Intervention de Amiral Rogel

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 17 juin 2015 à 10h00
Programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense — Audition de l'amiral bernard rogel chef d'état-major de la marine

Amiral Rogel, chef d'état-major de la Marine :

Concernant le projet Balard, il y a naturellement une cohérence certaine. Rassembler toutes les DRH des armées à Tours me parait être une bonne idée, bien que nous aurons moins de contacts physiques avec ces personnes. L'essentiel des services qui doivent être centralisés, ceux qui concourent aux décisions centrales, le seront à Balard et c'est cela l'important. Le service de recrutement de la Marine sera positionné à Vincennes.

Concernant la crise yémenite, nous la suivons de très près car elle peut avoir des implications à la mer et notamment dans le détroit de Bab-El-Mandeb. Si des missiles sol-air de longue portée venaient à tomber dans des mains indésirables, cela pourrait faire peser une large menace sur ce détroit vital.

Louvois est en effet un logiciel capricieux qui ne supporte pas les changements, et qui a du mal en particulier à prendre en compte les mutations vers l'outre-mer ou en retour en métropole. Cependant, nous arrivons à le contrôler aujourd'hui grâce au Centre d'Expertise des Ressources Humaines de la Marine. La surveillance personnalisée qu'exerce tout le personnel de notre chaîne RH fait que nous n'avons eu aucun cas de solde non payée dans la Marine. Je souligne par ailleurs que la qualité de cette gestion a conduit le Ministre de la Défense à nous désigner première armée à passer sous le futur système de solde, « Source Solde ». C'est un nouveau défi pour nous que d'aider à bâtir ce nouveau système tout en maîtrisant l'ancien ; un défi que je relève avec confiance grâce à la qualité de mon personnel des ressources humaines.

Le Golfe de Guinée, qui me tient particulièrement à coeur, est aujourd'hui une zone de non-droit où prolifèrent la piraterie, et tous les trafics - d'armes, de drogues, et d'êtres humains - ainsi que la pêche illégale. Notre ambition, en appui du Ministère des affaires étrangères, c'est la mobilisation des pays africains. Bien qu'ils ne soient pas tous naturellement tournés vers la mer, il existe aujourd'hui une véritable prise de conscience ; la mise en place d'un réseau de centres de crise et de surveillance le long des côtes du Sénégal à l'Angola le prouve. Nous apportons notre contribution, en particulier à travers la mission « Corymbe » qui assure la permanence d'un bâtiment français dans le Golfe de Guinée destinée initialement à permettre une évacuation de nos ressortissants qui sont 70 000 dans le Golfe de Guinée. Cette mission a évolué au cours du temps avec un volet anti-piraterie car le trafic maritime français s'est beaucoup développé dans cette zone. Enfin, une partie de cette mission a été dédiée depuis deux ans à une nouvelle mission (Mission « Nemo ») de formation des marines africaines. Il s'agit d'une sorte d' « université flottante ».A chaque déploiement d'un bâtiment de la marine dans le Golfe de Guinée, le Commandant en chef pour l'Atlantique, en charge de cette zone, se coordonne avec ses homologues africains pour répondre aux besoins en formation. Dans un contexte budgétaire restreint, ce format nous permet de les former à moindre coût ; et cela fonctionne très bien, à chaque mission, nous formons une dizaine de marines africaines environ. Cependant, l'action ne peut pas venir que des marines, l'action politique est indispensable, c'est tout le principe de l'action de l'État en mer et de la coopération interministérielle. Nous organisons le premier séminaire des Chefs d'états-majors des marines du Golfe de Guinée, avec la participation des chefs d'états-majors du Danemark, de l'Espagne et du Portugal également, les 25 et 26 juin prochains à Brest. Il s'agira de se pencher sur l'appropriation de la zone, et comment mieux fonctionner ensemble, notamment de façon interministérielle.

Le dialogue avec la marine britannique se poursuit, notamment dans le cadre de la CJEF (Combined Joint Expeditionary Force). Pour la première fois, une frégate britannique a pris le rôle de commandement de la protection anti sous-marine du Charles de Gaulle pendant le déploiement « Arromanches ». Compte tenu du contexte budgétaire de la marine britannique c'était un bel effort que je veux saluer. De plus, les Britanniques construisent actuellement deux porte-avions - qui accueilleront des avions de construction américaine à décollage vertical, à la différence du Charles de Gaulle - ce qui nous permettra d'assurer une permanence franco-britannique à la mer. Cela n'arrivera malheureusement pas lors de la prochaine révision du Charles de Gaulle puisque leur premier porte-avions ne devrait être livré qu'en 2020.

Le Nord Atlantique devient à nouveau une zone très fréquentée, notamment sous l'eau, et l'aviation de patrouille maritime, ainsi que les sous-marins, sont donc sollicités. Il convient d'être très vigilant là aussi car, entre le Grand Nord et nous, nous ne pouvons compter que sur les Norvégiens, les Américains, et dans une moindre mesure, les Britanniques - en raison de leur renoncement en termes d'aviation de patrouille maritime.

Concernant la gestion des équipements et du personnel, il est vrai qu'elle n'est pas aisée dans un contexte de contraintes d'effectifs. Une de mes préoccupations actuelles réside dans la formation de mes équipages de FREMM, mais c'est également le cas pour le MCO. Les industriels ont naturellement tendance à se pencher sur le futur, mais je dois également garder les compétences pour faire naviguer les navires anciens.

Les drones sont d'un grand intérêt pour la Marine et nous avons expérimenté un drone sur le patrouilleur l'Adroit. Je suis intimement persuadé que les drones feront partie de l'avenir de la Marine et je pense que toute proposition dans ce sens est la bienvenue. Le drone permettra d'élargir les capacités de connaissance et d'anticipation des futurs patrouilleurs de haute mer. Ils sont moins coûteux et moins difficiles à mettre en place qu'un hélicoptère, cependant ils ne pourront remplacer totalement les hélicoptères. La conjonction des deux matériels, aéronefs habités et drones, sera nécessaire.

Concernant l'IPER (Indisponibilité périodique pour entretien et réparation) du Charles de Gaulle et le lancement du Barracuda, le décalage est technique et non budgétaire, et très léger s'agissant du Barracuda (six mois), compte tenu de la complexité technologique de ce sous-marin d'attaque nucléaire (l'un des objets les plus complexes qui soient au monde). Le programme arrivera à peu près à l'heure et ce décalage ne représente pour moi qu'un aléa limité.

Concernant les associations nationales de professionnelles de militaires, je prends acte de leur création. Toutefois, dans le conseil de la fonction militaire (CFM), je discute de tout avec mon personnel, non seulement des statuts, mais aussi de la vie quotidienne, de la complexité des réformes, et je crois que le personnel de la Marine est content du système de concertation tel qu'il existe aujourd'hui. Ce qui m'importe c'est de ne pas fragiliser cette confiance et ce système de concertation. Le bon moment pour l'introduction des associations dans le CFMM sera donc, à mon sens, quand le conseil de la fonction militaire marine sera lui-même prêt à absorber ces associations. Ce que je demande c'est donc un peu de temps pour que cela se mette en place. Je crois qu'écouter ce que disent les marins est la meilleure méthode.

La réserve opérationnelle et particulièrement importante pour nous. Mes centres d'opérations Marine aujourd'hui ne tourneraient pas sans la réserve opérationnelle. Ce sont également les réservistes qui gardiennent les bâtiments pendant les permissions ce qui permet de libérer les équipages. Nous avons déjà un bon système, mais je crois qu'il faut qu'on le dynamise encore un peu. Aujourd'hui la réserve opérationnelle est beaucoup constituée d'anciens marins et nous devons réfléchir à son élargissement. Mais cela pose d'autres problèmes, notamment pour les entreprises et les employeurs.

La lutte contre les migrations est un vrai sujet. Une des premières missions et obligations du marin c'est, en mer, le secours aux personnes. Mais un des dangers de positionner des bâtiments militaires, c'est que les passeurs y voient la garantie que les victimes seront sauvées et augmentent les flux. Les zones de guerre alimentent le mouvement mais le changement climatique qui pousse les populations vers les côtes également. Il convient d'appliquer une solution globale telle que nous l'avons fait lors de la mission Atalanta. L'action de la marine seule ne résoudra pas l'accroissement des flux de migration. J'espère que la mission de l'Union européenne se calquera sur ce modèle c'est-à-dire : identifier les réseaux de passeurs, conduire des missions de renseignement, mettre en place des outils financiers et trouver des solutions de jugement et d'incarcération des passeurs. La France devrait prendre le poste d'adjoint au commandant italien de l'opération européenne ; et nous verrons quels moyens nous mettrons à disposition en fonction de la génération de forces.

Aujourd'hui, nous continuons les déflations d'effectifs telles qu'elles étaient prévues - initialement 1800, puis 2000 à la suite des analyses fonctionnelles. Les moindres déflations en revanche vont permettre de couvrir les besoins nouveaux, soient la protection des emprises et un certain nombre d'autres besoins tels que la cyber défense qui est une priorité. Les moindres déflations permettront également de soulager les fusiliers marins qui supportent une charge de travail et d'astreinte trop importante.

La piraterie n'a pas cessé, elle a évolué en raison des changements économiques dans les pays européens. La diminution du nombre de raffineries en Europe en est un exemple - en France le nombre de raffineries a été divisé par trois en quarante ans. Cela s'est traduit par une plus grande importation de produits raffinés, plus chers et plus faciles à écouler, qui sont une aubaine pour les pirates. Ces derniers se sont donc recyclés et s'attaquent principalement aux pétroliers transporteurs de produits raffinés, c'est que l'on appelle le bunkering. Dans le golfe de Guinée, nous sommes passés d'un phénomène de coupeurs de route, de brigandage, à de la piraterie professionnelle et violente. Là aussi, le changement climatique joue un rôle dans la piraterie, la misère qui arrive sur les côtes va multiplier les trafics.

Concernant les zones maritimes sous tension, c'est ce que j'ai évoqué sous le terme territorialisation : à mesure que les ressources vont devenir plus rares à terre et que les technologies modernes vont progresser, l'appétence pour le fond des mers va croitre. Cela est déjà très marqué en Mer de Chine. La Chine aujourd'hui y installe son droit. Vous avez raison, on retrouve le phénomène aussi dans l'Est de la Méditerranée avec des gisements autour des nouvelles frontières à la mer et bientôt, j'en suis sûr, nous le retrouverons partout. Nous avons intercepté il y a deux ans, un prospecteur minier à la mer qui prospectait dans notre ZEE dans le canal du Mozambique sans autorisation ; et la semaine dernière dans le Golfe de Gascogne. C'est ici tout l'enjeu des moyens de souveraineté et de surveillance maritime. Au premier rang, les patrouilleurs, les avions de surveillance maritime. Ils doivent être capables de savoir ce qu'il se passe dans notre ZEE car si nous la laissons sans surveillance, cela se saura et elle sera pillée. Dans ces affaires de pillage, il existe également un phénomène qui prend de l'ampleur, c'est la pêche illégale. La démographie galopante mondiale fait qu'il y a de plus en plus de besoins et que certains pays laissent, par défauts de moyens, se développer de la pêche illégale dans leur zone ; c'est quelque chose que nous retrouvons partout en Outre-mer. La surveillance de nos zones maritimes est donc nécessaire.

La coopération avec les Marines européennes se passe bien, dans la limite des moyens de chacun. La France est encore un îlot de verdure dans le paysage des Marines européennes et cette tendance de notre continent tranche assez fortement avec mes propos précédents de « nouvelle redistribution maritime mondiale ». Ce que certains appellent encore les « pays émergents », je vous assure que sur le plan de la puissance maritime, ils ont émergé ! L'Inde, le Brésil, et puis la Chine, les États-Unis, la Russie ont tous des politiques maritimes importantes, à long terme, avec une Europe, qui pardonnez-moi, mais est « à la traîne » dans la prise de conscience de ces enjeux. Tous les pays européens n'ont certes pas la deuxième ZEE au monde mais nous avons des enjeux communs auxquels il faut prendre garde, ne serait-ce qu'en Méditerranée. Certaines Marines européennes ont des bâtiments mais n'arrivent pas à les faire naviguer faute de budget, d'autres n'ont plus de budget. Nous essayons de rassembler toutes les bonnes volontés, c'est ce que nous faisons en Méditerranée. Nos échanges avec les pays de la côte nord et de la côte sud de l'ouest de la Méditerranée nous permettent de bien contrôler les affaires d'immigration illégale dans cette partie du bassin. Nous avions auparavant des contacts assez suivis avec la Libye, aujourd'hui c'est un peu plus compliqué ; ce qui explique aussi que les migrants trouvent là un point d'embarquement assez favorable. Mais le niveau de coopération est bon entre les Marines européennes ; nous essayons également de les impliquer, et singulièrement le Danemark, le Portugal et l'Espagne dans la sécurisation du Golfe de Guinée.

Pour éviter que des bateaux arrivent sur nos côtes, cela passe par la surveillance de nos approches. Notre réseau de sémaphores et notre réseau de surveillance maritime dans les préfectures maritimes permettent de détectent les bâtiments suspects. Aujourd'hui, il existe un système d'identification qui s'appelle l'AIS qui permet de surveiller et de suivre les bâtiments. C'est 10% de la Marine qui est attelée à la tâche de surveillance maritime mais c'est essentiel. Une autre des missions de la Marine est le contre-terrorisme maritime. On a eu les gratte-ciels à New-York, on a eu Charlie Hebdo à Paris, il n'est pas exclu qu'on ait, demain, un attentat à la mer. Il est d'autant moins exclu que parmi les gens qui partent se battre en Syrie, il peut se trouver des gens qui aient des compétences maritimes. Donc, il faut être extrêmement vigilant sur le futur.

Le site de Houilles accueille le commandement de la gendarmerie maritime ainsi que les services déconcentrés du commandement de la marine à Paris (COMAR Paris). Ils seront rejoints prochainement par les gendarmes qui travaillent aujourd'hui à l'Hôtel de la Marine. .

Pour terminer sur l'Albatros, on a trouvé, pour le remplacer, un beau partenariat qui est le premier partenariat interministériel avec les TAAF (Administration des Terres Australes et Antarctiques Françaises). Dans le Sud de l'Océan Indien, l'Astrolabe sera désarmé à peu près en même temps que l'Albatros ; nous avons désormais un partenariat commun qui va se traduire par la construction d'un navire polaire (et non un B2M) qui sera financé par l'administration des Terres Australes et Antarctiques Françaises, et armé et maintenu par la marine nationale. C'est un bâtiment à deux équipages, de façon à compenser au mieux le remplacement de deux bâtiments par un seul. Il couvrira une bonne partie de leurs missions et notre objectif c'est de le maintenir, grâce aux deux équipages, plus de 250 jours en mer par an pour couvrir l'essentiel des besoins, à la fois de l'administration des TAAF et de l'action de l'État en Mer. Les B2M eux sont actuellement construits au chantier Kership-Piriou à Concarneau qui a remporté l'appel d'offre. Le premier sera mis à flot au mois de septembre. C'est un chantier extrêmement compétent qui entretient déjà nos bâtiments école.

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