Intervention de Patrick Zylberman

Délégation sénatoriale à la prospective — Réunion du 9 avril 2015 : 1ère réunion
Atelier de prospective : mieux prévenir et gérer les crises liées aux maladies infectieuses émergentes

Patrick Zylberman, professeur à l'École des hautes études en santé publique :

J'aimerais revenir sur trois points forts.

La question de la rumeur est trop peu abordée. Même si elle ne peut occuper le centre des débats, il s'agit d'un sujet crucial d'un point de vue opérationnel, surtout en « temps de guerre », pour reprendre une expression largement utilisée ce matin.

Faute de prendre en compte cette délicate question de la rumeur, la notion de confiance pourrait très vite tourner à l'incantation. Il faudrait d'ailleurs être un peu plus solide sur le concept lui-même, l'étudier en philosophie politique et s'interroger sur son application concrète à la gestion des crises épidémiques et pandémiques.

Je me retrouve en parfait accord avec Arnaud Fontanet pour ce qui est des Mooc. J'en ai moi-même conçu dans le cadre du Centre Virchow-Villermé, codirigé par Antoine Flahaut. Je rejoins totalement Arnaud Fontanet quand il souligne que les scientifiques ne sont peut-être pas les mieux placés pour informer en cas de crise épidémique. C'est pour moi un point très important.

Il a été plusieurs fois fait allusion aux aspects positifs des réseaux sociaux et à tout ce que peut apporter cette nouvelle forme d'organisation sociale dans le cadre de la lutte contre les maladies infectieuses émergentes. On devrait s'essayer à mesurer les différentes couches que peuvent constituer la teneur des propos échangés sur ces réseaux, pour aller plus loin que le simple stade de la rumeur.

Certains de nos collègues, notamment aux États-Unis, ont tenté de le faire très récemment. Je citerai deux enquêtes, réalisées en 2010 et 2011 sur près de 5 500 tweets échangés entre mai et décembre 2009 et qui comportaient les mots-dièse « H1N1 » et « swine flu », la « grippe du porc ». Ces 5 500 tweets ont été soumis à une analyse de contenu automatique : près de 13 % d'entre eux colportaient des plaisanteries et des sarcasmes, 12 % manifestaient de l'inquiétude, 10 % posaient des questions, 4,5 % s'employaient à disséminer de la désinformation définie par les chercheurs à l'aide de mots clés comme « conspiration », « toxines » ou « autisme ». Il est apparu que le poids relatif de la désinformation avait grandement varié au cours de la période : d'un peu plus de 2 % en juin jusqu'à près de 10 % au mois d'août, peu avant le début de la campagne de vaccination de masse, avec une moyenne autour de 6 %.

La désinformation sur les réseaux sociaux est une réalité. Mais ce n'est pas le raz-de-marée que certains se plaisent à nous décrire. Plus intéressant encore, ces études ont mis en lumière que les sources officielles - CDC, OMS, etc. - ne comptaient que pour 1,5 % de la totalité des tweets. Autrement dit les autorités, aussi bien politiques que scientifiques, sont considérées avec méfiance. Là est le point. Les experts sont le maillon faible des dispositifs de santé publique, non que leur expertise soit faible, bien au contraire, mais parce que, par sa nature même, celle-ci se place au carrefour de la science, de la politique et de l'industrie pharmaceutique. Jusqu'à maintenant, personne n'a trouvé la parade.

Il faut préparer et former les experts à évoluer dans le milieu de la communication, à « affronter » des médias, qu'ils considèrent trop souvent comme un milieu hostile. Il convient aussi de protéger les experts contre les effets pervers de la gestion des conflits d'intérêts, car cela peut très facilement devenir un moyen de chantage, une arme contre la science. En outre, la communication en santé doit être moins politisée. L'expertise doit être mieux à même de déchiffrer les mouvements sociaux, et même le monde médiatique.

Échanges avec la salle.

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