Intervention de Yves Coquelle

Réunion du 24 octobre 2006 à 16h00
Secteur de l'énergie — Article 10

Photo de Yves CoquelleYves Coquelle :

Les articles 10, 11 et 12 du projet de loi autorisent le transfert de Gaz de France au secteur privé, tout en précisant que l'État doit détenir au moins un tiers du capital. Ces articles organisent aussi le transfert au secteur privé de la filiale gestionnaire de réseaux de transport de gaz et modifient la loi du 8 avril 1946, en excluant du champ de la nationalisation « la production, le transport et la distribution du gaz naturel », ôtant ainsi à l'État la pleine maîtrise de ces activités stratégiques. Notons, dès à présent, qu'en privatisant Gaz de France, l'article 10 ne répond à aucune norme communautaire.

Au travers du projet de fusion GDF-Suez, le Gouvernement entend dessaisir l'État de son pouvoir décisionnel en matière énergétique au profit de l'actionnariat privé. D'ailleurs, dans sa logique de concurrence, la Commission européenne s'attaque moins à la fusion elle-même qu'au fonctionnement actuel du service public du gaz. Là est le vrai danger !

La Commission demande des contreparties autant à Gaz de France qu'au Gouvernement. Ainsi, elle entend obtenir, contre l'intérêt manifeste des usagers, le démantèlement de l'un des outils publics les plus performants au monde en matière d'énergie.

Dernièrement, Bruxelles renforçait ses exigences et demandait au futur groupe de céder 35 % de ses capacités d'approvisionnement en gaz. À la suite de cela, Suez a décidé de céder sa filière gazière Distrigaz. Alors que la direction de Gaz de France avait largement communiqué, comme le Gouvernement, sur le fait que le projet de fusion créerait un groupe gazier beaucoup plus gros que GDF, assurant une meilleure sécurité d'approvisionnement et des gains sur les coûts d'achat, cet argument est sérieusement mis à mal.

Ce ne sont pas les propos de M. Jean-François Cirelli, dans La Tribune du 17 octobre, qui vont nous rassurer sur ces questions. En effet, celui-ci déplorait la perte de plus de 12, 5 % des capacités gazières de GDF, mais déclarait : « l'important est que nous gardons les quatre millions de clients particuliers belges ! ». Parle-t-on des capacités d'approvisionnement ou de la clientèle ?

On essaie de nous faire oublier la question de la sécurité des approvisionnements en invoquant les clients ! C'est effectivement la logique de la concurrence et de la déréglementation du marché énergétique. Le problème principal est l'accès à la production de gaz ; la fusion de deux distributeurs ne pourra en rien le régler !

La sécurité d'approvisionnement en gaz naturel a été construite en France sur des accords à long terme négociés d'État à État, partageant risques et intérêts économiques. Il est essentiel que l'opérateur historique reste public, car seule une politique fondée sur l'intérêt général permettrait la poursuite de la négociation de contrats à long terme. On pourrait ainsi offrir aux pays producteurs d'énormes volumes d'achat, assortis de capacités d'investissement en infrastructures de transport.

Au contraire, en privatisant GDF et en ouvrant le marché de l'énergie à la concurrence, on prend le risque de remettre en question les contrats à long terme, notamment avec la Russie. Que se passera-t-il si les opérateurs privés vendent le gaz acheté au prix du marché à long terme au prix du marché à court terme ?

D'ailleurs, la Russie ne s'y trompe pas et envisage déjà les risques de la politique énergétique menée au niveau européen. Ainsi, dans un article des Échos, en date du 21 octobre, Sergueï Markov, politologue proche du Kremlin, qualifie la Charte de l'énergie « d'approche coloniale, organisant la concurrence entre fournisseurs et l'ouverture de leur marché dans le seul intérêt des pays importateurs ».

Le ministre russe de l'industrie et de l'énergie déclarait quant à lui qu' « il y a aussi, compte tenu de la coexistence de contrats à long terme de fourniture de gaz, à 230-250 dollars les 1 000 mètres cubes, et du marché spot, où le prix peut monter en hiver à 1 100 dollars, une deuxième pierre d'achoppement, c'est le droit de premier refus. Il signifie que le fournisseur dans un contrat à long terme est confronté au risque d'existence de schémas de transit spot. »

Pour préserver les accords qui garantissent la sécurité de l'approvisionnement en gaz à un prix raisonnable, il est indispensable que l'État garde la maîtrise de l'entreprise Gaz de France. En effet, seul l'État est en mesure de conduire et de centraliser les négociations afin d'assurer aux pays fournisseurs les garanties nécessaires au maintien de ces accords.

La privatisation de Gaz de France doit être abandonnée pour de multiples raisons que nous exposerons au cours des débats, mais la sécurité d'approvisionnement en gaz de notre pays justifie déjà, à elle seule, que l'article 10 de votre projet de loi soit supprimé.

C'est pourquoi nous vous demandons, au nom de l'intérêt général et de la sécurité de notre pays, de voter notre amendement.

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