Monsieur le président, monsieur le vice-président, cher ami Claude Bérit-Débat, mesdames, messieurs les présidents de commissions, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de m’accueillir pour ce débat sur l’application des lois, débat qui constitue désormais une tradition du mois de juin pour le Sénat comme pour le Gouvernement.
Avant toute chose, je tiens à saluer la qualité du travail accompli par les commissions permanentes du Sénat et par M. Claude Bérit-Débat. Vous avez su cultiver et préserver l’expertise que le Sénat a développée depuis 1971 en matière d’application des lois.
Comme cela a été rappelé par nombre d’entre vous, l’application des lois est un sujet de préoccupation constante pour le Gouvernement et un droit important du Parlement.
En effet, loin d’être une question technique, la publication des décrets d’application est un enjeu politique et démocratique. Enjeu politique, car, en élaborant un décret, nous devons respecter, faire valoir et « mettre en musique » l’intention du législateur. Enjeu démocratique, car une loi qui ne produit pas ses effets porte atteinte à la crédibilité de la parole publique, et donc à la confiance des citoyens envers leurs représentants.
L’application des lois comporte aussi, pour le Gouvernement, un enjeu d’efficacité et de réciprocité dans ses relations avec les parlementaires. Nous demandons parfois aux assemblées de légiférer assez vite, pour relancer l’activité économique, pour lutter contre le chômage, pour assurer la sécurité de la population. Le moins que nous puissions faire, c’est de demander à l’administration d’être rapide et efficace dans l’élaboration des décrets d’application.
Dans cet objectif, le Président de la République et le Premier ministre ont décidé, dès la fin de l’année 2014, une mobilisation du Gouvernement pour la publication des décrets d’application.
Cette action commence à porter ses fruits : en un an, le taux global d’application des lois a augmenté de presque dix points, alors même que le « stock » de mesures à prendre ne cessait de croître.
Ces éléments témoignent de l’importance que le Gouvernement accorde à l’application des lois, mais je suis conscient qu’ils ne sont pas suffisants pour répondre aux questions très précises qui m’ont été posées au cours de la matinée. Je vais tenter, dans toute la mesure du possible, d’apporter des réponses claires et circonstanciées à chacun des orateurs.
Monsieur Bérit-Débat, vous avez évoqué le faible taux de remise des rapports du Gouvernement au Parlement, et vous n’avez pas été le seul. Il est indéniable que le Gouvernement doit faire des efforts pour mieux respecter ses engagements, notamment en ce qui concerne les rapports dits « de l’article 67 », dont le taux de remise est inférieur à 50 %.
Pour autant, je suis persuadé que, comme plusieurs d’entre vous l’ont signalé, les demandes de rapport sont trop nombreuses, car elles sont détournées de leur finalité première : vous l’avez dit, certains rapports visent non pas à solliciter l’expertise de l’administration, mais à exprimer un mouvement d’humeur ou à surmonter une irrecevabilité financière.
Nous sommes donc touchés par une véritable profusion de rapports : depuis juin 2012, ce ne sont pas moins de 280 nouvelles obligations de dépôt de rapports qui ont été adoptées !
En conséquence, nous avons, me semble-t-il, collectivement intérêt à « recentrer » la demande de rapport sur les sujets les plus sensibles et les plus complexes. S’ils étaient mieux ciblés, les rapports auraient davantage d’utilité pour les parlementaires ; symétriquement, si les demandes étaient moins foisonnantes, les administrations respecteraient plus facilement les délais impartis et leurs travaux seraient probablement de meilleure qualité.
Monsieur Houel, vous avez évoqué la loi ALUR, aujourd’hui applicable à 31 %. Je n’ai pas bien compris si vous souhaitez véritablement une accélération de l’application, ou si vous interrogiez surtout sur la pertinence de celle-ci…
Le débat politique est toujours ouvert. Pour faire progresser le taux d’application, nous avons pris le parti de soutenir le ministère du logement, qui fait preuve d’une mobilisation exemplaire pour améliorer la situation. Des moyens supplémentaires et temporaires seront déployés et les consultations obligatoires seront conduites dans des délais très resserrés. Grâce à ces actions, cent mesures devraient pouvoir entrer en vigueur d’ici à la fin de l’année 2015, ce qui portera le taux d’application de la loi ALUR à environ 75 %.
Vous avez également cité la loi relative à l’économie sociale et solidaire et la loi relative à la consommation. Pour ces deux textes, des progrès importants ont été réalisés en peu de temps : depuis le 31 mars, leur taux d’application a augmenté de plus de dix points. Le progrès est encore plus net pour la loi relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises : en mars, elle n’était applicable qu’à 26 % ; en juin, elle l’est à 68 %.
Monsieur le président Raffarin, vous avez dressé un bilan positif de l’application des lois relevant de votre commission, et je vous en remercie.
Vous déploriez toutefois, à juste titre, que le rapport d’application de la loi d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale n’ait pas été remis au Sénat dans les temps. Néanmoins, comme vous l’avez indiqué, ce rapport a été transmis aux deux assemblées il y a une dizaine de jours.
Monsieur le président Milon, vous avez évoqué le compte personnel de prévention de la pénibilité. Le Sénat débattra de ce dispositif lors de l’examen du projet de loi relatif au dialogue social et à l’emploi, dont l’un des articles vise à simplifier le dispositif de déclaration des critères de pénibilité et à apporter davantage de souplesse aux entreprises. Là aussi, après avoir réfléchi et dialogué, nous modifierons la première rédaction de la loi afin de satisfaire tous les acteurs économiques et sociaux et de leur apporter des garanties.
Je tiens également à vous apporter des précisions sur la mise en œuvre de la loi de décembre 2013 autorisant l’expérimentation des maisons de naissance : après de longues consultations, un projet de décret a été transmis au Conseil d’État au mois de mai. La loi sera donc intégralement applicable au plus tard au mois de juillet.
Enfin, vous m’avez interrogé sur la mise en œuvre de la loi de bioéthique de juillet 2011, et notamment sur un arrêté qui ne vous semble pas conforme à la volonté du législateur. Il y a peut-être ici une confusion : l’arrêté de février 2015 que vous citez vise à définir les conditions d’application non pas de l’article 28, mais de l’article 30 de la loi. L’article 28 doit, lui aussi, faire l’objet d’un arrêté, mais la loi prévoit que ce texte est « pris sur proposition de l’Agence de biomédecine ». Nous sommes encore dans l’attente de cette proposition, qui devrait nous être adressée à la fin de l’année 2015.
Madame la présidente Morin-Desailly, vous avez cité les lois adoptées en 2013 en matière d’éducation.
Dans ce domaine, les perspectives sont encourageantes : la loi pour la refondation de l’école de la République est aujourd’hui applicable à 92 % et il ne manque plus qu’une seule mesure pour atteindre les 100 %. Je ne souhaite pas nourrir une polémique qui nous emmènerait sur un terrain éloigné de l’application des lois à strictement parler ; je constate cependant que cette loi a été adoptée il y a bientôt deux ans et que les derniers décrets publiés ont été soumis à la concertation pendant plusieurs mois, ce qui induit peut-être une certaine lenteur. Là aussi, on s’interroge pour savoir si c’est la publication des décrets ou leur non-publication qui pose question.
Quant à la loi relative à l’enseignement supérieur et à la recherche, également promulguée en juillet 2013, elle sera intégralement applicable cet été : les deux décrets que vous avez cités, qui portent respectivement sur les critères d’attribution de logements sociaux aux étudiants et sur la passation de contrats avec des institutions étrangères ou internationales, devraient être publiés au mois de juillet. Je partage tout à fait votre impatience sur ce point.
Monsieur Filleul, je vous remercie d’avoir mis en avant les bonnes performances du Gouvernement pour l’application de deux textes : la loi sur les lanceurs d’alerte d’avril 2013 – le décret est publié, même si, comme Mme Benbassa le rappelait, les membres de la Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d’environnement n’ont pas encore été nommés – et la loi de juillet 2014 sur la protection des navires.
Vous avez aussi évoqué un texte pour lequel notre bilan est moins satisfaisant : il s’agit de la loi d’août 2014 portant réforme ferroviaire. Ce texte est aujourd’hui applicable à 52 %, mais ce taux devrait rapidement progresser. En particulier, deux textes importants seront publiés avant la rentrée 2015, à savoir le décret relatif aux modalités de transfert du domaine public ferroviaire et le décret sur la contribution locale temporaire – un sujet que vous connaissez bien. En revanche, plusieurs dispositions de la loi ferroviaire n’entreront en vigueur qu’en 2016, si bien que les décrets correspondants ne devraient pas être publiés à court terme : tel est notamment le cas pour le « décret socle » que vous avez évoqué.
Madame la présidente André, vous avez tout d’abord cité la loi de séparation des activités bancaires de juillet 2013, qui est aujourd’hui applicable à 79 %. Une dizaine de mesures manquent encore à l’appel ; parmi elles, cinq sont « bloquées » en raison d’une modification du droit communautaire. Comme vous l’avez vous-même souligné, le droit de l’Union européenne est mouvant et engendre une « législation à durée déterminée » !
Vous avez également évoqué la révision des valeurs locatives. Pour mettre en œuvre cette réforme, nous avons besoin de disposer de simulations fiables. Dès cet été, grâce au travail des commissions intercommunales des impôts, nous disposerons d’éléments stabilisés qui nous permettront d’évaluer les conséquences de cette révision sur les territoires et sur les professionnels.
Monsieur le président Bas, vous m’avez tout d’abord interrogé sur la mise en application de la réforme pénale d’août 2014 et sur le décret relatif aux transactions pénales, dont vous avez rappelé l’importance. Après avoir mené des concertations approfondies avec les agents concernés, le ministère de la justice s’est engagé à finaliser ce texte à l’été 2015 ; il devrait donc être publié très prochainement.
Vous avez ensuite évoqué la loi de modernisation de l’action publique territoriale de janvier 2014, dite loi MAPTAM, aujourd’hui applicable à 50 %.
Comme vous le relevez, ce taux n’est pas satisfaisant, mais il s’explique pour partie par le fait que le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République viendra modifier plusieurs dispositifs issus de la loi MAPTAM. Vous en avez pris la pleine mesure récemment, me semble-t-il. Onze mesures d’application sur dix-huit sont ainsi « gelées » dans l’attente d’une modification de leur base législative. Les sept décrets restants sont en cours de finalisation et seront publiés dans les prochaines semaines. En particulier, je peux vous indiquer que le Conseil d’État a rendu son avis sur le décret prévu par l’article 58 de la loi à la fin du mois de mai 2015 ; la publication de ce texte est donc imminente.
Monsieur Abate, vous avez affirmé que les initiatives parlementaires étaient moins bien appliquées que les initiatives gouvernementales. Or les statistiques les plus récentes démentent légèrement cette analyse : les lois issues de propositions de loi ont en effet un taux d’application de 77 %, contre 63 % pour celles issues de projets de loi. Comme vous le constatez, le Gouvernement accorde une attention toute particulière aux textes initiés par les parlementaires, même si je comprends bien entendu que vous restiez vigilant.
Vous avez également estimé que le recours à la procédure accélérée était devenu trop fréquent. Ce sujet n’a qu’un lien indirect avec l’application des lois ; toutefois, lorsque la procédure accélérée est engagée, je reconnais que le Parlement peut être soumis à des délais resserrés. Il est donc en droit d’attendre du Gouvernement qu’il travaille, lui aussi, d’une manière encore plus rapide et efficace qu’à l’habitude. Je vous confirme que nous nous efforçons de respecter cette logique. Pour preuve, je voudrais citer un chiffre : les lois qui ont été examinées en procédure normale sont, en moyenne, applicables à 57 % ; celles qui l’ont été en procédure accélérée ont un taux d’application de 77 %.
En ce qui concerne le projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, qui nous intéresse tous, nous ferons en sorte que les principaux décrets opérationnels soient publiés en même temps que la loi. Le Gouvernement, singulièrement M. le ministre de l’économie, entend faciliter l’inscription rapide des dispositions de ce texte dans la réalité de la vie économique du pays.
Monsieur Requier, vous avez fait état des difficultés d’application de la loi du 17 octobre 2013 créant le Conseil national d’évaluation des normes applicables aux collectivités territoriales, le CNEN. Vous soulignez que le décret d’application publié en avril 2014 a mis en place des conditions de saisine trop restrictives, qui iraient à l’encontre de l’intention du législateur. Une proposition de loi a été adoptée par votre assemblée à la fin du mois de mai, sur l’initiative du groupe UDI-UC, pour surmonter ce problème. À cette occasion, le Gouvernement s’est engagé, par la voix de mon collègue André Vallini, à modifier le décret de 2014 pour redonner sa portée initiale à la loi. Comme M. Vallini vous l’a indiqué, nous allons mener très rapidement une concertation avec le CNEN ; sur cette base, nous rédigerons une nouvelle version du décret qui garantira la pleine effectivité du pouvoir de saisine des élus locaux.
Madame Benbassa, vous avez fait le point sur la mise en application des quatre lois adoptées grâce à des initiatives du groupe écologiste. Comme je l’indiquais à l’instant, les décrets nécessaires à l’application de la loi sur les lanceurs d’alerte ont été publiés entre mars et décembre 2014 : ce texte est donc applicable à 100 %. Et comme je vous l’ai laissé entendre, je reviendrai vers vous prochainement pour prévoir sa mise en œuvre concrète, notamment en ce qui concerne les nominations au sein de la Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d’environnement.
Pour la loi relative aux ondes électromagnétiques, vous vous inquiétez de plusieurs amendements adoptés par le Sénat lors de l’examen du projet de loi relatif à la croissance, à l’activité et à l’égalité des chances économiques, amendements qui vous semblent remettre en cause l’équilibre du dispositif. Sans vouloir préjuger de l’issue des discussions parlementaires en cours, je vous confirme qu’un décret viendra préciser la définition des « points atypiques » pour éviter toute insécurité juridique, et que la publication de ce décret sera précédée d’une vaste concertation – celle-ci ne sera pas non plus éternelle, afin de ne pas sombrer dans une contradiction permanente !
Vous avez également attiré mon attention sur le rapport prévu par l’article 3 de la loi sur les produits phytosanitaires, qui ne vous a pas été remis dans les temps. Je vais saisir Mme la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, ainsi que le M. le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, pour leur demander que ce document vous soit transmis dans les plus brefs délais.
Monsieur Luche, vous avez déploré que les lois, devenues trop « bavardes », viennent empiéter sur le domaine du règlement. Je ne peux que rejoindre ce constat, mais je dois aussi souligner que la responsabilité de cette situation est, malheureusement, partagée entre le Gouvernement et le Parlement. Certes, les projets de loi atteignent parfois un degré de précision excessif, ce qui augmente inutilement leur volume, dégrade leur lisibilité et rend plus difficile leur éventuelle adaptation ultérieure. Pour autant, il n’est pas rare que les amendements déposés par les parlementaires viennent encore alourdir la rédaction des textes.
Le Gouvernement et les Assemblées doivent mener une réflexion commune pour éviter, à l’avenir, de surcharger la loi et pour redonner au domaine réglementaire son juste périmètre.