Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la problématique des discriminations a longtemps été regardée avec suspicion. L’expérience massive et continue de la discrimination vécue notamment par les citoyens français issus de l’immigration ou appartenant à ce que l’on appelle les « minorités visibles » a très longtemps été occultée, sous-estimée et parfois même disqualifiée. Mais d’autres groupes font également l’objet de discrimination. Le lieu d’habitation constitue, par exemple, un élément discriminant très important.
Ce déni tient à la nature même de la discrimination. Le sociologue François Dubet a parfaitement su résumer toute la singularité de cette expérience qui se situe entre la certitude d’être discriminable et l’incertitude d’être discriminé.
Il est difficile, en effet, dans l’expérience de la stigmatisation, de distinguer ce qui relève du racisme ou de l’inégalité de traitement. Cette ambiguïté paralyse l’arsenal législatif et réglementaire destiné à combattre pénalement les discriminations.
Le vote récent relatif à l’introduction d’un vingt et unième critère de discrimination illustre une réelle évolution du regard sur les processus de discrimination. On commence à en mesurer tous les dangers, notamment en période de crise.
Monsieur le ministre, vous êtes parmi les premiers à avoir considéré les discriminations comme des morts sociales, comme des inégalités de traitement illégitimes, et à avoir, en qualité de maire de Dijon, mis en place des politiques publiques pionnières et innovantes contre les discriminations. Je tiens à saluer votre action en la matière tant au sein de notre formation politique que dans le cadre de votre mandat de maire.
Les discriminations à l’emploi, notamment à l’accès à l’emploi, reposent sur une inégalité de traitement illégitime. À compétences et productivité identiques, les recruteurs disqualifient d’emblée les candidats appartenant à des groupes sociaux spécifiques : par exemple, le candidat dont le patronyme est à consonance maghrébine, fût-il aussi compétent qu’un autre, aura trois fois plus de difficultés à accéder à l’emploi. Cela représente une fraction importante de la société française.
Une équipe de chercheurs de l’université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne va plus loin et publie aux Presses universitaires une étude édifiante portant sur les discriminations spécifiques aux musulmans.
En effet, les données recueillies démontrent la réalité d’une discrimination spécifique touchant les personnes dont l’appartenance à la sphère de l’islam est réelle ou supposée. Ces discriminations engendrent sentiment d’injustice, ressentiment, repli communautaire. Cette crispation, contraire à une logique d’intégration, vient à son tour exacerber les discriminations.
Discriminations et repli identitaire s’autoalimentent dans un cercle vicieux. Notre responsabilité est de proposer une solution de sortie. La question est d’ordre moral, a fortiori dans un régime politique dont la légitimité repose sur l’universalisme, l’égalité des droits et la méritocratie.
La question est aussi économique, car l’allocation des ressources est sous-optimale – pour parler comme un économiste. Nous formons dans nos établissements supérieurs des jeunes qui, en raison de critères illégitimes, ne verront pas leurs compétences mises à profit. On peut le considérer comme une forme de gaspillage.
Par le CV anonyme, il s’agissait d’étendre l’anonymisation des concours et des examens dont nous sommes coutumiers à l’entreprise.
Le CV anonyme, présenté une première fois par le biais d’un amendement socialiste en 2004 et adopté par la suite au Sénat puis à l’Assemblée nationale dans le cadre de la loi du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances, a constitué une avancée législative importante. Il s’agissait de rendre obligatoire l’anonymisation des CV dans les entreprises de plus de cinquante salariés.
Je reconnais que le seuil de cinquante salariés n’était sans doute pas pertinent et qu’il aurait fallu le fixer à 300. Nous aurions pu en discuter. Pour autant, la question du seuil n’est pas suffisante pour rendre compte des résistances à l’égard du CV anonyme, qui n’est, au final, qu’un outil parmi d’autres dans la lutte contre les discriminations à l’emploi.
Or cela fait près de dix ans que cette mesure achoppe sur l’absence d’un décret d’application. Au lieu de prendre les décrets d’application à la suite de l’injonction du Conseil d’État, vous avez introduit dans la loi le caractère facultatif au lieu du caractère obligatoire de l’anonymisation des CV. Pourquoi ?