Intervention de Amiral Rogel

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 17 juin 2015 à 10h00
Programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense — Audition de l'amiral bernard rogel chef d'état-major de la marine

Amiral Rogel, chef d'état-major de la Marine :

Monsieur le président, Mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie de m'avoir invité aujourd'hui pour évoquer avec vous le projet d'actualisation de la loi de programmation militaire (LPM) et ses implications pour la marine. C'est toujours un moment de solennité pour moi, car nous parlons non seulement du quotidien, mais encore de l'avenir de notre marine, de nos armées, de notre pays.

Cette actualisation était prévue par la LPM. Comme vous le savez, elle intervient plus tôt que prévu, dans le contexte des attentats de janvier 2015, qui a donné lieu à la mise en place de l'opération « Sentinelle ». Le contexte international est lui aussi en pleine évolution, la marine est très sollicitée sur le plan opérationnel et je ne vois pas cette situation changer à court terme.

Ce projet de loi est une bonne chose pour la défense. Il doit être soutenu. Il est le résultat de la conviction avec laquelle le ministre s'est engagé pour que soient respectées les conclusions du Livre blanc : je rends hommage à son action. Nous devrons bien sûr par la suite rester vigilants, année après année, à sa mise en application.

Ce projet de loi comporte des avancées bienvenues : la transformation des recettes exceptionnelles en crédits budgétaires, les moindres déflations en effectifs, la confirmation de certains programmes d'armement. Si je devais résumer, je dirais que l'actualisation de la LPM nous permet de confirmer globalement pour la marine la trajectoire du Livre blanc et nous permet de mener comme prévu le plan « Horizon marine 2025 », ce qui est en soi une très bonne chose.

Je voudrais commencer par replacer ce projet de loi dans son contexte vu de la marine. Ce contexte, c'est celui d'un durcissement de la situation stratégique mondiale, perceptible en mer. C'est un contexte où la marine reste fortement sollicitée sur le plan opérationnel. C'est également un contexte où elle doit poursuivre son effort de transformation pour s'adapter aux nouveaux enjeux et aux nouvelles menaces. C'est l'objet du plan stratégique « Horizon marine 2025 », qui est pour la marine une révolution plutôt qu'une évolution, un changement en profondeur. Cet effort passe notamment par le nécessaire renouvellement de sa flotte, aujourd'hui vieillissante.

Les aspects maritimes de l'évolution du contexte stratégique sont relativement peu abordés dans le projet de loi - on ne pouvait pas tout y mettre. Et pourtant, ce milieu connaît aujourd'hui d'importantes ruptures stratégiques dont nous devons tenir compte. Le rapport d'information sur la maritimisation, publié au nom de votre commission en juillet 2012 avait vu certaines de ces ruptures et je rends hommage une fois de plus aux sénateurs Trillard et Lorgeoux pour ce travail. Ses conclusions sont confirmées et restent parfaitement d'actualité aujourd'hui. Au cours de ces derniers mois, les grandes tendances liées aux espaces maritimes se sont confirmées.

La redistribution des puissances maritimes se poursuit. J'ai déjà eu l'occasion de l'évoquer devant vous : la Chine, la Russie, le Japon, le Brésil, l'Inde, sans oublier bien entendu les Etats-Unis, sont les acteurs de cette redistribution.

Pour ne citer qu'un de ces pays, la croissance de la marine chinoise est probablement la plus spectaculaire. J'ai pu m'en rendre compte en me rendant en Chine au mois d'avril. La Chine vient de publier un nouveau Livre blanc de la défense. Ce document met un accent particulier sur le volet maritime de la stratégie de défense chinoise et affirme la vocation planétaire de sa marine. Il y a 4 ans, la marine chinoise opérait essentiellement en mer de Chine. Aujourd'hui on la voit partout, en océan Indien, en Méditerranée, dans le golfe de Guinée... Il en va de même pour la Russie.

Je n'oublie pas les autres pays que je vous ai cités. Dans ce bouillonnement des puissances maritimes, je trouve que l'Europe reste pour le moins absente et c'est l'une de mes préoccupations.

La territorialisation des espaces maritimes est à l'oeuvre, comme on peut le constater en mer de Chine, dans le grand Nord avec le changement climatique ou à l'Est de la Méditerranée pour ses gisements gaziers. Face à la question des ressources, cet enjeu s'étendra partout, j'en suis absolument convaincu.

Certains conflits régionaux ont des répercussions en mer. Je pense à la crise yéménite, qui, ces dernières semaines, a fait naître des tensions autour du détroit de Bab-el-Mandeb. Ce détroit voit passer 17 000 navires par an, soit 30% de nos approvisionnements en hydrocarbures et 90% des biens manufacturés en provenance d'Asie. Une fermeture de ce détroit aurait des conséquences immédiatement visibles sur nos économies. L'alternative serait de contourner l'Afrique, ce qui représente environ trois semaines de délai. Dans une économie à flux tendus, cela se répercuterait immédiatement par des pénuries sur les rayonnages de nos supermarchés. Je pense également à la crise syrienne ou à la situation politique dans certains pays d'Afrique, qui, combinées avec la situation en Libye, poussent un très grand nombre de personnes à tenter le voyage vers l'Europe. Nous en constatons les effets aujourd'hui, avec des flux de migrants toujours plus importants et une exploitation de ces flux par des réseaux de passeurs sans aucun scrupule.

La piraterie et les trafics en mer ne tarissent pas. Sous contrôle en océan Indien, la piraterie repart en Asie du Sud-Est et sévit dans le golfe de Guinée, sous des formes parfois nouvelles comme le « bunkering ». Dans de nombreux cas, ces activités criminelles ont des liens étroits avec les groupes armés terroristes. Les administrations françaises ont saisi 5 tonnes de drogue en mer depuis le début de l'année.

Je pense enfin au changement climatique, qui aura un impact croissant sur les mouvements de population et qui, en ouvrant à terme de nouvelles routes ou en permettant l'accès à de nouvelles ressources, se répercutera sur les espaces maritimes.

La marine est aujourd'hui en surrégime opérationnel : je vous indiquais en effet lors de ma précédente audition que la marine opère en permanence dans 4 à 5 zones, alors que le Livre blanc n'en prévoyait que « 1 à 2 ». De nouvelles sollicitations ont fait leur apparition depuis et certains dispositifs ont été renforcés. Au cours de ce début d'année 2015, la marine a connu des périodes où elle était déployée simultanément sur 6 théâtres (Atlantique nord, Afrique de l'ouest, Méditerranée orientale, océan Indien, golfe arabo-persique, mer de Chine). Cela me contraint à proposer des choix au CEMA et à démunir au profit de l'urgence certaines missions de l'AEM ou certains exercices internationaux majeurs, importants pour le maintien de nos savoir-faire.

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