Intervention de Jean-François Guégan

Délégation sénatoriale à la prospective — Réunion du 9 avril 2015 : 1ère réunion
Atelier de prospective : mieux prévenir et gérer les crises liées aux maladies infectieuses émergentes

Jean-François Guégan, directeur de recherche à l'Institut de recherche pour le développement (IRD) :

J'ai choisi de vous présenter quelques exemples illustratifs d'orientation de recherches, inscrits dans le nouveau programme des Nations unies, baptisé FutureEarth.

Je m'appuierai sur un cas particulier, que je connais le mieux, celui d'une mycobactérie environnementale - Mycobacterium ulcerans -, laquelle sévit en Guyane française.

D'une manière générale, les problèmes d'émergence sont complexes car ils se caractérisent par des ruptures des équilibres dynamiques, qui, par nature, sont imprévisibles. En l'espèce, notre analyse s'est voulue la plus globale possible. Nous avons choisi de surveiller dix-sept sites aquatiques en Guyane, et trente-six au Cameroun pour être en mesure de faire des comparaisons entre continents. Nous pensons que ce microbe, qui cause des ulcérations cutanées chez l'homme, serait d'origine tellurique, comme quoi l'émergence infectieuse est réellement un « jeu sans frontières ». Au-delà de la seule recherche de la mycobactérie, nos mesures ont également intégré un ensemble de conditions telles que la déforestation, l'occupation du sol, pour le développement de l'agriculture, et celle des populations humaines.

Nous avons d'abord constaté que la déforestation perturbe les équilibres dynamiques et entraîne une diminution du nombre et de la diversité des organismes vivants porteurs de la mycobactérie. Les communautés d'espèces aquatiques sont déstabilisées, laissant se développer des espèces extrêmement bien adaptées à ce contexte nouvellement « déforesté ». Par malchance, ces dernières sont d'excellents porteurs de la mycobactérie. Tel est le schéma du processus d'émergence.

Ensuite, en analysant les communautés d'espèces, on observe que des prédateurs tendent à disparaître lors de la déforestation et n'exercent plus leur mission de pression de prédation sur leurs proies. Logiquement, celles-ci se multiplient. Or elles se révèlent d'excellents hôtes porteurs de la mycobactérie. De fait, les populations humaines, à l'origine de la modification des processus dynamiques au travers de la déforestation et du développement de l'agriculture, se trouvent exposées à cet aléa environnemental.

En général, l'infectiologie s'intéresse plus particulièrement à la transmission infectieuse dans le compartiment humain par des processus, notamment, de contagion, alors que les approches One Health, One World et EcoHealth - « Écologie de la santé » - développent une vision d'ensemble.

Dans ces situations, les processus d'émergence au travers de la déforestation est donc d'abord dû à une perturbation des équilibres dynamiques des organismes et des différentes espèces vivant dans la forêt. Ceux-ci se trouvent conditionnés à de nouveaux espaces déforestés et, par malchance, un certain nombre d'entre eux sont d'excellents porteurs, véhicules d'agents infectieux.

Considérons les niveaux successifs d'organisation du vivant, depuis les molécules et les gènes jusqu'à l'écosystème et l'environnement global, en passant par les tissus, les organes, les individus, les populations et les communautés écologiques. Étudions maintenant auxquels de ces niveaux se rattachent les trois secteurs de la recherche que sont les sciences biomédicales, les sciences en santé publique et les sciences écologiques.

Les sciences biomédicales s'intéressent à des niveaux fins et vont rarement au-delà du niveau individuel. Les sciences de santé publique s'intéressent aux individus et aux populations, lorsque les sciences écologiques embrassent, depuis quelques années, les différents niveaux. Or l'émergence de nouveaux agents pathogènes concerne les deux niveaux supérieurs, à savoir les communautés écologiques et les écosystèmes, parce que les micro-organismes, responsables de maladies émergentes, sont des éléments à part entière des écosystèmes naturels.

J'en viens aux principales observations que je tiens à formuler.

La problématique d'émergence infectieuse, qu'il s'agisse de la résistance aux antibiotiques ou de l'apparition de nouveaux agents, est avant tout d'ordre écologique et évolutif. Des modifications environnementales engendrées par l'humain peuvent interférer avec des dynamiques microbiennes, comme je l'ai montré avec l'exemple de Mycobacterium ulcerans.

Il est à noter que s'est développée, en France, au cours des dix dernières années, une recherche importante, avec un rôle majeur joué par l'ANR. La carte du déploiement du dispositif « Écologie de la santé » sur le territoire montre la présence de deux grands pôles à Paris et à Montpellier, avec notamment la collaboration de nos collègues du Cirad, de l'IRD et de l'Université.

Nous avons besoin d'une approche intégrative pour comprendre les émergences lorsqu'une forte part de notre recherche se concentre sur des niveaux d'organisation fins. Prenons l'exemple d'Ebola : l'origine du virus, les causes de son émergence et de sa transmission de l'animal réservoir vers l'humain nous sont encore globalement inconnues.

Je soulignerai également l'importance d'intégrer les données à différents niveaux d'organisation et de développer ce que l'on appelle la « biologie des systèmes ». On possède aujourd'hui énormément de données, dont on ne sait comment les intégrer.

Les processus à l'oeuvre dans les phénomènes d'émergence se révèlent souvent identiques. Je crois beaucoup à l'outil analogique. Personne ne l'a utilisé pour comparer l'émergence des virus Ebola et Nipah, alors que tous deux sont portés par des chauves-souris, frugivores poussées en partie à quitter leurs espaces naturels par la déforestation.

Surveillons l'évolution des systèmes, en particulier tropicaux, sur le long terme. Les Américains s'y sont mis voilà une quinzaine d'années, via les Long term ecological research surveys. Au travers de l'IRD, du Cirad et des Instituts Pasteur d'outre-mer, nous avons la capacité de le faire, notamment dans les zones tropicales. Manifestement, il nous faut promouvoir une adaptation de la recherche à ces nouvelles problématiques de long terme.

Échanges avec la salle.

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