Intervention de Nicole Borvo Cohen-Seat

Réunion du 24 octobre 2006 à 16h00
Secteur de l'énergie — Article 10

Photo de Nicole Borvo Cohen-SeatNicole Borvo Cohen-Seat :

Certes, nous apprenons certaines choses dans la presse, mais ne nous connaissons rien des positions de certains de nos collègues.

En outre, il est très surprenant que nos collègues n'aient pas déposé d'amendements tendant à préciser tel ou tel point des articles que nous examinons.

D'ailleurs, la commission des affaires économiques recommande un vote conforme sur les trois articles concernés. Pour sa part, la commission des finances non seulement préconise également l'adoption de ces dispositions, mais en plus a déposé un amendement visant à les rendre encore plus imprécises, laissant la porte ouverte à une participation de l'État dans des conditions qui demeurent floues.

Je voudrais également répondre à M. Longuet, qui nous a resservi un leitmotiv, d'un ton un peu condescendant : « Chers amis, les choses ne sont plus ce qu'elles étaient ! » Ainsi que j'ai déjà eu l'occasion de le dire à d'autres membres du Gouvernement utilisant la même formule, au demeurant très intéressante, il s'agit là de « propos de comptoir ». Que la situation actuelle ne soit pas la même qu'en 1945, c'est une évidence ! Sauf que, monsieur Longuet, voilà bien longtemps que la France dépend de l'extérieur s'agissant des ressources énergétiques. Et les services publics ont précisément démontré qu'ils étaient totalement capables de faire face à cette situation.

À un tel degré de généralité, je pourrais très bien vous répondre que Jacques Chirac n'est pas le général de Gaulle, etc. Il vaut donc mieux en rester là : comparaison n'est pas raison !

L'orientation générale du présent projet de loi est tout à fait stupéfiante. Elle fait peu de cas du passé, et notamment du rôle joué par Gaz de France depuis soixante ans dans la vie de notre nation en matière, entre autres, de sécurité énergétique, d'aménagement du territoire et de développement économique et social. Faites donc attention à ce genre de propos !

Si notre pays est à la fois moins dépendant vis-à-vis de l'extérieur et moins directement concerné par les problèmes de pollution atmosphérique que d'autres pays voisins, et ce même si nous ne sommes pas exempts de critiques, c'est également parce que, au lendemain de la guerre, dans le droit fil du programme du Conseil national de la Résistance, la France a fait le choix de la maîtrise publique du secteur de l'énergie.

Et cet acquis est tout bonnement balayé d'un revers de main par l'adoption de ces articles, qui consistent d'ailleurs pour l'essentiel à subordonner les choix des parlementaires, c'est-à-dire de la représentation nationale, aux décisions qui seront à l'avenir adoptées par les assemblées générales extraordinaires des actionnaires de Gaz de France ou de Suez. D'ailleurs, en écoutant l'intervention de M. Longuet, nous pouvions nous demander s'il ne s'agissait pas des propos d'un membre du conseil d'administration de telle ou telle entreprise !

Que la commission des affaires économiques considère comme une avancée que nous légiférions pour délivrer un chèque en blanc aux manoeuvres montées dans les coulisses des assemblées d'actionnaires est pour le moins sidérant !

À quoi servent les représentants de la nation que nous sommes lorsque nous nous trouvons ainsi instrumentalisés au profit d'un projet « industriel », dont chaque jour démontre s'il en était besoin la parfaite inanité ?

Certes, M. le ministre est parti en Chine et nous ne saurions bien entendu le lui reprocher. Mais, hier encore, je l'ai entendu affirmer à la télévision, contre toute réalité, que la fusion entre Gaz de France et Suez permettrait de constituer un grand groupe industriel. Or, chaque jour, tout nous montre qu'un tel projet ne tient pas la route.

Il ne tient pas la route, d'abord, quand la Commission européenne exige, par exemple, que Suez se déleste de ses capacités de production électronucléaire en Belgique.

Il ne tient pas la route, ensuite, quand on contraint Gaz de France à filialiser ses terminaux méthaniers et ses centres de stockage, à la grande satisfaction de Total, de Primagaz et encore de Bolloré Énergie, qui attendent au coin du bois la cession de ces actifs pour peser toujours plus sur ce marché.

Il ne tient pas la route, encore, quand Gaz de France serait contraint de céder une partie de ses contrats de long terme, parce que cela pourrait contrevenir au principe de la « concurrence libre et non faussée », si cher à la Commission européenne !

Il ne tient pas la route, enfin, quand il apparaît que les tensions s'exacerbent entre les dirigeants de Suez et ceux de Gaz de France s'agissant de la répartition des compétences et des rôles respectifs dans le futur organigramme.

Décidément, ce mariage arrangé ne présage rien de bon. Comme vous le savez, ici, nous nous méfions des mariages arrangés. Par conséquent, nous pouvons nous demander si les fiançailles ne seront pas rompues avant la noce, au prix, hélas ! du sacrifice de Gaz de France et, plus généralement, du secteur public de l'énergie, sur l'autel de la privatisation, GDF devenant opéable dans n'importe quelles conditions.

D'ailleurs, pourquoi devrions-nous voter l'article 10, alors que bien des éléments laissent apparaître que cela ne conduira pas à faire du nouveau groupe le « géant » que l'on nous a présenté au départ, élément que vous avez utilisé comme argument massue à l'appui de la privatisation de Gaz de France ? Que se passera-t-il si ce contrat n'est pas conclu, ce qui est tout à fait probable ? Gaz de France sera privatisé, dépecé et opéable à merci !

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