Monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, c'est un honneur pour moi d'être proposée pour la présidence de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et de me trouver devant votre commission.
Je suis également très honorée de la confiance que me témoigne la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes en me proposant d'exercer cette fonction. Avant de vous exposer les priorités que je souhaite mettre en oeuvre au sein de l'Oniam, j'aimerai vous présenter mon parcours, vous expliquer mon intérêt pour cette institution et les raisons qui me conduisent à penser que mon expérience pourrait être utile à l'exercice de la fonction de présidente de son conseil d'administration.
C'est par la lutte contre le Sida que je suis véritablement entrée dans la santé publique. Je suis arrivée en 1990 à la direction de l'association Aides qui avait été créée en 1984. Dès le départ, le combat a porté, bien évidemment, sur le Sida mais il s'agissait aussi d'un combat politique global pour changer en profondeur le système de santé et les pratiques sociales y afférentes. Durant toutes ces années, nous avons beaucoup travaillé et souffert. J'ai appris une chose que personne ne vous apprend jamais, surtout sur un lieu de travail : à composer avec des personnes malades, à les accompagner, à écouter, à reconnaître leurs capacités et à accepter qu'elles me parlent de leur mort prochaine, ainsi qu'à en parler avec elles. C'est à Aides aussi que j'ai rencontré, pour la première fois, les victimes de la contamination transfusionnelle. Je voudrais ici saluer en particulier les personnes hémophiles, notamment Edmond-Luc Henry.
Après Aides, j'ai fait le choix de m'investir, en 1997, auprès d'une grande association nationale : la Ligue contre le cancer. Très vite, j'ai proposé d'organiser les premiers états généraux des malades atteints de cancer. Les états généraux de la santé ne s'étaient pas encore tenus ; Bernard Kouchner les lancera quelques mois plus tard. Avec ces premiers états généraux des malades atteints de cancer, il s'agissait d'initier une démarche participative de la part de malades et de proches. Il s'était écoulé soixante-six ans entre la création de la Ligue contre le cancer en 1918 et celle de l'association Aides en 1984. Jusque-là, personne n'avait eu cette double écoute entre sida et cancer. Personne n'avait fait le lien entre ces deux paroles. Elles étaient les mêmes ; il fallait qu'elles agissent dans la même direction. Cette mise en commun serait bénéfique à tous pour mieux parvenir à changer les pratiques soignantes et sociales.
Ces premiers états généraux des malades atteints de cancer ont été l'occasion de lancer au moins deux innovations: pour la première fois, on a entendu ce qu'avaient à dire les personnes malades du cancer, elles ont dit et décrit ce qu'elles avaient vécu, ce qu'elles vivaient ; et pour la première fois, on a pu prendre toute la mesure des enjeux posés par cette maladie, les enjeux relationnels avec l'entourage, la famille, le conjoint, les enfants, les parents, mais aussi les enjeux professionnels, sociaux, économiques et assurantiels.
L'un des premiers aboutissements de tous ces travaux fut, pour les représentants associatifs, la préparation du projet de loi qui allait devenir la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Ces états généraux ont contribué également à l'émergence d'une politique nationale de lutte contre le cancer en France avec les premiers plans cancer et ceux qui suivront. Avec l'ensemble de ces travaux que j'ai conduits au cours de ces années - je pourrais également citer le travail que j'ai effectué pour la Haute Autorité de santé sur la maltraitance ordinaire dans les établissements de santé - la question qui s'est posée à moi et qui continue à traverser mon itinéraire personnel et professionnel est comment transformer le poids de la parole individuelle des personnes malades pour oeuvrer à des changements plus collectifs.
C'est toujours dans la suite de ces engagements collectifs que j'ai remis, au mois de février 2014, un rapport à Mme Marisol Touraine sur le développement de la place des usagers et de leurs représentants dans le système de santé intitulé « Pour un An II de la démocratie sanitaire ». Ce rapport contenait neuf propositions dont certaines figurent dans le projet de loi de modernisation de notre système de santé que vous allez bientôt examiner.
Tout récemment, j'ai eu l'immense honneur d'être nommée inspectrice générale des affaires sociales et ainsi de rejoindre ce corps de contrôle interministériel du secteur social. Vous le savez, il traite de sujets touchant la vie de tous les citoyens : emploi, travail et formation, santé, action sociale et politique familiale, systèmes de couverture sociale publics ou privés. J'espère pouvoir ainsi continuer à servir l'intérêt général.
J'aborderai maintenant plus spécifiquement les missions pour lesquelles vous avez demandé à m'entendre.
Vous le savez, jusqu'en 2002 la question générale de l'indemnisation des accidents médicaux et des infections nosocomiales est restée mal résolue. La procédure juridictionnelle était longue, coûteuse et difficile. Avec la loi du 4 mars 2002, un régime global d'indemnisation des accidents médicaux a été mis en place avec la prise en considération de l'ensemble des risques iatrogènes du système de santé et la reconnaissance de l'aléa thérapeutique ou médical qui, lorsqu'il est à l'origine de dommages graves, ouvre droit à une indemnisation par la collectivité nationale. Ce dispositif offre une alternative au procès, tout en laissant libre la victime de saisir le juge ou la commission de conciliation et d'indemnisation selon la voie privilégiée.
Bien évidemment, au vu du parcours qui est le mien, je serai très vigilante au maintien d'une démocratie sanitaire vivante qui permet d'associer toutes les parties prenantes, tant pour les décisions d'indemnisation amiable des accidents médicaux au sein des commissions de conciliation et d'indemnisation (CCI) que dans la gouvernance de l'institution. Ainsi, le conseil d'administration et le conseil d'orientation de l'Oniam comprennent des représentants des associations de victimes, des représentants des établissements et des professionnels de santé.
Mais ce travail ne pourrait exister sans l'apport majeur des équipes de l'Oniam et des CCI. Ces professionnels sont garants d'une expertise de qualité dans le respect des dispositions légales. Les décisions rendues au bénéfice des patients sont le produit de ces deux légitimités juridique et démocratique.
Après un peu plus de dix ans d'activité de l'Office, je crois pouvoir dire que celui-ci remplit ses missions en matière d'indemnisation des accidents médicaux. La moitié des litiges relatifs aux accidents médicaux sont désormais portés devant le dispositif d'indemnisation amiable, le reste l'étant devant les juridictions. 95 % des offres d'indemnisation sont acceptées par les victimes et 85 % des contentieux auxquels l'Office est partie sont tranchés en sa faveur.
Depuis 2002, l'Oniam s'est vu confier d'autres missions : la réparation des dommages imputables aux vaccinations obligatoires ou à des mesures sanitaires d'urgence, ainsi que l'indemnisation des victimes de préjudices résultant de la contamination par le VIH ou par le VHC par voie transfusionnelle. Enfin, comme vous le rappeliez M. le Président, l'Office a été chargé en 2011 d'instruire les demandes d'indemnisation des dommages imputables au Mediator.
Face à l'élargissement de ses missions, je veillerai, dans le respect du projet d'établissement de l'Office et des CCI : premièrement, à ce que toutes les demandes soient traitées avec une exigence de qualité - cela me semble prioritaire et non négociable ; deuxièmement, à montrer une forte implication dans l'accueil des victimes. Les personnes qui sollicitent une indemnisation sont dans une situation difficile et de grandes fragilités, tant sur le plan physique et psychologique. Il est essentiel que les agents de l'Oniam et des CCI fassent preuve d'empathie et de disponibilité ; troisièmement, à réduire au maximum le délai de traitement des demandes. En la matière, des progrès notables ont été réalisés. Je sais que cette question est complexe et qu'elle génère pour les équipes beaucoup de tension, mais nous devons y veiller quotidiennement. Enfin, je ne peux oublier, dans cette période de tension budgétaire, de rechercher la meilleure efficience dans l'utilisation des moyens publics.
Il est important de mieux faire connaître le dispositif, car plus de dix ans après sa création, il reste encore trop méconnu, et d'améliorer la qualité de nos relations avec l'environnement. M. Érik Rance, son directeur général, s'y est attelé de manière importante, et je veux ici le souligner. II faut poursuivre ce mouvement et d'abord promouvoir la connaissance du dispositif de façon quantitative. Les établissements de santé connaissent généralement l'existence de l'Oniam et des CCI. En revanche, les professionnels de santé ne savent pas toujours qu'il est possible de recourir à un dispositif d'indemnisation amiable. Plus largement, il importe de promouvoir la connaissance de cet office auprès de la population.
Parmi les demandes d'indemnisation qui ont été adressées notamment au titre du Mediator, beaucoup concernent des pathologies qui ne sont pas imputables à ce médicament. De même, deux tiers des dossiers soumis aux CCI sont déclarés irrecevables car ils n'atteignent pas le seuil de gravité requis, à savoir ce taux d'incapacité de 24 % ou l'arrêt de travail de six mois, que le législateur a fixé en souhaitant que le dispositif soit dédié aux accidents médicaux les plus graves.
La réaffirmation et la diversification du rôle de l'Oniam est aussi un objectif important. L'Office est devenu un acteur de référence en matière d'accidents médicaux et il est prêt à accepter toute nouvelle mission que le Gouvernement et le Parlement souhaiteraient lui confier dans ce domaine. Cependant, l'Oniam se trouve en bout de chaîne, puisqu'il prend en charge l'indemnisation d'un accident médical lequel, par définition, est déjà survenu. Or, les victimes souhaitent souvent, au-delà de leur indemnisation, que leur expérience douloureuse serve d'enseignement à la collectivité pour que de tels accidents ne se reproduisent pas. Par construction, l'Oniam et les autres institutions détiennent 50 % des données des accidents médicaux les plus graves survenus en France et il serait extrêmement utile d'exploiter de telles données.
Nous travaillons d'ailleurs très étroitement avec le Ministère de la santé sur les modalités d'exploiter ce gisement de connaissances dans des conditions respectant le secret médical et la vie privée des victimes. En ce sens, vous verrez dans le projet de loi une proposition destinée à améliorer ce travail de prévention à partir de la connaissance que l'Oniam a sur les accidents médicaux.
Je ne peux terminer sans évoquer l'un des chantiers que le prochain conseil d'administration de l'Oniam va devoir ouvrir durant cette année et celle qui suit : celui du référentiel d'indemnisation sur lequel se fonde l'Oniam pour indemniser les préjudices reconnus par les CRCI. Ce barème n'a pas été revalorisé depuis 2008. Bien sûr, je ne méconnais pas les questions budgétaires auxquelles nous sommes confrontés les uns et les autres. Mais il est important de savoir que les victimes qui obtiennent un avis positif des CRCI se voient ainsi allouer par l'Oniam des indemnisations très largement inférieures à celles allouées par les tribunaux. Et cet écart avec les indemnisations dans le cadre de la voie judiciaire ne fait que s'accroître. Cette divergence peut présenter un risque pour l'ensemble du dispositif, et en particulier le choix que vous avez fait en 2002 de privilégier la voie amiable. Plus cet écart sera important, moins les victimes auront intérêt à solliciter le règlement à l'amiable et à ne pas emprunter la voie contentieuse.
Par exemple, le recours à l'aide humaine est indemnisé autour de dix euros de l'heure par l'Oniam, contre quinze euros environ par le juge. Certaines souffrances endurées par les victimes sont indemnisées 50 % de moins que celles dont les contentieux sont passés devant les tribunaux judiciaires. Il va nous falloir engager ce chantier en tenant compte à la fois des exigences budgétaires et d'efficience qui doivent être les nôtres et d'aide que nous devons apporter aux victimes.
C'est une tâche exaltante qui m'attend au coeur de ce service public d'aide aux victimes. Nous devons rendre ce service à l'ensemble des victimes, en nous tournant plus particulièrement vers ceux de nos concitoyens qui sont le plus durement touchés psychologiquement et physiquement.
Je suis maintenant à votre disposition pour répondre à toutes vos questions, en vous demandant un peu d'indulgence parce que je n'ai pas encore en tête la totalité des sujets.