au nom de la commission des affaires économiques, et correspondent à des demandes parfois « redondantes », pour reprendre le terme employé par le président de la commission du développement durable, cela est aussi la conséquence, tout au moins pour une part non négligeable, de l’impossibilité pour un groupe parlementaire de proposer des mesures législatives engageant les finances de l’État. Nous ne pouvons ni présenter de telles propositions ni en discuter, puisqu’elles sont invariablement censurées par la commission des finances et n’apparaissent à aucun moment dans le débat public.
Nous sommes donc très souvent contraints, pour faire avancer le débat d’idées – nous sommes là pour cela – et envisager des alternatives, de demander des rapports. Ne vaudrait-il pas mieux laisser s’exercer à plein le débat démocratique, ne pas entraver le droit d’amendement et laisser ainsi les parlementaires s’emparer de tous les sujets, quitte à ce que leurs propositions ne soient pas adoptées, le jeu majoritaire et la responsabilité s’exerçant par la suite ? Nous éviterions peut-être ainsi l’inflation de rapports, et par conséquent de rapports non rendus.
Cela étant, nous continuons à faire face à une avalanche de textes qui peinent à trouver leur place dans un calendrier chargé, menant désormais à des sessions qui n’ont plus d’extraordinaires que le nom et à un recours trop important à la procédure accélérée ou, pis encore, aux lois d’habilitation autorisant le Gouvernement à légiférer par voie d’ordonnance.
En relation avec l’impossibilité de mettre en œuvre toutes les lois votées, une réflexion sur l’utilité et les bienfaits de ces méthodes doit être engagée.
Cette surcharge nuit à la qualité du travail parlementaire et contredit l’exigence essentielle de stabilité, de sécurité et de lisibilité de la loi pour les citoyens.
En conclusion, nous considérons que les progrès accomplis à ce jour sont réels, mais encore largement insuffisants.