Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le Sénat débat aujourd’hui, pour la cinquième fois de son histoire, de l’application des lois.
Notre assemblée a joué un rôle précurseur dans le contrôle de l’application des lois. Chaque commission assure en effet, depuis 1971, le suivi de l’application des textes qu’elle a examinés.
Entre novembre 2011 et 2014, la commission pour le contrôle de l’application des lois, organe ad hoc créé par le Sénat, s’est acquittée de cette mission sous l’égide de notre collègue David Assouline, son président. Cette expérience n’a pas été reconduite lors du renouvellement d’octobre 2014, dans le souci de restituer aux commissions permanentes la plénitude de leurs prérogatives de contrôle.
Il ne s’agit pas là d’un débat inutilement technique. Derrière se cachent des enjeux importants pour nos concitoyens, qui attendent les effets et bienfaits des lois que nous avons votées ces derniers mois, et qui concernent de nombreux domaines, comme la consommation, la santé, l’économie réelle, et beaucoup d’autres.
Nous avons dernièrement, par exemple, voté une loi permettant le don de jours de repos à un parent d’enfant gravement malade. Les dispositions relatives à la fonction publique n’ont été publiées que très récemment, comme l’a indiqué tout à l’heure M. le président de la commission des affaires sociales.
Il est vrai que le délai moyen de parution des textes d’application est de plus de huit mois.
Comme le souligne le rapport d’information de Claude Bérit-Débat, le taux d’application des lois de la XIVe législature est aujourd’hui de l’ordre de 60 % à 65 %, même si des écarts notables entre les textes existent parfois. D’une manière générale, la tendance est à l’amélioration du taux d’application des lois ; si celui-ci peut sembler insuffisant, il est cependant largement meilleur qu’avant 2010, où il oscillait entre 15 % et 30 %, soit un taux très médiocre.
Nous ne pouvons que regretter que l’engagement de la procédure accélérée, devenue quasi normale, n’ait pas permis d’améliorer encore ce taux d’application. Une fois de plus, on ne constate aucune différence en termes de taux d’application entre les lois pour lesquelles la procédure accélérée a été engagée et celle dont l’examen a fait l’objet de la procédure parlementaire normale. La procédure accélérée est ainsi devenue un prétexte pour se passer de deuxième lecture, ce qui conduit à surcharger, par la discussion de nouveaux textes, un ordre du jour parlementaire au rythme déjà effréné, qui nous occupe le jour, le soir et nous mène même parfois jusqu’au bout de la nuit...
Les causes de retard ou de carence en matière d’application des lois sont connues et multiples. Le retard peut résulter d’une volonté politique du Gouvernement, en désaccord avec une loi votée par le Parlement, voire avec l’un de ses membres. Il peut également avoir des raisons techniques : difficulté d’élaboration des décrets, obligation de recueillir des avis, complexité des questions à régler, divergence de vues entre ministres, mauvaise rédaction de la loi qui nécessite son interprétation.
Il n’existe pas de véritable contrainte pour obliger le pouvoir réglementaire à s’acquitter de sa mission dans des délais raisonnables. C’est ce constat qui a conduit le groupe du RDSE à déposer une proposition de loi tendant à reconnaître une présomption d’intérêt à agir des membres de l'Assemblée nationale et du Sénat en matière de recours pour excès de pouvoir. Il s’agissait de renforcer la mission de contrôle de l’action du Gouvernement par le Parlement que prévoit, depuis la révision constitutionnelle de 2008, l’article 24 de la Constitution. Les auteurs de ce texte avaient, à ce propos, rappelé que le contrôle du Parlement revêtait une nature informelle, par le biais du contrôle de l’application des lois et des mesures réglementaires d’application de celles-ci.
La carence du pouvoir exécutif à édicter les mesures réglementaires d’application dans un délai raisonnable, la dénaturation de la volonté du Parlement ou encore l’empiètement sur une compétence du pouvoir législatif ne peuvent faire l’objet d’injonctions du Parlement. L’examen de la proposition de loi simplifiant les conditions de saisine du Conseil national d’évaluation des normes en a été une nouvelle illustration. En outre, plusieurs commissions permanentes ont, encore cette année, déploré que certains règlements d’application ne soient pas conformes à l’intention du législateur et n’assurent donc pas une mise en œuvre fidèle des mesures législatives qu’ils sont censés appliquer.
Un autre point attire notre attention. Le rapport d’information de Claude Bérit-Débat souligne que « le taux de présentation des rapports demandés par le Parlement reste cette année encore très médiocre » et que « sur la moyenne des dix dernières sessions, seulement 60 % des lois demandant un rapport ont été suivies d’effet ».
Nous souhaitons aller plus loin encore dans ce constat. Le législateur multiplie les demandes de rapports au Gouvernement. Pratiquement chaque article du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, actuellement en cours d’examen par le Parlement, prévoit un rapport. Personnellement, j’y suis très réticent et il me vient à l’esprit cette phrase du président américain Eisenhower, ancien général militaire, qui aimait dire à ses collaborateurs : « Faites-moi un schéma, car un schéma en dit souvent plus long que le plus long des rapports. »
Les rapports se substituent ainsi à de véritables mesures législatives normatives. Ils deviennent des palliatifs à l’action du Gouvernement et anticipent sur une réflexion qui aurait dû être menée en amont même du projet de loi. Quid de l’étude d’impact ? Nous en reparlerons lors de l’examen de la proposition de loi organique relative aux études d’impact qu’a déposée le groupe du RDSE. Quand nous votons ce type de dispositions, nous savons le sort qui leur sera réservé. Les demandes de rapport conduisent à dessaisir le Parlement de ses prérogatives, ce qui n’est pas souhaitable !
Il y aurait encore beaucoup à dire sur ce sujet du partage des compétences entre pouvoir exécutif et pouvoir législatif. Nous conclurons par cette appréciation digne de figurer sur un bulletin scolaire : « Les efforts en la matière sont à poursuivre. Il faut persévérer, particulièrement du côté de l’exécutif, dont la mission est d’exécuter toujours mieux et toujours plus vite ! »