Intervention de Christophe Bonnet

Commission d'enquête Réalité du détournement du crédit d'impôt recherche — Réunion du 4 mai 2015 à 16h00
Table ronde de syndicats de chercheurs

Christophe Bonnet, secrétaire fédéral du Syndicat Général de l'Éducation Nationale (SGEN - CFDT) :

En tant que syndicat de l'éducation nationale, nous ne nous estimons pas forcément compétents sur les questions fiscales. L'activité de R&D ne recouvre pas forcément l'activité de recherche du secteur de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Nous identifions deux mesures, au sein du dispositif du CIR, qui influent directement et immédiatement sur l'enseignement supérieur et la recherche : le recrutement des docteurs, d'une part, et la sous-traitance des opérations de recherche aux organismes publics de recherche et aux universités. Ce sont deux mesures qui ont en commun d'avoir été ajoutées à peu près en même temps au dispositif vers 1999. Elles ont eu le droit à un coup de pouce, en 2004 et 2006, par le doublement des dépenses correspondantes pour leur prise en compte au titre du CIR, soit un effort qui peut paraître considérable, car ce n'est pas tout le temps que l'administration fiscale propose au contribuable de compter pour le double de sa valeur une dépense déductible, mais qui est peut-être également à l'inverse le signe du peu d'effet que ces mesures produisaient initialement.

S'agissant de l'embauche des docteurs, le bonus de 200 % des rémunérations vaut pour les deux années suivant le premier recrutement. Cela peut sembler séduisant, d'autant que dans le choix de recruter un ingénieur ou un docteur, on entend généralement circuler l'idée selon laquelle un ingénieur serait plus immédiatement productif qu'un docteur, ce qui prête à débat. En tout cas, du point de vue des recruteurs, ce bonus offert par le CIR devrait compenser ce décalage. La Cour des comptes signale d'ailleurs que, compte tenu de la prise en compte du cumul des coûts de fonctionnement avec le coût salarial, avec un taux de CIR de 30 %, on peut constater des cas dans lesquels les dépenses de personnel sont couvertes à 120 % par le crédit d'impôt, ce qui paraît plus qu'intéressant pour l'entreprise qui recrute. L'avantage est encore plus sensible en outre-mer avec un taux supplémentaire d'avantage de 50 % depuis la nouvelle loi de finances.

Pour autant, l'impact de la mesure est faible. Dans sa lettre de mission à Patrick Fridenson sur l'emploi des docteurs, l'ancienne secrétaire d'État à l'enseignement supérieur et à la recherche le confirme. Peut-être parce que les PME restent relativement frileuses sur ce type de recrutement et que, pour les plus grands groupes, on est sur des taux marginaux beaucoup plus faibles, puisqu'au-delà de 100 millions d'euros on entre dans une tranche à 5 % de CIR et non plus à 30 %. Sous réserve des études en cours, il semble que l'impact du CIR sur le recrutement des docteurs soit assez faible, plus faible en tout cas que les bourses des conventions industrielles de formation par la recherche (CIFRE) ou d'autres types de mesures intervenant en amont.

Depuis 2008, la sous-traitance d'opérations de R&D à des entités publiques a été étendue aux universités. S'agissait-il, dans l'esprit du législateur, de compenser, pour les universités, un relatif gel de leur financement par l'État dans le cadre du passage aux responsabilités et compétences élargies (RCE), ce qui pourrait expliquer que le CIR ait quelque peu mauvaise presse dans notre milieu ? Le rapport de la Cour des comptes fait état, en 2012, d'environ 900 millions d'euros de dépenses sous-traitées à des organismes publics de recherche. Cependant, quand on consulte nos militants dans les organismes de recherche et dans les laboratoires, ils sont plutôt dubitatifs quant à l'existence de tels flux financiers. Cela peut-être dû à un phénomène d'optique, car les financements concernés transitent par des agences de financement, par l'Agence nationale de la recherche (ANR) ou encore par des sociétés d'accélération du transfert de technologies (SATT). Mais cela pourrait également s'expliquer par le fait que cet argent n'arrive pas forcément dans les équipes qui nous remontent ces informations. Il est à noter que le SGEN-CFDT ne syndique pas les personnels des établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC) de la recherche et il se peut que ce soit ce type d'établissements qui bénéficie le plus de ces contrats, je ne saurais vous le dire. En revanche, je pense souhaitable qu'il y ait de vraies études quantitatives et qualitatives sur la manière dont percole ce financement vers la recherche publique.

Il me semble que ce dispositif ne peut être efficace que dans les cas où l'activité imputable au CIR (missions de développement, d'expertise, de recherche confiées par une entreprise à un organisme de recherche public) coïncide pleinement avec les objectifs de recherche de l'équipe sollicitée. Dans le cas contraire, le fait que des chercheurs travaillent sur une mission de R&D pour le compte d'une entreprise constituerait plus un coût qu'un revenu pour l'organisme puisque le temps de travail de son chercheur ne serait pas occupé à la recherche à laquelle il était destiné. De plus, il y aurait un coût social si une telle mesure devait encourager l'emploi précaire dans l'enseignement supérieur et la recherche.

Dès lors qu'il a été conçu pour soutenir la recherche, il serait souhaitable que le CIR aide à faire de la recherche et non pas à faire semblant de faire de la recherche. Ce qui pose problème est l'apparente déconnexion qu'on a relevée déjà entre l'augmentation du coût du CIR et la faible augmentation, voire la stagnation des budgets de R&D dans les entreprises. Peut-être cela est-il dû à un certain nombre de détournements caractérisés, ou aussi à des comportements d'optimisation fiscale. Mais, en dehors de la triche pure et simple et de l'optimisation fiscale, il existe un autre type de comportement : l'adaptation d'une partie de l'appareil économique non pas aux besoins de recherche qu'ont les entreprises, mais aux critères du CIR. On peut rencontrer des situations où des petites adaptations de chaque acteur, qui essaie d'optimiser ci et là en affectant opportunément une partie du personnel à de la recherche, peuvent aboutir à des changements structurels de la manière dont le secteur de l'ingénierie et des services s'emploient à obtenir du CIR. C'est une hypothèse qui mériterait d'être examinée, sachant que chaque ajout au dispositif est à même de créer des adaptations de la part des acteurs. Je me demandais si on ne pourrait pas trouver une corrélation entre l'augmentation du coût du CIR et l'augmentation du nombre de caractères dans l'article 244 quater B du code général des impôts depuis sa création en 1983...

En tout cas, il convient d'évaluer, c'est la clé. Pas seulement au niveau des contrôles fiscaux (tout en gardant à l'esprit qu'en multipliant les justificatifs nécessaires, on ne fera qu'alimenter le travail des officines auxquelles s'adressent les petites entreprises qui ne disposent pas en interne de leurs propres services de conseil fiscal), mais aussi par une évaluation continue et efficace des effets réels de chaque changement intervenu dans l'architecture du CIR sur la réalité des pratiques de R&D. Il existe un comité de suivi des aides publiques aux entreprises et des engagements (COSAPEE), ancien comité de suivi du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), qui devrait pouvoir s'intéresser de manière précise au CIR compte tenu de son ampleur. Nous insistons pour que cette mission puisse être remplie avec tous les moyens nécessaires et que l'évaluation qui en résultera ait des conséquences réglementaires et législatives.

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