Intervention de Daniel Steinmetz

Commission d'enquête Réalité du détournement du crédit d'impôt recherche — Réunion du 4 mai 2015 à 16h00
Table ronde de syndicats de chercheurs

Daniel Steinmetz, secrétaire général du Syndicat des travailleurs de la recherche scientifique (SNTRS - CGT) :

La démocratie impliquant aussi des moments de polémique, vous me permettrez de dire en préalable que je ne partage pas du tout votre enthousiasme, Monsieur le Président, sur le crédit impôt recherche, et que je suis de ceux qui regrettent que le Président Hollande ait abandonné ses engagements d'une autre vision du CIR en le sacralisant quelques mois après son élection. Le CIR est examiné par les assemblées parlementaires au moment de l'examen du projet de loi de finances et il est intégré au budget de la MIRES. Il est légitime d'associer l'effort financier fait au titre du CIR aux difficultés que connaissent les établissements de recherche et les universités. Ces difficultés, vous ne l'ignorez pas, sont cruciales dans la période actuelle : nous perdons des emplois de manière significative (le CNRS a perdu 3000 emplois dans les dernières années, tant en postes de titulaires qu'en postes de contractuels d'État), des gels conséquents de postes sont effectués dans les universités... Les perspectives de carrière pour les étudiants et les 11 000 ou 12 000 doctorants qui passent leur thèse chaque année se ferment petit à petit. Notre situation est donc critique, et rend légitime un examen comparatif de l'efficacité financière d'une aide fiscale de l'État et d'un investissement direct de l'État. L'efficacité du CIR doit être appréciée dans un cadre global, qui tienne compte de la recherche publique - qu'elle soit fondamentale ou appliquée - et de la recherche privée.

Je ne suis pas naïf, je ne pense pas que la France puisse maintenir son rang sans une industrie de haut niveau et je sais, comme l'ont d'ailleurs montré plusieurs rapports, que la nécessaire remontée en gamme de l'industrie française nécessite un investissement fort, à la fois matériel et immatériel, dans la recherche et dans la qualification de la main-d'oeuvre. Notre pays a fait des choix contestables en privilégiant les exonérations fiscales et sociales pour les bas salaires. Dans le cadre du CICE, les salaires jusqu'à 2,5 fois le SMIC seront allégés partiellement de cotisations sociales : cela pose un certain nombre de problèmes, qui ne sont pas de nature à tirer la qualification de la main-d'oeuvre vers le haut, et la remontée en gamme de notre industrie.

Un aparté : madame Pécresse incluait le CIR dans la présentation qu'elle faisait à l'époque du budget de son ministère : elle mettait bien au même plan les crédits pour les universités et les organismes publics de recherche d'une part, le CIR d'autre part. Il me semble donc tout à fait légitime que votre commission examine les deux problématiques en même temps.

La montée en force du CIR dans la fin des années 2000 traduit le choix d'une réorientation de l'aide publique à la recherche industrielle. Tous les pays ont une aide à la recherche industrielle, qui peut prendre la forme de commandes : pendant longtemps, c'était la base du soutien public à l'industrie de l'armement en France, comme dans nombre d'autres pays. Peu à peu, la commande publique a été remplacée par des dispositifs fiscaux, qui permettent à toutes les entreprises de postuler et qui n'assurent pas forcément des capacités d'évaluation, de contrôle et de vérification aussi élevées. Le rapport de 2012 du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche indiquait que la France est la championne du monde au titre des aides à la recherche industrielle, mais elle est loin d'être la championne du monde en termes d'efficacité de cette même recherche : cette distorsion doit être analysée. Elle n'est pas récente : depuis cinq ou six ans, le CIR représente 0,35 % du PIB, largement au-dessus du Canada avec un crédit d'impôt recherche à peine à 0,3 % du PIB.

Je pense qu'il y a eu de nombreux cas d'optimisation fiscale réelle. Le CNRS et un certain nombre de grandes entreprises avaient depuis longtemps de très fortes collaborations, dont l'une avec Thalès. Avec la mise en place du nouveau CIR, Thalès récupère, à travers l'investissement dans ce laboratoire, 800 000 euros de crédit d'impôt. Il s'agit d'un effet d'opportunité fiscale. L'irruption de toutes les sociétés de service informatique me semble aussi mériter d'être regardée de près.

Autre exemple : une société informatique à Toulouse, sous-traitante d'Airbus, mène une activité en termes de remplissage de fiches emploi-temps, qui correspond exactement à ce qui est décrit dans certains témoignages de l'espace participatif de la commission d'enquête. La politique d'Airbus est d'ailleurs, à certains égards, très surprenante : dans les organismes publics de recherche, qui induisent un doublement du taux de CIR, il y a un certain nombre d'institutions issues du « Grand emprunt » - les instituts de recherche technologique (IRT), par exemple. Airbus, en février 2014, a annoncé la baisse de 25 % de son effort de recherche interne pour les « avions du futur », considérant qu'il fallait absolument remonter son taux de marge et améliorer la productivité de l'entreprise. Cela a entraîné des dizaines de suppressions d'emplois dans les sociétés de service informatique du bassin d'emploi de Midi-Pyrénées, mais également dans la région nantaise et ailleurs : elles ont licencié 10 à 15 % de leur personnel actif qui travaillait sur des contrats avec Airbus. Dans le même temps, Airbus pilote l'IRT de Toulouse, centré sur l'aéronautique et l'espace, qui a déjà bénéficié de 290 millions d'euros d'aides publiques au titre du programme d'investissements d'avenir (PIA) et qui maintenant remonte des actions de recherche avec un discours très clair : les ingénieurs peuvent voir leurs salaires déduits jusqu'à 60 % puisque l'institution est dite « publique ». La logique du dispositif est donc de permettre d'alléger la recherche en interne et de la faire basculer en externe avec une maximisation de l'optimisation fiscale. Cerise sur le gâteau : Airbus annonce en le rachat de 10 % de ses actions pour faire remonter le niveau des dividendes.

Pour la CGT, qu'elle soit du secteur de la recherche ou des activités industrielles, ce ne sont pas les aides de l'État aux entreprises qui sont mises en cause, c'est la non-capacité de l'État d'avoir un contrôle réel de l'efficacité de ces aides.

Je pense qu'il aurait été largement préférable d'avoir une réflexion de l'appareil d'État, du Gouvernement et des institutions parlementaires sur ce qu'aurait pu être par exemple le développement des 29 actions de reconquête industrielle présentées un moment par M. Montebourg, désormais réduites en nombre. Des objectifs précis auraient pu être dégagés, avec des dotations en capital pour les partenaires impliqués.

Concernant les PME, je travaille dans un laboratoire plongé dans les relations avec de petites entreprises. J'ai des collègues, sortis du labo depuis quelques années, qui ont réussi à se sortir de difficultés financières grâce au CIR. Nous ne sommes pas là pour critiquer l'ensemble du dispositif, mais pour comprendre comment l'argent public peut être utilement utilisé pour améliorer la qualification de la main-d'oeuvre d'une part, l'efficacité de l'investissement d'autre part. Il y a un vrai distinguo à faire entre les 23 groupes qui touchent 1,5 milliard d'euros de CIR en 2012, sur les 5 milliards d'euros ventilés à l'époque, et les autres. Sur ce 1,5 milliard d'euros, 660 millions d'euros ont été obtenus au titre de la « première tranche » (taux maximal de 30 % jusqu'à 100 millions d'euros), et près de 800 au titre de la « deuxième tranche » (taux de 5 % après 100 millions d'euros de dépenses de recherche). Un certain nombre de débats, y compris au Sénat, ont posé le problème de l'utilité de cette deuxième tranche. Pourquoi conserver ce taux réduit ? 800 millions d'euros correspondent à la possibilité d'augmenter du tiers les effectifs du CNRS, qui compte 2 milliards de masse salariale pour 30 000 emplois. Les chercheurs recrutés pourraient travailler sur une large gamme de sujets, des sciences sociales à la physique appliquée, avec peut-être une efficacité supérieure à celle d'autres organisations. Les grandes entreprises ne me semblent pas connaître actuellement de grandes difficultés, eu égard aux dividendes importants distribués.

Pour conclure, les milliards consacrés au CIR et qui peuvent encore augmenter - on ne sait pas très bien si le dispositif atteindra 6 milliards d'euros ou plutôt 7 ou 8 - méritent un contrôle poussé de l'État. On peut se poser la question, en distinguant la nature des entreprises en fonction de leur taille, d'un bénéfice conditionné du CIR, en fonction de leurs solidité financière, de leur accès au crédit... Représentant d'une organisation syndicale de la recherche publique, je pense qu'il est important de prendre en compte les difficultés que nous vivons actuellement au sein de nos organismes de recherche publics, dans le cadre d'une austérité budgétaire profonde.

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