Je concentrerai mon propos sur le sujet des données, du recueil des signaux et de la détection des maladies émergentes. À cet égard, j'ai eu l'occasion de coordonner les travaux effectués dans le cadre du rapport sur la veille sanitaire, remis par le directeur général de la santé à la ministre de la santé en 2013.
La production des données, de par la conjonction de phénomènes qui ont déjà été rappelés, notamment les objets connectés, affiche une croissance exponentielle. À ce sujet, on pense aux données futures mais je souligne que nous disposons déjà de données dramatiquement sous-utilisées et sous-utilisables, du fait de l'existence d'un certain nombre de barrières. La capacité de traitement est donc un enjeu. Le législateur aurait son mot à dire.
Par ailleurs, en matière médicale et sanitaire, nous avons besoin de données plus fiables que les données non structurées de type réseaux sociaux, et dont l'interprétation puisse être rapprochée et traitée. Tout à l'heure, Benoît Thieulin faisait référence au site Google Flu Trends, destiné à suivre l'évolution de la grippe dans le monde entier au travers de certains mots clés de recherche. Si Google ne fournit pas ses algorithmes, une analyse comparative des méthodes de détection avec d'autres modalités de suivi du syndrome grippal a montré les limites de son modèle quant à la détermination de l'amplitude du phénomène. Google a été contraint de réinjecter des données provenant des centres américains de contrôle et de prévention des maladies (CDC). À l'évidence, tout n'est pas réglé en la matière, d'autant que la question des données peut être source d'une nouvelle inégalité entre le Nord et le Sud car les niveaux d'informatisation et de numérisation des pays exposent à une fracture sanitaire.
Quatre points me semblent structurants et concrets.
Tout d'abord, il faut reconsidérer le statut des données. On parlait jusqu'ici de données individuelles ou de données anonymes. Avec le Big data, je pense qu'il serait nécessaire de créer un niveau intermédiaire de données « pseudonymisées », de manière à pouvoir continuer de travailler sur des données individuelles, et non pas personnelles, sans risque de démarche de ré-identification.
Au niveau du temps réel et des outils prospectifs, les moyens sont comptés. Nous avons trop tendance à ne regarder que dans le rétroviseur. Les activités prospectives doivent être développées, et je me réjouis d'autant plus de pouvoir participer à un tel atelier ce matin.
En matière de traitement des données, des travaux de sémantique doivent être menés en France : il nous faut revoir les nomenclatures et les terminologies pour garder de la cohérence. Le sujet est peut-être quelque peu aride, mais la question est véritablement stratégique sur le long terme.
Enfin, nous avons à développer notre culture de la coopération aussi bien entre le public et le privé qu'entre les différentes disciplines. Pour bousculer nos habitudes, il sera nécessaire de nous doter de cadres et d'outils législatifs supplémentaires, qui existent déjà dans de nombreux autres pays. Aux États-Unis, le Big data santé constitue l'un des premiers postes d'investissement des acteurs privés dans des start-up en 2014 : plus d'un milliard de dollars y a été ainsi consacré. La France a toujours tendance à faire de la résistance face au changement. Les pouvoirs publics devraient acquérir la culture du proof of concept, ou démonstrateur de faisabilité. Notre frilosité se révèle particulièrement préjudiciable sur des sujets où il faut aller vite.