Intervention de Annie David

Réunion du 24 octobre 2006 à 16h00
Secteur de l'énergie — Article 10

Photo de Annie DavidAnnie David :

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, au moment d'aborder cet article 10, je voudrais vous parler de la Compagnie nationale du Rhône, la CNR, qui est singulière à plusieurs titres.

Tout d'abord, la CNR est en partie propriété du groupe Suez par l'intermédiaire de sa filiale belge Electrabel, qui détient 49, 9 % du capital.

Ensuite, la CNR produit de l'électricité avec dix-neuf centrales hydroélectriques réparties entre la frontière suisse et la Méditerranée : elle est donc déjà sur le marché concurrentiel de l'électricité, si cher à la Commission européenne.

Enfin, la CNR bénéficie d'une protection législative qui lui assure un statut original : société anonyme d'intérêt général, elle est administrée par un directoire dont le président est nommé par décret, accompagné d'un conseil de surveillance dont Jean-Marc Coppola, conseiller régional communiste de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, est membre.

La CNR a vu cette spécificité renforcée par la loi du 11 décembre 2001, portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier. La loi MURCEF précise en effet que le capital de la CNR doit être détenu majoritairement par des collectivités locales ou des entreprises du secteur public. Sa mission est également clairement définie : « produire et commercialiser de l'électricité par utilisation de la puissance hydraulique, [...] favoriser l'utilisation du Rhône comme voie navigable en poursuivant son aménagement et [...] contribuer à l'irrigation, à l'assainissement et aux autres usages agricoles ».

Aujourd'hui, la puissance publique est majoritaire dans la CNR, puisque 29, 43 % du capital sont détenus par la Caisse des dépôts et consignations et 20, 62 % par les collectivités locales. Mais la menace d'une privatisation plane ; beaucoup, y compris certains élus, s'imaginent même que la CNR est une société privée. Les tentatives de Suez pour modifier la donne sont un élément supplémentaire à verser aux débats.

Ainsi, en mars 2005, le groupe Electrabel annonçait, au mépris de la loi, son intention d'augmenter sa participation et de devenir majoritaire dans la CNR. Certes, Suez qualifie alors « d'erreur de communication » l'annonce faite par sa filiale belge, mais, quelques mois plus tard, c'est au tour du conseil général des Hauts-de-Seine, présidé par Nicolas Sarkozy, de prétendre vouloir vendre ses parts... au groupe Suez !

Il aura fallu la mobilisation des élus et des salariés pour l'obliger à se tourner vers la Caisse des dépôts et consignations.

L'attirance de Suez pour la CNR s'explique aisément, la vieille dame ayant bien des atouts : toutes les infrastructures réalisées depuis la mise en service de la première centrale hydroélectrique en 1946 sont aujourd'hui payées et aucun emprunt ne court, ce qui permet à l'entreprise de dégager de jolis résultats. Ainsi, en 2005, pour un chiffre d'affaires de 458, 6 millions d'euros, en hausse de 7, 1 %, la CNR dégageait un résultat net de 81, 4 millions d'euros, en hausse de 14, 8 % !

Aussi, mes chers collègues, messieurs les ministres, je tiens à vous rappeler l'intérêt de la présence publique dans la CNR, notamment pour la gestion du Rhône.

En effet, si le Gouvernement se prenait à rêver de la privatisation de la CNR, il privatiserait en quelque sorte le Rhône lui-même, un fleuve patrimoine de l'État et, dans ce cas, les riverains auraient du souci à se faire. Rappelons, par exemple, que les digues qui cédèrent en 2003 dans les départements du Vaucluse et du Gard, avec les conséquences dramatiques qui s'ensuivirent, relevaient non pas de la CNR mais du domaine privé. Les riverains et les usagers du fleuve sont donc directement concernés par le statut public de la CNR, entreprise dont le savoir-faire n'est plus à démontrer et qui place l'intérêt général au coeur de ses préoccupations.

Pour terminer, je voudrais donner quelques chiffres : avec une puissance installée de 2 937 mégawatts, les dix-neuf ouvrages construits sur le Rhône entre la Suisse et la Méditerranée produisent le quart de l'hydroélectricité française et 4 % de la production nationale. La CNR est ainsi le deuxième producteur français, derrière EDF. Aujourd'hui, 1 180 agents y travaillent.

Au-delà de son savoir-faire, de son souci de l'intérêt général, la CNR apporte son aide pour gérer les digues qui sont hors de ses concessions. En cas de privatisation, cette mission d'aide qu'assume la CNR risque fort de disparaître.

Pour toutes ces raisons, je vous demande solennellement, comme l'ont fait les élus communistes des régions Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte d'Azur, de maintenir la CNR comme entreprise publique et de confirmer devant le Parlement le rôle positif du pôle d'actionnaires publics majoritaire au sein de la Compagnie nationale du Rhône.

Le dossier de la CNR est pour nous un argument supplémentaire pour exiger la création d'un pôle public de l'énergie, et ni vos arguments, messieurs les ministres, ni ceux des rapporteurs ne nous ont convaincus de l'impossibilité de créer ce grand pôle public qui intégrerait, bien évidemment, la CNR. Vous le comprendrez donc, nous ne pourrons que voter contre cet article 10.

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