Intervention de Sylvie Briand

Délégation sénatoriale à la prospective — Réunion du 9 avril 2015 : 1ère réunion
Atelier de prospective : mieux prévenir et gérer les crises liées aux maladies infectieuses émergentes

Sylvie Briand, directrice du département Maladies épidémiques et pandémiques à l'Organisation mondiale de la santé (OMS) :

Je traiterai des facteurs d'émergence, et plus exactement des facteurs d'amplification. La dynamique des maladies infectieuses suit le schéma suivant : d'abord, l'émergence, ensuite une transmission localisée, puis une amplification et, enfin, soit grâce à une campagne de vaccination, soit parce que la population s'immunise, on aboutit à une transmission sporadique. Point très important : les facteurs d'émergence sont probablement différents des facteurs d'amplification.

Aujourd'hui, le Sras, syndrome respiratoire aigu sévère, est contenu. Le sida est toujours en phase d'amplification, Ebola, encore en phase de transmission localisée puisqu'il ne touche que trois pays, mais le risque d'amplification persiste. Ebola reste cependant assez peu transmissible. Son coefficient de transmission oscille entre 1,4 et 1,6, comparé à celui du choléra, qui se situe à 2,4. Mais Ebola est très létal, puisqu'il peut tuer jusqu'à 90 % des personnes infectées.

Les facteurs d'amplification d'Ebola sont de plusieurs ordres : une grande mobilité des populations pour raisons de travail, s'agissant de zones minières importantes, ou d'alimentation ; une organisation sociale en clans ou en ethnies, notamment à Conakry ; un manque de confiance dans les autorités, qui a conduit à un déni de la maladie, une remise en cause des mesures de prévention, une politisation excessive du problème à l'échelon local mais aussi international ; une émergence dans une zone frontière poreuse, avec trois pays touchés ; des mesures de santé publique inacceptables par les populations, par exemple l'obligation d'enterrements sécurisés, ce qui a provoqué des enterrements secrets ou la fuite dans les pays voisins.

Parmi les nombreuses leçons à tirer du cas Ebola, j'en citerai deux qui me paraissent particulièrement importantes.

D'une part, du fait que la maladie correspond à un nouveau pathogène contre lequel il n'existe ni traitement ni vaccin, les mesures de contrôle ont privilégié la quarantaine, l'isolement et la fermeture des frontières. Or, dans notre monde globalisé, il me semble préférable de favoriser la collaboration aux frontières, de mettre en place des systèmes de surveillance transfrontaliers et d'échanges de soins.

D'autre part, et surtout en l'absence de traitement spécifique, la prise en charge clinique est déterminante. À l'hôpital Donka de Conakry, nous sommes intervenus très rapidement, avec le concours notamment d'experts français. La présence de spécialistes en soins intensifs et en maladies infectieuses, les soins de soutien aux patients et une bonne hydratation ont permis en l'espèce de ramener la mortalité de 90 % à 30 % en début d'épidémie.

Pour mériter la confiance des populations, les centres de soins doivent être valorisés et de qualité optimale, et non pas, bien évidemment, devenir des lieux soit d'isolement, soit de transmission et d'amplification de la maladie. Des centres de soins efficaces permettent une détection plus précoce. Ainsi, dans le cas de la pandémie de H1N1, le premier signal a été donné par des cas de pneumonie plus sévère observés chez des personnes jeunes sans facteurs de risque. La qualité des centres de soins limite en outre les flux migratoires : dès lors que les personnes sont bien soignées chez elles, elles ne vont pas chercher des soins ailleurs. S'agissant du MERS-CoV - coronavirus du syndrome respiratoire du Moyen-Orient -, des habitants d'Arabie saoudite ou de pays limitrophes se sont rendus en Allemagne, au Royaume-Uni, en France pour se faire soigner parce qu'ils n'avaient pas confiance dans le système de santé de leurs pays.

La prise en compte des facteurs sociétaux, et donc de professionnels des sciences sociales, est primordial dans le contrôle de l'amplification d'une maladie émergente. Les mesures de contrôle se doivent d'être socialement acceptables par les populations. Cela n'est pas uniquement valable pour les pays du Sud. Durant la pandémie de H1N1, je me permets de rappeler que la campagne de vaccination n'avait pas été très bien acceptée en France. Les sciences sociales permettent de plus l'analyse des chaînes de transmission et des matrices de contact, pour savoir comment et pourquoi les gens entrent en relation, ce qui permet de couper les chaînes de transmission plus efficacement.

Enfin, les phénomènes de périurbanisation méritent d'être davantage étudiés car ces zones tampons entre le rural et l'urbain sont autant de territoires où les risques se cumulent, où les fonctionnements sociaux sont souvent très particuliers.

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