Intervention de Michel Billout

Réunion du 24 octobre 2006 à 16h00
Secteur de l'énergie — Article 10

Photo de Michel BilloutMichel Billout :

L'une des questions essentielles posées par l'article 10 est bel et bien celle du maintien de la cohérence de notre secteur énergétique national.

Qu'on le veuille ou non, l'article 10, dont la teneur n'a au demeurant rien à voir avec celle des directives « gaz » et « électricité » de 2003, qui ne préjugent nullement de la forme juridique que doivent adopter les intervenants en matière de transport, de distribution et de fourniture d'énergie, organise une asymétrie entre Électricité de France et Gaz de France, qui peut s'avérer particulièrement dommageable à notre propre indépendance énergétique dans les années à venir.

Pour aller au plus simple, on peut même considérer que le choix de la privatisation de Gaz de France constitue une erreur stratégique majeure, quant au long terme, pour ce qui est du développement du secteur gazier dans notre pays.

Erreur stratégique, puisqu'elle passe, en raison notamment des exigences contenues dans la lettre de griefs présentée par la Commission européenne, par l'abandon de capacités de stockage, de production et de distribution particulièrement importantes. Il ne sert à rien, ici, d'essayer de les minorer.

Erreur stratégique, puisqu'elle met très certainement Suez en situation de devoir se séparer d'une part importante de ce qui fait son identité, c'est-à-dire le pôle « environnement », directement placé sous les fourches caudines de la spéculation, au profit des concurrents directs de ce groupe.

Quel gaspillage d'argent et d'emplois devons-nous attendre de la cession à de nouveaux opérateurs d'entreprises comme les filiales d'Elyo-Cofreth, acteurs majeurs de domaines tels que la cogénération ou l'usage des énergies renouvelables, comme les entreprises du groupe SITA, intervenant essentiel dans le domaine de la collecte et du traitement des déchets ménagers, ou encore comme Degrémont, leader mondial de la technologie du traitement des eaux ?

Monsieur le ministre, vous avez parlé de « petites cessions » ! Les salariés de ces entreprises apprécieront car, entre les entreprises concernées et leurs nombreux sous-traitants, ce sont des centaines d'emplois qui sont concernés par les exigences de la commissaire européenne, dont on se demande quels intérêts elle défend réellement !

Cette fusion, comme c'est souvent le cas, va donc entraîner des cessions plus ou moins importantes d'activités et de secteurs, considérés comme non stratégiques, cessions coûteuses en termes d'emplois puisque, nous le savons tous, l'acquéreur commence le plus souvent par procéder lui-même à la « réduction de voilure » lui permettant de réaliser un retour sur investissement plus rapide.

L'actualité des derniers jours, au fil des dépêches et des éléments fournis par les entreprises concernées, est éclairante : chaque heure qui passe rend inopérante sur la durée la fusion entre Gaz de France et Suez, et redonne d'autant plus d'acuité à la proposition de fusionner, a contrario, Électricité de France et Gaz de France.

Que les marchés énergétiques soient ouverts ne préjuge pas de la forme juridique des intervenants sur ces marchés ! Au demeurant, dans les pays ayant réalisé pleinement les orientations fixées par les directives européennes, les opérateurs publics subsistent, ici rattachés à l'État, ailleurs parfois aux collectivités territoriales. C'est ainsi le cas en Suède, ou encore en Belgique, avec le groupe SPE.

Au demeurant, l'existence d'une concurrence dans ces pays a notamment pour conséquence une réduction de la qualité de service, à l'instar de ce que l'on constate dans d'autres champs du service public, comme les transports ferroviaires ou les services postaux.

Placer Gaz de France dans la liste des entreprises privatisables, notamment en le fusionnant avec un partenaire dont le capital est extrêmement flottant et l'endettement de moyen et de long termes d'ores et déjà important, c'est prendre le risque de voir finalement Gaz de France racheté en partie par d'autres acteurs du secteur de l'énergie, aux dépens de l'intérêt national.

Je ne sais pas si vous vous en doutez, mes chers collègues, mais le plus sûr moyen d'éviter que Gaz de France ne finisse dans l'escarcelle de l'un de ses fournisseurs principaux est encore de préserver la nature publique de l'entreprise !

Nous devons donc clairement, plutôt que de retenir une optique désastreuse pour l'emploi et pour la sécurité de l'approvisionnement énergétique du pays dans l'avenir, proposer une autre voie et rejeter le schéma financier infernal qui nous est présenté aujourd'hui, au rebours du plus élémentaire bon sens.

La constitution d'une seule et même entité juridique, regroupant les activités d'Électricité de France et de Gaz de France, constitue la réponse manifestement la plus adaptée aux défis qui nous sont lancés. C'est notamment en constituant une seule et même société anonyme que l'on répondra à ces défis au mieux des intérêts de la collectivité dans son ensemble.

Nous vous invitons donc à adopter cet amendement, mes chers collègues.

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