Intervention de Bernard Vera

Réunion du 24 octobre 2006 à 16h00
Secteur de l'énergie — Article 10

Photo de Bernard VeraBernard Vera :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cet article 10 organise les conditions de la cession des parts majoritairement détenues par l'État dans Gaz de France, dans le prolongement du changement statutaire qui est intervenu après la loi de 2004.

D'ailleurs, comment ne pas relever, encore une fois, que celui qui mène aujourd'hui la négociation pour la fusion entre Gaz de France et Suez a beaucoup à voir avec celui qui a porté sur les fonts baptismaux la transformation juridique de nos deux opérateurs énergétiques, ceux-ci ayant abandonné le statut d'établissement public à caractère industriel et commercial pour celui de société anonyme ?

Pour des raisons qui tiennent sans doute aux caractéristiques propres du secteur gazier, il nous est donc proposé de procéder à cette disjonction du devenir de nos deux opérateurs énergétiques et de regrouper sous la bannière de Suez un ensemble relativement peu cohérent d'entreprises intervenant dans le domaine énergétique.

Tout sépare en effet Gaz de France de Suez, pour des raisons évidentes de cultures d'entreprise tout à fait différentes, mais aussi parce que Suez est un ensemble étrange, issu de deux anciennes compagnies financières, nationalisées en 1981, privatisées en 1986, regroupées ensuite avec la Lyonnaise des Eaux et Dumez, deux entreprises ayant un tout autre champ d'activité, avant de regrouper une bonne partie de leurs forces sur le secteur de l'énergie et des services associés à l'énergie.

Mais ces mouvements boursiers menés sur environ vingt-cinq ans ont souvent trouvé appui sur des évolutions législatives et sur des mouvements affectant le secteur de l'énergie en France comme à l'étranger.

Le positionnement de Suez dans le domaine de l'énergie doit en effet beaucoup à la déshérence du secteur énergétique belge, mais aussi à l'offensive de longue portée menée en France sur les actifs et la production de la Compagnie nationale du Rhône, offensive notamment favorisée depuis l'adoption de la loi Pasqua sur l'aménagement du territoire.

En ce qui concerne la fameuse « rente du Rhône », c'est-à-dire le fait que l'amortissement des coûts de développement du réseau des barrages et centrales hydroélectriques situés sur le grand fleuve soit arrivé à terme et pèse de moins en moins sur les coûts de production énergétique, c'est Suez et Electrabel qui en tirent aujourd'hui les fruits et qui peuvent, ainsi, s'installer comme second fournisseur d'électricité dans le pays.

Cette évolution historique conditionne évidemment la suite de la bataille boursière qui s'est engagée depuis l'annonce des choix stratégiques du Gouvernement et de la fusion GDF-Suez, notamment. De manière assez symptomatique, le cours des actions tant de GDF que de Suez suit en effet depuis cette annonce un parcours symétrique.

La probabilité de la distribution par Gaz de France d'un dividende plus important encore que celui qui a été versé au titre de l'exercice 2005 aiguise les appétits, même si le capital de l'énergéticien public demeure largement détenu par l'État.

Dans le même temps, la perspective de la fusion, notamment la réalisation de l'offre publique d'échange de titres Suez contre des titres Gaz de France pousse à la hausse la valeur du titre Suez, la parité de valeur entre les actions de l'un et de l'autre groupe étant fondée sur le versement d'une soulte significative aux actionnaires actuels de Suez, qu'il s'agisse des institutionnels comme des stock-options de Gérard Mestrallet et des cadres issus de son groupe.

Peu importe à l'ensemble des spéculateurs de savoir ce que vont devenir les salariés des sociétés du pôle « environnement » de Suez. Le but est de récupérer le maximum de liquidités aux dépens de Gaz de France, c'est-à-dire aux dépens de tous les abonnés de la société énergétique nationale, et de jouer des tensions des marchés financiers pour aboutir au résultat requis en termes de rentabilité.

L'Autorité des marchés financiers a lancé une enquête sur les divers mouvements observés sur les titres des deux sociétés concernées au premier chef par la fusion et sur les initiatives prises par des personnes fort intéressées tant par le pôle « environnement » de Suez, comme MM. Pinault et Proglio que par une partie des actifs énergétiques que le groupe s'apprêterait à céder, notamment en Belgique, pour complaire à Mme Kroes, commissaire européenne.

Ainsi, la fusion Suez-Gaz de France, motivée pour mettre à l'abri Suez d'une OPA hostile de l'italien Enel, risque en définitive de se terminer en partie par le rachat des actifs cédés en Belgique, c'est-à-dire les centrales nucléaires d'Electrabel, par ce même groupe italien, voire par Électricité de France, qui, en se portant candidat au rachat des mêmes actifs, jouirait d'une position sans précédent dans les pays du Benelux.

Dans ces conditions, le Parlement peut-il délibérer pour donner un vernis de légalité à ce qui s'apparente de plus en plus à une guerre boursière entre affairistes, jouant de l'intérêt national et de la politique énergétique de notre pays comme ils joueraient au poker menteur ?

C'est aussi pour ces motifs que nous ne pouvons accepter cet article 10.

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