Intervention de Pierre Nora

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 24 juin 2015 à 9h45
Audition de M. Pierre Nora historien membre de l'académie française

Pierre Nora, historien, membre de l'Académie française :

Permettez-moi de m'adresser directement à vous, monsieur Gaudin. Bien entendu, la défense de l'idée du génocide est pleine de panache et de justice. Toutefois, aux yeux d'un historien le mot est vague. Car si nous nous référons à la définition qui a été donnée en 1945, celle-ci suppose une intentionnalité - or, il y a une quantité de génocides, par exemple au Rwanda, où vous ne retrouvez pas l'ordre initial comme vous pouvez le faire pour d'autres. Surtout, il faut distinguer le génocide dans son sens moral, historique et juridique.

Dans son sens moral, tout le monde est d'accord. L'histoire de l'Humanité est pavée de génocides.

Du point de vue historique, personne ne niera de bonne foi, aujourd'hui, qu'un génocide a été entrepris en Arménie. Si cet accord général existe, ce n'est pas grâce aux lois que vous avez votées. C'est une évidence historique, issue du travail des historiens. Prenez garde que les lois n'empêchent pas le travail des historiens plutôt que de le favoriser. Depuis dix ans un travail très important d'accumulation de preuves, de démonstration et d'approfondissement du problème a été accompli ; il s'est même déroulé avec des historiens turcs.

Il en est tout autre chose sur les plans juridique et législatif. Vous allez adopter une telle loi et vous vous en orgueillissez. Mais, à quoi va-t-elle servir ? La loi Gayssot répondait à un antisémitisme ouvertement exprimé. Mais y a-t-il de l'antiarménisme? Je n'en ai jamais vu. La République a fait ce qu'elle estimait devoir faire par la reconnaissance du génocide. Mais voter une loi qui empêchera les historiens d'étudier cette question, ce n'est que donner satisfaction à vos électeurs arméniens de Provence-Alpes-Côte d'Azur et donner également raison à certains groupes arméniens très activistes.

Par ailleurs, vous me demandez : quid du négationnisme et de la Turquie ? Mais pensez-vous qu'une loi française serait de nature à pousser le gouvernement turc à reconnaître l'existence d'un génocide ? C'est évidemment l'inverse ; cela favorisera un réflexe nationaliste de rejet.

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