Intervention de Bruno Genevois

Commission d'enquête Autorités administratives indépendantes — Réunion du 10 juin 2015 à 14h35
Audition de M. Bruno Genevois président de l'agence française de lutte contre le dopage afld

Bruno Genevois, président de l'Agence française de lutte contre le dopage :

Je suis honoré et heureux d'être auditionné par votre commission d'enquête.

L'AFLD a été créée comme API par la loi du 5 avril 2006 relative à la lutte contre le dopage et à la protection de la santé des sportifs, mais la lutte contre le dopage est antérieure à cette loi, et n'est pas circonscrite à la France. Antérieurement, la loi du 1er juin 1965 a instauré une répression exclusivement pénale du dopage, qui n'a pas donné de bons résultats ; la loi du 28 juin 1989 a introduit des sanctions administratives en sus des éventuelles sanctions pénales ; la loi du 23 mars 1999, enfin, a créé le Conseil de prévention et de lutte contre le dopage auquel a succédé en 2006 l'AFLD.

En parallèle s'est développée une réglementation internationale, qui se caractérise par la coexistence de deux types de normes : une convention internationale classique, élaborée sous l'égide du Conseil de l'Europe, signée le 16 novembre 1989 et ratifiée par 52 États dont la France, et une convention de l'Unesco du 19 octobre 2005, ratifiée par 178 États, qui se réfère aux principes du Code mondial antidopage élaboré par l'Agence mondiale antidopage (AMA), fondation de droit privé suisse née en 1999 et administrée conjointement par les gouvernements et le mouvement sportif. Une troisième version du Code est en cours de transposition dans le droit français, avec la loi adoptée le 30 décembre 2014 qui habilite le gouvernement à procéder à cette transposition par ordonnances.

L'AFLD compte de nombreux atouts dans la lutte antidopage, résultant du rôle joué par les pouvoirs publics pour prolonger et amplifier les efforts du mouvement sportif dans la lutte contre la tricherie. En vertu d'une jurisprudence du Conseil d'État de 1974, l'organisation du sport en France est une mission de service public qui se traduit par un cadre juridique judicieux. Les choix opérés par le législateur avec les lois du 23 mars 1999 et du 5 avril 2006 se sont révélés, à l'usage, bienvenus. L'existence même d'une API en charge de la lutte contre le dopage doit être approuvée car elle n'est pas soumise à l'autorité politique du ministre et est indépendante du mouvement sportif : elle agit dans le cadre défini par la loi.

La composition du collège de l'Agence, conforme aux équilibres choisis par le législateur dès 1999, reflète le caractère pluridisciplinaire de la lutte contre le dopage, avec neufs membres issus de trois catégories - des juristes du Conseil d'État et de la Cour de cassation, des scientifiques et des médecins, des représentants du monde sportif - parfois assistés d'un dixième membre spécialiste du dopage animal.

Le législateur a voulu privilégier la répression administrative - l'interdiction faite au sportif de participer à des compétitions sportives - plutôt que la répression pénale, longue à mettre en oeuvre et réservée à la lutte contre les trafics. Cette compétence disciplinaire a été définie avec soin ; elle est subsidiaire et complémentaire de celles des fédérations sportives agréées. Si le sportif fait l'objet de prélèvements litigieux, il passe devant les instances fédérales qui doivent statuer dans les quatre mois, à peine de dessaisissement au profit de l'AFLD. Celle-ci peut évoquer un dossier si l'instance fédérale est jugée trop clémente ou trop sévère, afin d'harmoniser la répression du dopage quelles que soient les disciplines. Elle est compétente pour les sportifs non licenciés comme pour étendre une sanction fédérale à des fédérations omnisports. Elle rend ses décisions en matière disciplinaire dans un délai raisonnable de quatre mois, et dans le respect des droits de la défense.

L'AFLD est en outre dotée de moyens d'action conséquents. Sur le plan administratif, l'Agence regroupe différentes entités complémentaires : le département des contrôles (sanguins ou urinaires) ; le département des analyses avec le laboratoire de Châtenay-Malabry, un des 33 centres accrédités par l'AMA ; la cellule médicale examinant les demandes d'autorisation d'usage à des fins thérapeutiques ; la section juridique préparant l'activité disciplinaire ; les services horizontaux de coordination.

Nos effectifs ne sont pas pléthoriques car nous avons des relais à l'échelon local, avec trois cents préleveurs agréés et assermentés, et nous nous appuyons sur les services déconcentrés du ministère des sports, via une convention passée à cet effet.

Sur le plan financier, nous disposons d'un budget de 9 millions d'euros, financé à hauteur des neuf dixièmes par une subvention d'origine budgétaire ; en comparaison, le budget de l'AMA se monte seulement à 28 millions de dollars. À la suite des mesures de surgel et de mise en réserve des crédits qui ont affecté quelque peu notre action, nous essayons, dans un contexte budgétaire contraint, de poursuivre nos missions - tout en étant conscients de nos limites.

La lutte actuelle contre le dopage s'inspire des conclusions du très intéressant rapport de la commission d'enquête du Sénat de juillet 2013. Le code du sport privilégie des modes de détection directe du dopage qui peuvent prêter à interprétation ou à interrogation. Il convient donc de prolonger ces modes traditionnels de détection : la mise en évidence, dans le sang ou les urines, d'une substance interdite par la législation antidopage, inscrite sur une liste établie par l'AMA chaque année et avalisée par un décret du président de la République publié au Journal officiel.

Quand le prélèvement débouche sur un rapport d'analyses anormales, il est transmis à l'AFLD, qui agit comme une véritable autorité. Le sportif peut demander un échantillon B ou apporter une justification thérapeutique, que nous examinons avec la plus grande précaution.

Nous observons une tendance à la baisse du nombre de contrôles positifs, ce qui signifie soit que l'action de l'AFLD est plus efficace, soit que les tricheurs utilisent désormais des microdoses très en amont des compétitions sportives et quasiment indétectables.

Nous essayons, avec l'aide des pouvoirs publics, de compléter le dispositif par des possibilités d'intervention complémentaire. Certaines recommandations de la commission d'enquête sénatoriale ont été suivies d'effets : la réorganisation à l'échelon territorial des contrôles, avec des conseillers interrégionaux antidopage ; l'échange de renseignements entre administrations pour mieux cibler les contrôles ; la mise en place effective de commissions régionales de lutte contre les trafics, réorganisées par un décret du 26 juin 2013. Le démarrage fut un peu lent mais nous avons observé un frémissement dans la période récente.

Nous promouvons des modes de détection indirecte, conformément à la demande de l'AMA, à savoir le passeport biologique du sportif - dénommé profil biologique dans la loi française - pour mettre en évidence la prise de substances interdites à partir de plusieurs prélèvements sur un même athlète au cours d'une année et mieux appréhender ses effets. Ainsi, l'augmentation anormale de globules rouges peut sous-entendre la prise d'EPO.

Le collège de l'AFLD a pris des initiatives relayées par le Parlement. Conformément aux recommandations de l'AMA, nous avons préconisé dans une délibération du 27 octobre 2011 l'instauration de ce mode de détection, et bénéficié d'un vecteur législatif avec une proposition de loi, enrichie au Sénat par un amendement du rapporteur Jean-Jacques Lozach, devenue la loi du 12 mars 2012 qui a instauré le profil biologique. Un comité de préfiguration, que je présidais, rassemblant des scientifiques, des parlementaires et le monde du sport, a rendu un rapport en juin 2013. L'Agence a rédigé les avant-projets de décrets d'application, adoptés par son collège le 4 juillet 2013 ; les pouvoirs publics ont repris ces mesures dans les deux décrets du 27 décembre 2013 mettant en place le module hématologique du profil biologique, qui permet de détecter des autotransfusions sanguines ou la prise d'EPO.

À la suite de recommandations de l'AMA, nous avons préparé un autre avant-projet de décret, adopté par le collège le 3 décembre 2014, mettant en oeuvre le module stéroïdien du profil biologique, pour détecter la prise d'anabolisants. Le ministre des sports s'est hâté lentement et a transmis en mars le projet de décret au Conseil d'État, qui a rendu un avis favorable le 19 mai ; nous espérons donc une publication prochaine.

Associé à l'élaboration de l'ordonnance autorisée par la loi du 30 décembre 2014, le collège a rendu un avis circonstancié le 23 avril 2015 sur la base de la saisine du 10 mars, et le Conseil d'État a été saisi le 28 mai.

J'espère vous avoir convaincus qu'il y a une place pour une autorité publique indépendante en matière de lutte contre le dopage, mais qu'elle ne peut prétendre faire cavalier seul : nous devons coordonner notre action, à l'échelle nationale avec le ministre et les fédérations sportives, et au niveau mondial avec les fédérations internationales et l'AMA. « Unissons nos efforts plutôt que de nous critiquer mutuellement », disait le directeur de l'AMA. L'AFLD s'inscrit harmonieusement dans le cadre du statut d'API et d'AAI définie par la proposition de loi du doyen Gélard et du président Sueur, à une ou deux nuances près.

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