J'aborderai trois points clés.
Premièrement, je ferai référence, en guise de boutade, à un ouvrage du docteur Jacques Pépin, biologiste et historien, qui raconte l'histoire d'une zoonose apparue dans la forêt du Cameroun voilà à peu près trente ans. La zoonose se propage, prend un train pour Brazzaville, où elle rencontre l'urbanisation, le travail « ségrégué », la prostitution et l'intervention de la santé publique, dont les campagnes de vaccination systématique qui se déroulent avec une unique seringue. Si bien que cette zoonose est devenue une maladie mondiale connue aujourd'hui sous le nom de sida. Il aura donc fallu trente ans pour comprendre comment une zoonose est devenue une épidémie mondiale. Non seulement il est urgent de réfléchir, mais il est également prudent de prendre le temps de la réflexion.
Deuxièmement, j'aimerais faire un point sur les prétendues évidences. Je travaille en Guinée Conakry forestière dans le cadre du projet REACTing (Research and action targeting emerging infectious diseases), financé par le programme Horizon 2020 de l'Union européenne et organisant l'essai, mené par l'Inserm, sur l'efficacité du favipiravir pour lutter contre Ebola. Alors que l'origine d'Ebola est souvent imputée à la déforestation, il se trouve que, du fait des conflits dans la région au cours des dernières années, la déforestation a ralenti. Si les systèmes de santé sont censés soigner les gens, on observe depuis un an en Guinée que c'est le système de santé qui produit l'épidémie. Les habitants sont ainsi infectés durant leur transport en ambulance, lorsqu'ils sont considérés comme malades « suspects ». Ils sont également infectés dans des centres de santé où malades « suspects » et « confirmés » sont mélangés en attendant les résultats des examens. Comment ne pas comprendre les réticences de la population à se tourner vers le système de soins ?
Troisièmement, il existe un problème de confiance entre États et populations. Les défaillances du système de santé, cumulées à la réponse militarisée qui produit de la violence sur le terrain, ont instauré un climat de défiance. Une bipartition du monde entre Nord et du Sud est également perceptible : par exemple, on accuse Médecins sans frontières d'être le propagateur de l'épidémie. Au sein même des pays du Sud, l'élite est tellement corrompue que la population ne parvient pas à avoir confiance dans le bien-fondé de son implication. Or la confiance est au coeur du dispositif de riposte. Les moyens techniques, comme ceux qui ont été utilisés pour tenter de soigner Thomas Eric Duncan, ne suffiront pas. Il faut commencer par rétablir la confiance pour qu'un dispositif soit fonctionnel.
Au fond, il est question ici de reconnaissance : reconnaissance des populations dans leurs expériences et dans la façon qu'elles ont d'appréhender les dispositifs. Si on commence par s'intéresser à ce que pensent les populations et à leur vécu, on évite les raccourcis du style « réticence = ignorance et violence ». Cela permettra d'avancer.