Intervention de Jean-Claude Luche

Réunion du 11 juin 2015 à 11h00
Débat sur le bilan annuel de l'application des lois

Photo de Jean-Claude LucheJean-Claude Luche :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le philosophe anglais John Locke le considérait déjà : « Il n’est pas toujours nécessaire de faire des lois, mais il est toujours nécessaire de faire exécuter celles qui ont été faites. » L’autorité, la légitimité et, dès lors, l’efficacité de l’action de la loi – donc de l’État – en dépendent !

À l’heure où tant de nos concitoyens rejettent la politique et ceux qui la font, nous ne pouvons plus nous permettre d’écart. Les élus de tous bords politiques, qui sont nos relais dans les régions, les départements et les communes, sont désespérés de devoir justifier aux Français qu’ils représentent à quel point le système actuel ne permet pas, dans les faits, de poursuivre l’intérêt général. Ne pas appliquer la loi, faute de directives réglementaires et de moyens humains, institutionnels ou matériels, c’est rompre le lien qui nous unit au peuple que nous représentons et risquer de connaître un rejet du système démocratique en lui-même.

Certes, l’effectivité des lois est la seule garantie de la stabilité et de la sécurité juridiques, voire de l’équilibre entre le législatif et l’exécutif, mais c’est bien plus le préalable nécessaire à la restauration de la confiance des citoyens dans la loi et dans la politique en général.

Au-delà de notre crédibilité, c’est bien du respect des principes républicains qu’il est question. La première condition de l’égalité républicaine est l’effectivité de la loi. Elle doit être une priorité et constituer la base de toute notre action législative.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je vous invite à toujours vous poser les questions suivantes, lorsque vous pensez la loi et que vous la faites naître. La loi est-elle applicable ? Si tel n’est pas le cas, pourquoi ? Où sont les blocages ? Comment les résoudre ? Une fois la loi promulguée, il faut également vous demander si elle est bien appliquée, si les effets attendus sont vérifiés dans les faits, sur le terrain, pourquoi elle ne l’est éventuellement pas et quelles sont les mesures à prendre pour qu’elle le soit.

Force est de constater une fois encore que nous ne nous sommes pas suffisamment posé ces questions. Entre le 1er juillet 2012 et le 30 décembre 2014 en effet, seules 59 % des dispositions nécessitant décret d’application ont été exécutées. Si nous avons réalisé de grands progrès ces dernières années, le taux d’exécution des dispositions appelant décret d’application est en chute libre depuis 2012.

En 2011, 80 % des textes promulgués ont reçu application. C’était déjà insuffisant, mais, depuis, plus d’un tiers des textes ne trouvent pas application. Ainsi, à ce jour, la loi du 24 décembre 2012 visant à la suspension de la fabrication, de l’importation, de l’exportation et de la mise sur le marché de tout conditionnement à vocation alimentaire contenant du bisphénol A dont nous avons tant parlé n’est toujours pas applicable. Il nous faut nous ressaisir. À l’aune d’un objectif de 100 % des lois appliquées pour une confiance renouvelée, nous avons encore du travail !

Au-delà de l’effectivité de l’application des lois, le débat porte également sur le délai de cette exécution. Si le Gouvernement affiche l’ambition de publier tous les décrets d’application six mois maximum après la promulgation de la loi, il faut constater, là encore, que l’objectif n’est toujours pas atteint. Le schéma législatif, déjà illisible, devient insupportable et injuste pour nos concitoyens, qui ont parfois nourri des espérances légitimes. Or celles-ci n’ont que peu de chances de devenir réalité tant le retard dans l’application des lois est important et le rattrapage lent et difficile.

L’inflation législative est une réalité. Elle devient même un fléau. Ne nous trompons pas de combat toutefois : ce n’est pas la production de normes qu’il faut accuser, car elle n’est que la traduction de la complexification de notre société.

Le fléau, c’est la piètre qualité et l’utilité contestable de certaines lois et de certains décrets d’application. Des élus de tous bords politiques nous interpellent fréquemment sur la complexité de certains décrets d’application, qui sont même parfois contraires à l’objet de la loi. Où est la cohérence lorsque le législateur est obligé de modifier une loi pour la mettre en conformité avec les circulaires préfectorales d’application, alors qu’avaient été prises, sur la base de ces circulaires, des mesures sur lesquelles il n’était pas possible de revenir ?

Le problème n’est pas que nos lois sont lourdes ; c’est qu’elles sont aujourd’hui à la fois lourdes et imprécises. Voilà le véritable fléau !

Ces constats que nous dressons depuis plusieurs années doivent trouver une réponse. Les études d’impact devaient garantir une certaine qualité aux nombreuses lois que nous votons. Tel n’est pas le cas. Ces études, rédigées par les services gouvernementaux, ne sont ni suffisamment larges dans leur champ d’analyse ni suffisamment approfondies. Le 1er juillet 2014, le Conseil constitutionnel a d’ailleurs réduit les études d’impact à un rôle strictement formel. Dès lors, peu importe qu’elles soient imprécises et n’apportent aucune information supplémentaire aux parlementaires chargés de voter la loi.

Quant aux nombreux rapports exigés du Gouvernement, ils sont autant de temps perdu, alors que ce temps pourrait être consacré à la rédaction des décrets d’application, donc à l’application réelle de la loi.

Dans ces conditions, que faut-il faire sinon, évidemment, mieux préparer les lois, effectuer des études d’impact indépendantes et approfondies, renoncer à donner priorité au contrôle de l’exécution au détriment de l’exécution elle-même ?

L’application des lois est un enjeu trop important pour ne donner lieu qu’à un débat annuel. Elle doit devenir une priorité de notre action au quotidien.

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