Intervention de Jean-Marc Pastor

Réunion du 24 octobre 2006 à 16h00
Secteur de l'énergie — Article 10

Photo de Jean-Marc PastorJean-Marc Pastor :

Au début du débat, M. le ministre nous a annoncé que toutes les analyses sur le rapprochement GDF-Suez seront disponibles au mois de décembre, c'est-à-dire après le vote du texte - ce qui est tout de même assez étonnant - et, à l'instant même, il précise qu'il viendra devant la commission, après le vote du texte, pour nous donner toutes les explications sur l'éventuel futur mariage Suez-GDF. Dans ces conditions, à quoi sert le Parlement ?

Il faut le redire : la privatisation de GDF n'est absolument pas une obligation aux yeux de l'Europe. La Commission européenne a d'ailleurs toujours indiqué que le statut des entreprises de services d'intérêt général était du ressort des États et que les directives ne les régissaient pas.

Dès lors, la privatisation de GDF est bien votre choix, un choix contraire à ce qui avait été affirmé lors des travaux préparatoires à la loi du 9 août 2004. Il est en effet de votre entière responsabilité de vouloir lier les mains de l'État en lui imposant les desiderata d'actionnaires dont le souci sera non pas - soyons-en certains ! - l'indépendance énergétique de notre pays, mais plutôt leur rémunération par les dividendes.

Il est également de votre entière responsabilité de vouloir faire en sorte que l'actuel patrimoine commun de nos concitoyens ne leur appartienne plus demain, sans que cela intervienne dans le cadre d'une véritable politique européenne de l'énergie.

Il est enfin de votre responsabilité de vouloir procéder à une opération d'une telle importance en privant les Français de la possibilité de se prononcer à l'occasion de l'échéance électorale majeure qui aura lieu dans quelques mois.

Reconnaissons-là votre malice, monsieur le ministre, car vous êtes pleinement conscient que l'opposition à cette privatisation est majoritaire dans le pays.

Avec cet article 10, nous sommes au coeur du projet de loi. Dès lors, il est légitime de vérifier si l'objectif visé est bien conforme à l'intérêt général. Or quelle conception de l'intérêt général vous pousse-t-elle à décider de l'abandon d'une entreprise publique florissante aux mains d'un conseil d'administration, irresponsable devant les Français ?

Premièrement, l'argument du patriotisme économique ne tient pas, car le nouveau groupe n'est absolument pas à l'abri d'une OPA de la part de grands groupes qui contrôlent déjà l'amont, c'est-à-dire la phase de production, et qui souhaiteraient intégrer l'ensemble de la filière.

Ces groupes-là ne seront pas arrêtés par l'idée du patriotisme économique que vous mettez en avant, monsieur le ministre, et je pourrais en faire le pari. À qui finira-t-on par payer nos factures de gaz ? Je ne peux me persuader qu'il s'agira de l'entité issue de la fusion GDF-Suez, car aucune garantie ne figure dans ce projet de loi sur le fait que cette entité restera de droit français. Ni l'action spécifique ni l'abaissement de la part de l'Etat à 34 % ne présentent cette garantie, vous le savez bien, monsieur le ministre !

Deuxièmement, à qui ferez-vous croire que les territoires seront traités de la même manière, alors que leur développement demande justement que l'on ne tienne pas compte de la rentabilité immédiate pour desservir des zones à handicaps naturels ? Je doute fortement de l'empressement d'une société privée à réinvestir ses bénéfices dans le renouvellement et l'extension des réseaux dans ces zones.

Cette interrogation en appelle d'ailleurs une autre plus technique : le monopole de fait détenu par GDF n'implique-t-il pas, si le monopole devient privé, une mise à plat des contrats de concession, voire un déclassement ?

Troisièmement, enfin, ce n'est pas non plus l'intérêt immédiat de l'usager que l'on retrouve dans cet article 10, car nous avons déjà vu, en ce qui concerne les prix, que la concurrence ne les fera pas baisser. Au contraire, le prix réglementé augmentera puisqu'il devrait y avoir une convergence entre les tarifs réglementés et les prix du marché, selon le contrat de service public conclu en 2005 entre l'État et GDF.

À cette occasion, j'ouvrirai une parenthèse. Tout à l'heure, l'un de nos collègues qui était ministre il y a une dizaine d'années s'est exprimé. C'est lui-même qui a privatisé, souvenez-vous, tout le secteur de la téléphonie mobile. Faisons le point dix ans après : 42 % du territoire de mon département ne peut être desservi par la téléphonie mobile ! Et l'on demande aujourd'hui au conseil régional, au conseil général et aux communes de financer les relais pour permettre la desserte des usagers.

C'est cela que vous nous proposez aujourd'hui pour GDF ? Nous n'en voulons pas !

La réalité, c'est que vous êtes en train d'assimiler l'intérêt stratégique national à celui d'une entreprise comme Suez.

Pour ma part, je trouve ahurissant que l'on fasse ainsi cadeau d'un marché captif et pérenne à des actionnaires. Nous ne pouvons renoncer à une vision nationale de l'énergie, car, sur ce sujet, notamment, l'Europe n'est pas encore tout à fait prête.

Il n'y a pas de recherche d'une indépendance européenne en matière d'approvisionnement énergétique. L'Europe n'est à cet égard qu'un niveau de coordination, non d'intégration. Elle ne vise que l'objectif de libéralisation du marché. Or notre pays a besoin de préserver EDF comme de rester majoritaire dans GDF. Si nous perdons les leviers de contrôle de ces deux structures, nous abandonnons les moyens d'une indépendance énergétique que la France s'échine à fabriquer depuis plusieurs décennies et que rien ne viendra remplacer.

Voilà, monsieur le ministre, pourquoi mon groupe ne peut pas vous suivre et pourquoi nous ne voterons bien sûr pas cet article, à plus forte raison ce projet de loi.

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