Comme nul ne l'ignore, le principal objet de la loi de 2004 était de scinder l'opérateur historique EDF-GDF en deux entités juridiques distinctes et de soumettre celles-ci au droit privé.
Les secteurs électrique et gazier ont donc été séparés, en vue de les placer dans une situation de concurrence, alors même que les deux entreprises ont une culture commune de service public.
Cette politique est d'autant plus regrettable qu'elle prive aujourd'hui les deux opérateurs des moyens de leur développement et les empêche d'atteindre les objectifs de la politique énergétique de la nation, qu'ils sont censés assumer.
Le paradoxe de l'affaire est que, aujourd'hui, parmi les raisons invoquées pour justifier le processus de fusion avec Suez, figurerait la nécessité, pour GDF, de trouver un partenaire électricien. On croit rêver, surtout quand on apprend que Suez s'apprête, eu égard aux griefs énoncés par Mme Nellie Kroes, à céder son parc de production nucléaire en Belgique et son infrastructure gazière ! Ainsi donc, Gaz de France, fusionné avec Suez, serait privé, en raison de l'acceptation des conditions imposées par Bruxelles, des capacités mêmes de développement qu'il était en droit d'attendre de l'opération.
Vous prétendez, monsieur le ministre, que le droit communautaire empêche d'envisager une fusion entre EDF et GDF : compte tenu de la position dominante de la nouvelle entité, des contreparties considérables seraient demandées. Cependant, les contreparties exigées pour la fusion de Suez et de GDF ne sont pas moins importantes et remettent clairement en cause le processus enclenché.
Ce que l'on nous demande est quelque peu surréaliste. On invite le Parlement à légiférer dans la précipitation ; il a même été convoqué en session extraordinaire. Pourtant, nous ne savons pas, pour l'heure, quel sera le périmètre du nouveau groupe, et tout laisse penser que le potentiel de ce dernier n'excédera pas le « portefeuille » actuel de Gaz de France.
En outre, l'opération portant offre publique d'échange de titres entre Suez et Gaz de France n'est pas finalisée, au point d'ailleurs que l'on peut se demander si elle aura jamais lieu, l'évaluation des titres de Suez étant largement supérieure, soit dit en passant, à ce que risque de recouvrir le groupe une fois distingués les actifs cédés en réponse aux griefs européens.
Manifestement, des difficultés émergent s'agissant de la répartition des compétences entre les dirigeants de l'une et l'autre des parties prenantes à la fusion, la plupart des cadres issus de l'entreprise publique semblant devoir être mis sur la touche au gré du jeu de « chaises musicales » qui se déroulera par la suite.
De fait, il faut tout envisager. Un très sérieux cabinet de conseil considère, quant à lui, que les contreparties qui seraient, en cas de rapprochement entre EDF et GDF, exigées par les autorités communautaires ou nationales de la concurrence ne seraient pas si exorbitantes que l'indiquent les études commandées par le Gouvernement à un autre cabinet. En tout état de cause, ces contreparties seraient compatibles avec la viabilité économique de l'entreprise fusionnée.
Il faut donc examiner sérieusement la question, au lieu de jeter aux oubliettes soixante ans de travail en commun et de culture d'entreprise commune, en matière notamment de service public.
Pour contrer cette autre proposition fondée sur un véritable projet industriel et de service public, deux rapports à charge ont été réalisés. Ces deux rapports n'ont fait l'objet d'aucun débat public et n'ont pas été discutés au sein des conseils d'administration des entreprises. Ils n'ont même pas été communiqués aux représentants du personnel.
Quant au fameux rapport Roulet, son auteur brandit la menace de contreparties si exorbitantes qu'elles entraîneraient un démantèlement des deux entreprises publiques. Toutefois, cette version des choses est contestée.
Le débat n'est donc pas tranché. C'est pourquoi nous vous invitons, mes chers collègues, à adopter cet amendement, par lequel nous proposons que l'examen du présent projet de loi soit suspendu jusqu'à ce que les conclusions d'un rapport contradictoire sur la faisabilité d'une fusion d'EDF et de GDF soient rendues publiques.