Intervention de Bruno Lasserre

Commission d'enquête Autorités administratives indépendantes — Réunion du 17 juin 2015 : 1ère réunion
Audition de M. Bruno Lasserre président de l'autorité de la concurrence

Bruno Lasserre, président de l'Autorité de la concurrence :

L'Autorité de la concurrence est l'héritière du Conseil de la concurrence, créé sous l'impulsion de M. Balladur lors de la libération des prix, comme contre-pouvoir, afin de vérifier que les entreprises ne s'entendaient pas pour augmenter artificiellement les prix. La loi de modernisation de l'économie a remplacé le Conseil de la concurrence par l'Autorité de la concurrence en 2009. Je salue le rôle qu'a alors joué le Sénat : le texte prévoyait une ordonnance mais M. Gérard Larcher, rapporteur, a par amendement dessiné les contours de la nouvelle institution directement dans la loi.

L'Autorité de la concurrence exerce une compétence générale. Nous surveillons le respect des règles du jeu dans toute l'économie, sans aucune exception. Cette compétence générale se renforce à mesure que la régulation ex ante se réduit. L'Autorité partage ce rôle avec la Commission européenne, qui lui confie de plus en plus de dossiers européens, dans un effort de subsidiarité.

Cinq des dix-sept membres du collège sont permanents, dont le président. Les douze autres, juges, professeurs de droit ou d'économie, ou personnalités exerçant des responsabilités dans le monde économique, ne siègent que pour les séances auxquelles ils sont invités. La séparation des fonctions garantit l'impartialité de la décision finale. L'instruction d'une part et la décision finale du collège délibérant d'autre part sont strictement distinctes.

La première compétence de l'Autorité de la concurrence est de vérifier que les entreprises respectent les règles du jeu du droit commun de la concurrence. La loi nous habilite à sanctionner les comportements illicites, pour un montant pouvant s'élever à 10 % du chiffre d'affaires mondial du groupe dont l'entreprise relève. Un réseau européen des autorités de la concurrence a été créé depuis 2004 et les affaires d'entente ou d'abus de position dominante, telles que l'enquête sur le moteur de recherches Google, sont réparties entre la Commission et les diverses autorités nationales. L'autorité française est la plus active, elle a enquêté sur 236 cas depuis le 1er mai 2014, proche des 281 cas de la Commission européenne, et 112 décisions ont été prises sur le fondement du traité européen.

Nous croyons à la dissuasion : les ententes entre entreprises concurrentes endommagent l'économie, augmentent artificiellement les prix et affaiblissent la compétitivité de pans entiers de l'industrie. Nous exerçons notre rôle avec fermeté mais avec une individualisation de la sanction, afin de proportionner celle-ci aux capacités contributives des entreprises. Le montant total des amendes a dépassé le milliard d'euros l'an dernier, avec un taux de recouvrement de 99 %. Cette somme finance les missions d'intérêt général de l'État. Parallèlement aux sanctions, nous pouvons négocier des solutions et inviter les entreprises à prendre des engagements. L'an dernier, pour citer des affaires qui ont eu un impact sur la vie quotidienne, obligation a été faite à Nespresso d'ouvrir le marché des capsules de café ; nous avons rétabli la liberté tarifaire des hôteliers, le rapport de force est à présent plus équilibré vis-à-vis de Booking.com. Nous avons simplifié la vie des Français et donné des chances à des entreprises nouvelles.

Notre deuxième compétence porte sur le contrôle des structures. Nous examinons tous les projets de fusion et de rachat soumis par les entreprises. Sur 200 notifications par an, une centaine reçoit une réponse simplifiée en moins de quinze jours. Nous n'avons jamais refusé de fusion ou de rachat mais subordonnons parfois notre feu vert à certaines conditions - ce fut le cas dans 5 à 10 dossiers - en cas de fusion de chaînes de distribution par exemple.

Douze personnes travaillent sur ces 200 dossiers, soit l'effectif que la Commission européenne affecte à une seule opération. La situation est d'autant plus tendue que de plus en plus de dossiers européens sont renvoyés vers nous, comme le rachat de Dia par Carrefour, la vente des cliniques du pôle Générale de santé, de Total Gaz, Monsieur Bricolage...

La troisième activité est consultative. L'Autorité mène des enquêtes sectorielles pour formuler des recommandations au Gouvernement ou au Parlement, ou pour adresser des signaux aux entreprises. Ces travaux ont notamment porté sur les autoroutes, sur le regroupement des centrales d'achat - à la demande du Sénat -, sur le processus de normalisation et de certification, sur le marché de la publicité en ligne ou sur le statut des gares. Certains de nos avis ont inspiré des travaux législatifs, à l'image de la disposition du projet de loi Macron sur les autocars. Nous sommes très attachés à cette activité de proposition et de conseil.

L'effectif total de l'Autorité de la concurrence est de 180 personnes - ceux des régulateurs sectoriels sont souvent plus importants - pour un budget de 19,5 millions d'euros, ce qui est peu comparé à nos homologues européens.

Le projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques attribue de nouvelles responsabilités à l'Autorité de la concurrence, lui demandant expertise et avis sur les tarifs des professions juridiques et la cartographie des besoins en la matière afin de déterminer les conditions d'entrée. Nous n'en avons pas les moyens ! De nouveaux pouvoirs lui sont également attribués dans le secteur de la distribution, où l'activité de l'Autorité croît avec la reprise économique qui fait éclore de nouveaux projets de fusion ou de rachat. Le nombre de plaintes, très souvent assorties de mesures conservatoires à examiner en trois ou quatre mois, a doublé entre 2013 et 2014.

L'Autorité s'est aussi vu attribuer de nouvelles compétences outre-mer, où elle est très active, tandis que la promesse publique d'augmenter ses moyens n'a pas été tenue. Nos moyens sont en régression.

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