Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous avons débattu longuement et démocratiquement d’une proposition de loi importante relative à la fin de vie.
Ce texte proposait deux évolutions par rapport à la loi Leonetti de 2005 : d’une part, la sédation profonde et continue pour des personnes atteintes d’une maladie incurable, réfractaire à tout traitement et dont le pronostic vital est engagé, et, de l’autre, le caractère contraignant des directives anticipées.
Le texte proposé par la commission des affaires sociales du Sénat était un texte équilibré et mesuré, qui permettait de répondre aussi bien à la demande légitime d’une fin de vie apaisée qu’au besoin de sécurisation des médecins, sans pour autant banaliser les actes pouvant conduire à la mort.
Le Sénat a également, de manière pertinente, mis en évidence l’indignité et la grande misère des soins palliatifs dans notre pays, accessibles aujourd’hui à seulement 20 % des personnes qui en auraient besoin.
Le Sénat a ainsi enrichi le texte en insistant sur le développement des soins palliatifs sur l’ensemble du territoire, non seulement à l’hôpital, mais aussi dans les structures médico-sociales et à domicile. Aujourd’hui, 70 % des Français meurent à l’hôpital, alors que 70 % des Français voudraient mourir chez eux. Le Sénat a également plaidé pour une meilleure formation aux soins palliatifs des médecins.
Surtout, ce texte affirmait un devoir de fraternité envers les plus vulnérables d’entre nous, à avoir ceux qui vont mourir. Il affirmait, par là même, la double finalité de la médecine, tout à la fois curative et palliative.
Cependant, au cours de son examen en séance publique, le texte est devenu une coquille vide.
La sédation profonde telle qu’elle a été définie, acte de compassion et de bienveillance, n’est pas le cheval de Troie d’une euthanasie déguisée.
Le Sénat a clairement refusé le droit au suicide assisté et à l’euthanasie. En effet, ces questions ne sauraient être débattues au simple détour d’un amendement sur un texte qui ne concerne, encore une fois, que ceux qui vont mourir et non ceux qui veulent mourir.
Nos débats ont été nourris de nos convictions, de nos expériences personnelles, de nos émotions, de nos valeurs, mais aussi de nos questionnements.
Vole-t-on leur mort à ceux qui n’ont plus que quelques moments à vivre ? Vole-t-on des moments de vie, de partage et d’échanges avec les proches quand la science est devenue impuissante à soulager et que l’heure de la mort a sonné ? Porte-t-on atteinte à la vie en accordant, dans les derniers moments, le repos qui apaise, allège les souffrances et les tourments ?
De quoi parlions-nous ici ? Nous parlions des derniers jours, des dernières heures, des derniers instants de personnes en situation de souffrance extrême, qu’aucun traitement ne peut soulager. Peut-on légitimement refuser à des personnes qui ont clairement exprimé leur volonté le droit d’être endormies afin d’apaiser leurs souffrances lors de leurs derniers moments ?
Peut-on décemment laisser un médecin endosser seul la responsabilité d’un acte de sédation qu’il accepterait par humanité, sans que la loi ne le protège ? Car c’est bien ce qui est proposé dans le texte sur lequel nous votons aujourd’hui.
La politique a un devoir d’exigence de vérité. Eh oui, il faut ici dire encore qu’aujourd’hui des hommes meurent en souffrance, en angoisses et dans une grande solitude, abandonnés par une science devenue impuissante et livrés à la conscience et à l’humanité d’une équipe médicale que nul ne protège.
Derrière nos débats, derrière nos mots, il y a des hommes confrontés à l’ultime moment de leur vie et le désarroi de l’impuissance des familles.
Avec le président de la commission des affaires sociales, les rapporteurs ont accompli un travail de grande qualité, empreint de rigueur et d’humanité.
Ils ont pesé chaque mot, clarifié chaque principe, en prenant soin d’ôter de ce texte les scories qui pouvaient provoquer les consciences.
Ils ont clairement et strictement défini les conditions d’encadrement du droit à la sédation profonde et continue et de renforcement des directives anticipées. Ce texte était à la fois trop pour certains, pas assez pour d’autres.
Seulement, aujourd’hui, ce texte n’est rien ! Il est un oubli d’humanité et un défaut de fraternité.