Intervention de Jean-Claude Ameisen

Commission d'enquête Autorités administratives indépendantes — Réunion du 9 juin 2015 à 16h05
Audition de M. Jean Claude ameisen président du comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé ccne

Jean-Claude Ameisen, président du Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé :

S'agissant de la composition du CCNE, le premier cheminement consiste à élaborer un langage commun. Ce que disent les biologistes et les médecins sur un problème médical est au départ difficilement compréhensible par les juristes, les philosophes, les mathématiciens, ou par d'autres. Ce que disent les juristes à propos d'un problème est difficilement compréhensible par les médecins, les biologistes, les philosophes.

La première étape est donc presque épistémologique : de quoi parlons-nous, à partir de ces points de vue qui viennent de pratiques professionnelles et de cultures différentes ? Il convient donc de poser la question de façon qu'elle soit compréhensible par tous.

En second lieu, nous avons pensé depuis le début qu'être condamné au consensus, c'est être condamné au plus petit dénominateur commun. C'est une situation que l'on rencontre souvent dans d'autres institutions, comme la Cour suprême, aux États-Unis. Si, en arrivant à la fin de l'élaboration de la réflexion ou des recommandations, certains membres considèrent qu'on aurait pu cheminer vers un questionnement différent, établir des recommandations différentes, ils écrivent une opinion minoritaire, qui peut être celle de plusieurs membres ou d'un seul, voire quatre opinions minoritaires différentes.

Depuis la création du CCNE, en moyenne, un tiers de nos avis comporte une ou plusieurs opinions minoritaires, les deux autres tiers qui n'en comportent pas ayant été implicitement approuvés par tous.

Depuis que j'ai accédé à la présidence, nous ne votons plus, mais les opinions minoritaires se déclarent spontanément et sont incluses dans l'avis. Nous ne sommes en effet pas représentatifs : notre force consiste à porter des regards divers.

Il est important, à mon sens, que les opinions minoritaires fassent partie de l'avis et expriment l'idée qu'il y a au moins deux façons d'aborder le problème. C'est un enseignement de plus. Lorsque le CCNE pense, à tort ou à raison, qu'il n'y a qu'une façon de considérer la question, c'est aussi un message, pour autant qu'il soit utile.

L'idée que l'on peut cheminer ensemble jusqu'au bout permet à chacun de participer, sans craindre de se sentir prisonnier, puisqu'on ne sait jamais où va conduire la réflexion transdisciplinaire.

Les avis les plus intéressants élaborés par le CCNE sont ceux où chacun finit par arriver à une opinion différente de celle qu'il avait au départ. Nous avons alors l'impression de faire oeuvre originale, puisqu'il émerge quelque chose de nouveau.

Chaque fois que nous abordons une question, la contradiction est saine, parce qu'elle démontre - au début au moins - que le problème n'est pas univoque et qu'il n'existe pas de solution a priori. Ceci aide à élaborer un avis.

Fort heureusement, tout ce qui est possible n'est pas forcément souhaitable, et notre rôle est de nous interroger sur le souhaitable, dans le souci du respect des droits fondamentaux de chaque personne. Nos réunions avec nos collègues des comités d'éthique d'autres pays nous rappellent en permanence qu'il y a plusieurs façons d'envisager le souhaitable à partir du possible. Lorsque nous nous réunissons, et que nous discutons de la fin de vie ou du début de la vie, de l'assistance médicale à la procréation, de la gestation pour autrui, nous nous apercevons que, suivant la manière de s'interroger, les traditions, la culture, les choses ne sont pas abordées de la même façon.

Vous évoquiez les groupes de pression. Nous sommes indépendants. Nous écoutons, nous réfléchissons, et nous élaborons une réflexion. Nous auditionnons tous les groupes de pression, toutes les personnes qui expriment une vision différente, mais nous ne penchons pas d'un côté ou d'un autre, en fonction de ce qui se dit. Notre but est de rendre service à la société, même lorsqu'elle ne nous écoute pas, non d'être populaires !

Depuis trente-deux ans, beaucoup d'avis du CCNE ont été acceptés par la société et transcrits presque immédiatement dans la loi, ce qui pose parfois problème, car notre mission n'est pas de nous substituer à la réflexion, mais d'aider à son développement. Je pense qu'il est bon qu'il existe un délai entre la délibération consultative et collective et les choix qui sont faits.

Parfois, les avis du CCNE ont entraîné des réponses très négatives, que ce soit de la société ou du législateur et c'est tout à fait normal. Certains avis n'entraînent aucune réaction, au point qu'on pourrait croire que le CCNE n'en a pas produit.

Ainsi, la loi Huriet-Sérusclat du 20 décembre 1988 a imposé, en France, un comité de protection des patients destinés à examiner l'équité des termes de la demande de participation à la recherche, dans le respect des personnes.

Le CCNE a relevé, au début des années 1990, que si c'était le cas pour les recherches menées par les institutions françaises en France, il n'en allait pas de même lorsque la même institution française menait une recherche dans un pays du sud, qui pouvait être dépourvu de comité d'éthique. Bien que le CCNE se soit étonné que le respect de la personne soit à configuration variable, suivant le pays dont la personne était originaire, nous n'avons enregistré aucune réaction !

Quelques années plus tard, début 2000, un nouvel avis a été émis sur le thème « santé et médecine Nord-Sud », et le CCNE a réitéré sa position. Nous n'avons pas eu plus de réactions !

Lors d'une audition, avant la révision de la loi sur la bioéthique de 2011, j'ai souligné que le CCNE estimait intéressant que figure dans la loi au moins un point mentionnant une préoccupation éthique pour les personnes ne résidant pas en France, mais touchées par nos activités. Ceci n'a pas eu plus de traduction que dans les autres cas.

Suivant les cas, les réactions sont très diverses. On nous a demandé, il y a quelques années, d'élaborer des indices de performance - ce qui est complexe, voire étrange pour le CCNE. Il était évident pour nous que le fait que des avis du CCNE soient transcrits dans la loi ou ne soient pas transcrits ne pouvait absolument pas être un indice de performance, notre seul rôle étant d'aider à la réflexion et non de nous préoccuper de savoir si celle-ci était ou non traduite dans les faits.

Nous cherchons à aider la société à réfléchir, non à lui dire ce qu'elle a envie d'entendre. Peut-être ce service est-il encore plus grand lorsque ce que nous apportons n'est pas compris ou attendu.

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