Intervention de Loïc Depecker

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 17 juin 2015 à 9h35
Audition de M. Loïc dePecker délégué général à la langue française et aux langues de france chargé de préfigurer la future agence de la langue française

Loïc Depecker, délégué général à la langue française et aux langues de France :

Chose exceptionnelle pour un délégué général à la langue française et aux langues de France, j'ai été nommé en Conseil des ministres le 20 mai dernier avec la mission de diriger la délégation générale, mais également de préfigurer l'Agence de la langue française, au sujet de laquelle je remettrai mes propositions en septembre.

En ce qui concerne la lutte contre l'illettrisme, l'idée est d'aller plus loin que les actions menées jusqu'à maintenant par les différents organismes. Par la création de cette Agence de la langue française, il s'agit de compléter la couverture du territoire national en matière d'apprentissage de la langue française et d'assurer la coordination des différentes initiatives déjà mises en oeuvre. Ce dispositif s'adresse en particulier à certaines populations non scolarisées : jeunes de 16 à 25 ans ayant quitté l'école ou sous main de justice, détenus, adultes immigrés, etc. Je n'oublie pas les outre-mer, qui présentent une grande diversité de situations. Dans certains territoires, comme en Guyane ou à Mayotte, il s'agit de coupler l'apprentissage du français avec celui des langues maternelles. La situation me paraît plus favorable aux Antilles, où il existe un véritable bilinguisme français-créole.

La méthodologie consiste, dans un premier temps, à aller sur le terrain observer comment les choses se passent de façon concrète. J'ai vu des choses magnifiques, à l'instar de la « dictée des cités » à Saint-Denis : le 30 mai dernier, un millier de personnes ont composé devant la basilique de nos rois. Je me souviens avoir vu une famille d'origine africaine entourer le père de famille qui faisait la dictée, montrant combien l'élitisme républicain est intégré par les nouveaux arrivants dans notre pays. L'idée d'une suppression du baccalauréat me fait frémir.

La maîtrise de la langue française est le symbole de l'unité de la nation. Elle est décisive et une conquête de tous les instants pour les populations immigrées ou les laissés-pour-compte de l'apprentissage du français. Certains demandeurs d'emploi sont incapables d'expliquer ou d'analyser leur situation, ou encore de rédiger une lettre. Il s'agit de faire en sorte que tous puissent faire face aux exigences de la vie quotidienne et participer à la vie publique.

Dans la lettre de mission que m'a adressée le Premier ministre, figure la notion d'« effritement de la société ». Les attentats de janvier dernier sont révélateurs du lien qui existe entre maîtrise du français et intégration des jeunes. La question linguistique s'impose comme un enjeu majeur de cohésion sociale avec pour objectif de former des citoyens capables de prendre part au débat républicain. Pour ce faire, il est nécessaire, et je souhaite oeuvrer en ce sens, qu'en France chacun, sans renier la langue française, soit fier de sa langue d'origine ou régionale et de sa culture. À la Sorbonne, j'enseigne les sciences du langage à des centaines d'étudiants de 35 nationalités différentes qui contribuent à enrichir les échanges. Pour un étudiant kabyle, par exemple, qui lit l'arabe, parle un arabe dialectal et le berbère, une seule langue compte, le français, avec l'objectif, non pas d'abandonner sa langue maternelle et sa culture, mais de s'intégrer rapidement dans le creuset français. Au début de ma carrière, dans les années 70, je constatais déjà le grand intérêt des travailleurs algériens pour l'alphabétisation. Le terrain nous envoie des signes qu'il faut interpréter de manière positive.

Mon rapport au Premier ministre dégagera plusieurs idées-forces dont celle de ne pas couper de leurs racines, de leur langue et de leur culture les personnes qui viennent en France. Les établissements scolaires de la ville de Nantes, par exemple, organisent chaque année une journée intitulée « Tire ta langue » qui réunit, sous forme de stands par pays, élèves et parents de tous milieux pour échanger sur les caractéristiques de leur langue d'origine et ainsi valoriser leur culture. Le regard de certains de nos compatriotes sur les personnes venues d'ailleurs doit changer, en commençant par celles qui vivent dans leur environnement proche.

Apprendre la langue française doit s'imposer naturellement. Les chercheurs en sciences du langage conseillent, pour encourager le bilinguisme, l'apprentissage précoce du français par les enfants d'origine étrangère sans rompre pour autant avec leur langue maternelle. Certains pays africains l'ont compris depuis longtemps et nos territoires d'outre-mer s'y emploient déjà. En l'occurrence, savoir passer d'une langue à une autre et en comprendre les mécanismes passionne mes étudiants.

L'Agence de la langue française aura pour mission de définir des directions de travail, des mesures et les moyens de leur mise en oeuvre, en matière d'apprentissage et d'approfondissement de la langue française, en métropole comme dans les départements d'outre-mer, dans le but de favoriser la participation de chacun au débat républicain.

Depuis la loi Deixonne de 1961, le débat sur les langues régionales est récurrent, que ce soit dans la presse ou dans la rue. Dernier exemple en date, un de nos compatriotes, David Grosclaude, poursuit une grève de la faim pour la sauvegarde de la langue occitane !

En 1992, la Charte européenne sur les langues minoritaires en Europe, a établi un droit imprescriptible de pratiquer une langue régionale ou minoritaire dans la vie privée et publique.

En 1994, suite à l'entrée en vigueur du Traité sur l'Union européenne, et au terme d'une bataille de deux ans, Jacques Toubon, alors ministre de la culture, s'appuyant sur le statut de la langue française résultant de la révision constitutionnelle du 25 juin 1992, sanctuarise à son tour dans la loi l'emploi de notre langue pour mieux la protéger de l'usage de l'anglais, notamment dans les échanges commerciaux. L'article 21 de la « loi Toubon » précise d'autre part que la langue française s'applique sans préjudice de la législation et des réglementations relatives aux langues régionales.

Le 7 mai 1999, sur les 98 mesures de la Charte européenne, la France ratifie essentiellement celles portant sur l'enseignement des langues régionales à l'école, enseignement qui s'est, depuis lors, fortement développé, sans pour autant, comme le craignaient certains, conduire à délaisser l'apprentissage de la langue française.

Le 15 juin 1999, le Conseil constitutionnel rejette la ratification des mesures signées par la France dans la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires en estimant que la notion de « groupes » humains et linguistiques portait atteinte à l'indivisibilité de la République et que celle de « territoire » remettait en cause le principe d'unicité du peuple français. L'Alsace et la Bretagne en sont des exemples puisque la pratique des langues régionales y est très répandue.

La révision constitutionnelle du 21 juillet 2008 a permis de faire entrer les langues régionales au patrimoine de la France. Derrière les langues, il y a des cultures et un patrimoine. J'ai pris conscience que l'on travaillait sur le patrimoine au travers du travail réalisé sur le vocabulaire technique et scientifique, de plus en plus influencé par l'anglais. Les langues appartiennent à tous, elles ne sont pas un ferment de division.

La loi du 8 juillet 2013 d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République a prévu de favoriser l'apprentissage des langues régionales à tous les niveaux. À la Sorbonne, nous avons récemment recruté un maître de conférences qui possède notamment un certificat d'aptitude au professorat de l'enseignement du second degré (CAPES) en occitan et en anglais, ce qui montre que l'on peut reconnaître les terroirs et qu'il n'est pas incompatible d'être à l'aise dans plusieurs langues, à la fois nationales et régionales.

Concernant la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, l'Assemblée nationale a adopté une résolution en janvier 2014 qui prévoit que la Charte européenne adoptée le 5 novembre 1992 pouvait être ratifiée par la République sous réserve d'être complétée par une déclaration interprétative prévoyant que l'emploi de la notion de groupe ne crée pas de droits collectifs et que les dispositions de la Charte doivent être interprétées dans un sens compatible avec la Constitution et notamment le principe d'unité du peuple français. Dans le même esprit, la résolution prévoit la nécessité de respecter l'article 2 de la Constitution concernant l'usage du français dans la République.

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