Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'examen de l'article 1er octies, dont nous dénonçons unanimement, me semble-t-il, dans cette assemblée, le caractère néfaste pour le développement de la filière biocarburants en France, pourrait être l'occasion de s'arrêter un instant sur l'enjeu que représentent aujourd'hui les biocarburants dans notre approvisionnement énergétique.
Il ne paraît pas inutile de rappeler un certain nombre de constats et de données. On sait par exemple que le secteur des transports, qui représente plus de 30 % de la consommation finale d'énergie dans l'Union européenne, est toujours, aujourd'hui, en expansion, ce qui conduit inévitablement à une augmentation des émissions de dioxyde de carbone.
De 1990 à 2010, soit en vingt ans, les émissions de CO2 dues au transport auront augmenté de 50 %. Or le transport routier est responsable de 84 % de ces mêmes émissions.
Parallèlement, on mesure aujourd'hui de plus en plus précisément les conséquences de la raréfaction et de l'épuisement des énergies fossiles.
Comme vous le savez, tout cela a été largement analysé par la Commission européenne dans son livre blanc intitulé La Politique européenne des transports à l'horizon 2010, qui a abouti à l'adoption de la directive « biocarburants » en mai 2003.
Face à de tels constats, le développement de la production et de l'utilisation des biocarburants fait partie des mesures nécessaires pour limiter, sinon enrayer, cette progression inquiétante d'émission de CO2 et pour réduire notre dépendance vis-à-vis du pétrole.
Les atouts des biocarburants de ce point de vue sont connus : ce sont des ressources renouvelables que l'on peut produire relativement facilement ; la plupart des véhicules actuellement en circulation peuvent utiliser sans problème de l'essence ou du gazole incorporant un mélange de biocarburants. On est donc en présence d'une source d'énergie connue, fiable, disponible, directement utilisable, pour la production de laquelle la France, avec sa tradition agricole, est particulièrement bien placée.
Les enjeux en la matière sont déterminants : enjeu environnemental tout d'abord par la réduction des émissions de gaz à effet de serre, ce qui nous permettrait de nous conformer aux engagements internationaux pris à l'occasion du protocole de Kyoto ; enjeu stratégique ensuite, par la diminution de notre dépendance énergétique à l'égard des énergies fossiles ; enjeu économique enfin pour l'agriculture française.
On mesure donc pleinement l'intérêt des biocarburants. Pour autant, il ne s'agit pas, me semble-t-il, de dresser une description idyllique de cette forme d'énergie. Elle suscite également des interrogations et des débats. A ce titre, trois remarques principales peuvent être faites.
En premier lieu, les biocarburants sont, en quelques sortes, au coeur d'un paradoxe : développer ces produits d'origine agricole peut contribuer à développer une agriculture productiviste et intensive, ce qui comporte beaucoup de risques et d'inconvénients ; on paierait la baisse des émissions de CO2 par l'augmentation de l'utilisation des engrais agricoles et autres polluants chimiques. Dans cette hypothèse, bien entendu, nous irions à l'encontre de la philosophie à l'oeuvre en matière de développement durable, philosophie qui privilégie toujours une approche globale des techniques et démarches envisagées. Il faudra, dès lors, veiller en toutes circonstances au respect de ces orientations générales qui régissent le développement de l'agriculture durable telle que définie par la réglementation de la politique agricole commune.
En deuxième lieu, le terme de « biocarburant » est une appellation générique ambiguë, qui recouvre en réalité des produits très divers, surtout au regard de leur intérêt énergétique et écologique. Assurément, on ne peut évoquer dans les mêmes termes les EMHV, huiles brutes végétales, qui réduisent très fortement l'émission de gaz à effet de serre pour un bilan énergétique positif, et l'ETBE, mélange d'éthanol et d'isobutène, dont le bilan énergétique est médiocre et l'amélioration en termes d'émission de CO2 faible par rapport à l'essence. Or tous deux sont considérés comme des biocarburants. Hélas, c'est l'ETBE qui se développe en France !
En troisième lieu, on sait que modifier des habitudes et des intérêts économiques est une entreprise longue et difficile. La volonté politique en constitue le seul accélérateur connu. Elle sera donc fortement requise pour parvenir aux objectifs fixés par la directive européenne sur les biocarburants notamment. Compte tenu de son rythme actuel, la France parviendra-t-elle à temps, c'est-à-dire en 2010, aux taux fixés ?
Le plan biocarburant 2005-2007, lancé par le Gouvernement en février, n'est pas pleinement rassurant à cet égard. En effet, il se contente de fixer des plafonds de volume de production de biocarburants sans définir clairement leur utilisation éventuelle.
C'est donc en gardant à l'esprit l'ensemble de ces considérations que le groupe socialiste appréhende aujourd'hui l'article 1er octies.
En effet, dans un secteur encore largement en devenir, il faut commencer par ne pas mettre de freins, qui plus est lorsque les démarches positives sont déjà entamées. Or c'est bien l'effet de cet article que de remettre en cause une avancée qui avait suscité la satisfaction des filières agricoles concernées. Sa suppression s'impose donc et nous partageons, me semble-t-il, cette opinion, sur les diverses travées de cet hémicycle.
Toutefois, il faudrait témoigner, dès maintenant, d'un volontarisme accru en la matière et ne pas hésiter à aller plus loin dans cette démarche d'incitation fiscale, seule démarche à même de produire des effets concrets dans des délais assez brefs, car il y a urgence : la maison brûle, ai-je entendu !
C'est dans cette optique que nous soutenons sans réserve la démarche que nos collègues Verts exposeront dans un instant.