Dans tous les cas - augmentation de capital ou alliance -, c'est l'État qui en sortira perdant et affaibli, qu'il détienne ou non une participation minoritaire.
Je vous en conjure : ne mettez pas le doigt dans cet engrenage fatal, au moment même où les États producteurs renforcent leurs pouvoirs et disposent ainsi de moyens de pression économique et politique au travers de l'approvisionnement, nous renvoyant ainsi, nous, Européens, au désordre de l'organisation des marchés de l'énergie.
Dans un deuxième temps, la menace Enel s'éloignant, et en attendant les autres - il y a eu quelques rebondissements ces quinze derniers jours et il y en aura d'autres, car les marchés n'ont pas dit leur dernier mot -, vous avez justifié votre projet par la nécessité d'assurer la sécurité d'approvisionnement de la France. Or, à ce jour, vous n'avez jamais démontré de façon sérieuse que la privatisation-fusion la renforcerait.
Depuis plusieurs années, quelles que soient les majorités politiques, l'entreprise publique Gaz de France a poursuivi une stratégie patiente et efficace consistant à accroître la part de son chiffre d'affaires affectée à l'accès à la production, aux champs gaziers, pour atteindre l'objectif stratégique de 15 %. Petit à petit, elle y arrive. Rien ne garantit que cette priorité sera maintenue à l'avenir. Pourtant, c'est bien là qu'est le véritable projet industriel. Il nécessite, c'est vrai, des moyens financiers à hauteur de sa croissance, en amont, par autofinancement ou par endettement.
Non seulement la part de ressources propres accumulées risque d'être diluée, mais la capacité d'endettement du futur groupe ne sera pas renforcée, bien au contraire. C'est un double risque que vous prenez ici, monsieur le ministre.
Quant à l'argument que vous avez développé à moult reprises s'agissant de l'apport par Suez du terminal de Zeebrugge, il tombe, vous le savez, du fait des contreparties exigées, notamment sur le contrôle capitalistique et opérationnel de Fluxys. Quel paradoxe ! Le gaz est sacrifié dans cette opération, alors que l'objectif affiché était d'accroître les capacités et la sécurité d'approvisionnement en gaz !
S'il s'agit de faire appel aux marchés boursiers pour financer des investissements colossaux, on en revient à l'obstacle que j'évoquais précédemment et que M. Longuet a pressenti. On sait en effet que les grands contrats d'approvisionnement reposent autant sur la diplomatie économique des États que sur la stratégie des entreprises.
En outre, j'y insiste, la montée dans l'énergie que le projet est censé assurer à Suez laisse dans l'ombre le sort réservé à son pôle environnement. Quelles que soient vos dénégations, il y aura démantèlement, ne serait-ce que parce que la montée dans la production nécessite de nouvelles acquisitions et qu'il faudra bien les payer. C'est grave, car nombre de collectivités locales sont liées à Suez via ses filiales dans les domaines de l'eau, des déchets et de la propreté.
Je me souviens que, naguère, quand il s'est agi d'un autre grand groupe - Vivendi, à l'époque - l'émotion a été grande, y compris jusqu'à l'Élysée. Aujourd'hui, c'est « silence radio », alors que le problème est exactement le même ! Je n'entends personne, sur ces travées, défendre les intérêts des collectivités locales...