Intervention de Gisèle Jourda

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 17 juin 2015 à 10h00
Approbation de l'accord entre le gouvernement de la république française et le gouvernement de la géorgie relatif au séjour et à la migration circulaire de professionnels — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Gisèle JourdaGisèle Jourda, rapporteure :

Avant d'examiner cette convention, il est impossible de ne pas avoir une pensée pour nos amis géorgiens qui viennent de subir de très violentes intempéries. Le bilan est lourd : des personnes ont perdu la vie, d'autres sont portées disparues et les dégâts matériels dans la ville de Tbilissi sont considérables.

Je vous indique d'emblée qu'il s'agit d'un accord bilatéral technique qui vise à faciliter une migration professionnelle temporaire fondée sur la mobilité et l'incitation à un retour des étudiants et professionnels concernés en Géorgie. Il concerne un nombre limité de personnes, moins de 200 personnes par an du côté géorgien, et n'a donc pas d'incidence sur le marché du travail français.

En 2013, la communauté géorgienne en France était composée de 8 460 personnes tandis que la communauté française en Géorgie était d'environ 300 personnes. La Géorgie se situe au 54e rang des pays d'origine de migrants résidant en France. Le principal motif d'immigration est humanitaire. Il représente à lui seul 44% de la part des premiers titres de séjour délivrés aux Géorgiens. Les flux annuels de premiers titres de séjour délivrés sont passés de 568 en 2008 à 856 en 2013. Nous sommes donc ici dans la loi des petits nombres.

Ceci étant dit, il importe de soutenir la Géorgie, ce petit pays du Caucase peuplé d'environ 4,5 millions d'habitants, en raison de ses relations avec l'Union européenne et bien entendu avec la France.

Le rapprochement avec l'Union européenne a débuté en 1992, après l'éclatement de l'Union soviétique, et l'indépendance de la Géorgie en 1991. 1999 a vu l'entrée en vigueur du premier accord de partenariat et de coopération (APC), signé en 1996, ainsi que l'adhésion de la Géorgie au Conseil de l'Europe. Chacun se souvient du rôle, en août 2008, de la Présidence française de l'Union européenne dans le conflit entre la Russie et la Géorgie autour de l'Ossétie du Sud. Une Mission de surveillance de l'Union européenne (MSUE) a alors été mise en oeuvre sur le terrain. Nous connaissons tous les difficultés de ce pays, le poids des « conflits gelés » - Ossétie du Sud et Abkhazie, qui représentent ensemble 20 % du territoire géorgien - et l'engagement de notre pays pour aider à leur résolution. En 2014, le ministre des affaires étrangères, puis le Président de la république, se sont rendus successivement à Tbilissi dans l'intention d'intensifier les relations de la France avec la Géorgie, afin de favoriser son développement, dans l'intérêt de nos économies respectives, sans négliger l'aspect culturel, éducatif et politique. Lors de ces visites, ils ont tous deux rappelé le plein soutien de la France à l'intégrité territoriale de la Géorgie dans ses frontières internationalement reconnues, ainsi qu'à un règlement pacifique du conflit. (L'indépendance de l'Ossétie du Sud et de l'Abkhazie n'est à ce jour reconnue que par la Russie, le Venezuela, le Nicaragua, Nauru et Tuvalu).

Depuis 2009, la Géorgie bénéficie de la Politique européenne de voisinage et du partenariat oriental qui vise à engager les pays voisins de l'Union Européenne dans la promotion de valeurs communes telles que la démocratie, les droits de l'homme et les principes de l'économie de marché respectueuse du développement durable.

Enfin, l'Union européenne et la Géorgie ont signé, le 27 juin 2014, un accord d'association « qui inclut un accord de libre-échange approfondi et complet ». Le projet de loi de ratification de ce texte a été adopté en Conseil des ministres, le 20 mai 2015, et déposé aussitôt à l'Assemblée nationale. Il sera bien évidemment examiné par notre commission le moment venu et je sais bien que notre collègue Alain Gournac, Président délégué pour la Géorgie du groupe interparlementaire d'amitié France-Caucase, apportera toutes les connaissances qu'il a de ce pays à l'étude de ce dossier. On notera que le volet commercial de l'accord est appliqué à titre provisoire depuis le 1er septembre 2014, dans l'attente de la ratification par les Etats membres puisque la Géorgie, quant à elle, l'a ratifié le 18 juillet 2014.

Quelques mots des relations entre la France et la Géorgie : elles sont amicales et entretenues par des contacts à haut niveau. Toutefois, la Géorgie demeure un partenaire commercial marginal pour la France, même si les échanges commerciaux sont en augmentation : 180 millions d'euros en 2013, contre 120 millions d'euros en 2012. Réciproquement, avec une part de marché d'environ 2%, la France est également un partenaire commercial de second rang pour la Géorgie, derrière notamment la Turquie, l'Azerbaïdjan, la Russie, la Chine, l'Ukraine ou encore l'Allemagne. La dynamique de croissance de ce pays repose largement, depuis 2003, sur les investissements étrangers et le secteur des services, au détriment de l'industrie et surtout du secteur agricole. Ce pays tire également avantage de sa situation de pays de transit pour les hydrocarbures. La prévision de croissance de la BERD pour 2015 est de 2,7%. La Géorgie est classée à la 15e position mondiale (-6 places) par le classement « Doing Business » 2014 de la Banque Mondiale.

Après ce tableau général, venons-en à l'accord proprement dit, qui, je le redis, a un objet modeste. Celui-ci s'inscrit dans le cadre plus général de l'approche globale des migrations et de la mobilité adoptée par le Conseil européen, en 2005, puis modifiée par une communication de la Commission européenne en novembre 2011. Il s'agit principalement d'établir une politique migratoire équilibrée et globale, en partenariat avec les pays tiers, dont un des objectifs est l'ouverture de dialogues en matière de visas, de migrations et de mobilité.

Cette approche globale, que la France a toujours soutenue, s'appuie sur des outils spécifiques comme le partenariat pour la mobilité qui se présente comme un cadre juridiquement non contraignant, reposant sur la réalisation coordonnée d'initiatives concrètes dans le domaine de la migration et visant à favoriser une gestion commune et responsable des flux migratoires.

Un tel partenariat a ainsi été signé, le 30 novembre 2009, entre l'Union européenne et la Géorgie. La France fait partie des seize Etats membres qui se sont engagés dans ce partenariat.

Ce partenariat pour la mobilité, qui complète les accords prévus dans le cadre du partenariat oriental, comprend notamment un engagement relatif à la promotion et à la mobilité légale et professionnelle, notamment dans le cadre des migrations temporaires et circulaires, avec des formations préalables au départ dans le domaine de l'enseignement et de la formation professionnels et de l'apprentissage des langues, ainsi qu'un engagement de retour volontaire et de réintégration pour lutter contre l'exode des cerveaux et la création, d'un système d'échange des étudiants et professionnels.

Cet accord bilatéral se présente ainsi comme l'offre de la France dans le cadre de ce Partenariat pour la mobilité, offre qui a été accueillie avec un vif intérêt par la Géorgie, puisque seulement deux séances de négociation, respectivement en mai et juillet 2010, ont permis de parvenir à la signature d'un accord, le 12 novembre 2013, à Paris.

Concrètement cet accord a pour objet d'organiser une migration professionnelle temporaire, avec une perspective du retour en Géorgie, en facilitant l'admission au séjour temporaire de trois catégories de personnes.

En premier lieu, les étudiants géorgiens à la fin de leur cursus universitaire. Un titre de séjour temporaire d'une durée de douze mois peut leur être accordé lorsqu'ils viennent d'obtenir un diplôme de niveau équivalent au moins au master ou à la licence professionnelle, dans un établissement d'enseignement supérieur français ou dans un établissement d'enseignement supérieur géorgien, lié à un établissement d'enseignement supérieur français par une convention de délivrance de diplôme en partenariat international, et qu'ils souhaitent compléter leur formation par une première expérience professionnelle en France, dans la perspective de leur retour en Géorgie.

Quatre conventions de partenariat ont été recensées, en 2014, par l'ambassade de France à Tbilissi, dans les domaines suivants : informatique (double-diplôme : bachelor géorgien-licence française) ; sciences humaines et sociales, management (double-master) ; sociologie, psychologie et droit. Trois partenariats sont en cours d'élaboration et devraient porter dans les domaines suivants : médecine, tourisme et psychologie.

Pendant la durée de validité de ce titre de séjour, les étudiants géorgiens, déjà présents en France ou venant de Géorgie, sont autorisés à chercher un emploi, puis, le cas échéant, à exercer un emploi en relation avec leur formation, sans que la situation de l'emploi en France ne leur soit opposable. À l'expiration de son titre de séjour, l'intéressé, qui a un emploi ou une promesse d'embauche en relation avec sa formation, est autorisé à poursuivre son séjour sans considération de la situation de l'emploi en France.

La proportion d'étudiants et stagiaires géorgiens en France est faible. Le nombre des premiers titres de séjour délivrés était de 112 en 2012 et de 111 en 2013, ce qui correspond, pour 2013, à 13% de la demande totale des premiers titres de séjour délivrés et place la Géorgie au 62e rang (même rang qu'en 2012).

En deuxième lieu, les titulaires d'un contrat de travail correspondant à une activité inscrite dans la liste des 50 métiers ouverts aux ressortissants géorgiens peuvent obtenir un titre de séjour temporaire portant la mention « salarié » d'une durée d'un an renouvelable. Là aussi, la population concernée est peu nombreuse. Pour toute la catégorie dite professionnelle qui comprend les salariés mais aussi les motifs « saisonnier », « scientifique », « compétence et talents » et « actifs non-salariés », le nombre de titres délivrés, en 2013, est de 43, ce qui correspond à environ 5 % de la demande totale et place la Géorgie au 61e rang.

Il s'agit des 50 métiers pour lesquels les employeurs rencontraient des difficultés de recrutement au moment de la négociation de ce texte. Ces métiers visés à l'annexe 1 de la convention recouvrent un grand nombre de secteurs allant des bâtiments et travaux publics à l'informatique, la banque et les assurances. Cette liste de métiers peut être modifiée par simple échange de lettres entre les autorités gouvernementales.

Le contrat de travail est validé par les services de la main-d'oeuvre étrangère, sans que soit prise en compte la situation de l'emploi en France.

Le nombre de ces titres de séjour temporaire susceptibles d'être délivrés est limité à 500 par an. La modification de ce contingent peut être décidée par simple échange de lettres entre les autorités gouvernementales compétentes. Un comité de suivi, composé de représentants des administrations concernées de chacun des deux pays, est notamment institué à cet effet.

En troisième lieu, cet accord concerne aussi les jeunes professionnels français et géorgiens. Les Parties conviennent en effet de développer les échanges de jeunes professionnels français et géorgiens, âgés de dix-huit à trente-cinq ans, qui se rendent en France ou en Géorgie pour améliorer leurs perspectives de carrière grâce à une expérience de travail salarié. Ils doivent être titulaires d'un diplôme correspondant à l'emploi offert ou posséder une expérience professionnelle dans le domaine d'activité concerné.

Dans le cadre de ces échanges, la situation de l'emploi n'est pas opposable aux jeunes professionnels, tant français que géorgiens, dans une limite globale de 150 personnes par an. Ce contingent peut être modifié par simple échange de lettres entre les autorités gouvernementales compétentes.

Les jeunes professionnels géorgiens peuvent ainsi obtenir un visa de long séjour valant titre de séjour d'une durée de six à douze mois qui peut être prolongé, à condition que la durée de l'ensemble du séjour n'excède pas dix-huit mois. Les jeunes professionnels français, quant à eux, bénéficient d'un titre de séjour temporaire d'une durée de six à douze mois à la fin duquel ils obtiennent le renouvellement de leur titre de séjour conformément à la législation géorgienne, en cas de prolongation de leur contrat de travail.

En outre, de manière unilatérale, la France s'engage à faciliter la délivrance de la carte « compétence et talents » d'une durée de trois ans, aux ressortissants géorgiens « susceptibles de participer, du fait de leurs compétences et de leurs talents, de façon significative et durable, au développement économique ou au rayonnement, notamment intellectuel, universitaire, scientifique, culturel, humanitaire ou sportif de la République française » et directement ou indirectement de la Géorgie. L'expérience menée en France doit être profitable à leur retour, notamment dans la perspective de la création d'entreprises génératrices d'emplois nécessaires en Géorgie.

Cet accord est conclu sur une base de réciprocité et d'égalité de traitement avec les nationaux.

Après un examen attentif, je recommande l'adoption de ce projet de loi qui manifeste concrètement notre soutien à ce pays, même s'il est de portée modeste. Il a une dimension symbolique, puisque c'est le premier instrument bilatéral conclu en matière d'immigration professionnelle avec la Géorgie. La Géorgie a notifié à la France qu'elle avait achevé ses procédures de ratification en février 2014. Si le nombre de personnes concernées semble faible, on peut espérer que cet accord aura un caractère incitatif et confortera l'influence de la France en Géorgie.

L'examen en séance publique est fixé au jeudi 25 juin 2015. La Conférence des Présidents a proposé son examen en procédure simplifiée.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion