Intervention de Christian Eckert

Commission d'enquête Réalité du détournement du crédit d'impôt recherche — Réunion du 7 mai 2015 à 13h55
Audition de M. Christian Eckert secrétaire d'état au budget auprès du ministre des finances et des comptes publics

Christian Eckert, secrétaire d'État :

Vous avez souhaité instituer une commission d'enquête portant sur le crédit d'impôt recherche (CIR). Même si ce sujet a fait l'objet de nombreuses études, il est tout à fait légitime que la représentation nationale s'intéresse de près à ce dispositif, qui représente beaucoup d'argent public, mais qui est aussi l'un des outils les plus puissants en matière de soutien à la recherche en France.

Vous avez adressé un questionnaire très détaillé à mes services ainsi qu'à ceux du Ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche. Les réponses encore en cours de traitement vous seront adressées très prochainement.

A titre liminaire, je me permets de vous indiquer que le secret fiscal m'interdit, en application de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 sur le fonctionnement des assemblées parlementaires, dans une audition publique, d'évoquer les situations fiscales particulières des entreprises. En revanche, votre rapporteure a sollicité des données à caractère nominatif, comme c'est son droit. Elles lui seront bien entendues transmises dans les formalités particulières qui permettent le respect du secret fiscal.

Le crédit d'impôt recherche est un objet ancien. Songez qu'un premier dispositif de soutien à la R&D des entreprises a été créé en 1983 par le Gouvernement de Pierre Mauroy.

Soutenir la recherche privée est une nécessité, tout autant que soutenir la recherche publique et il est absurde d'opposer les efforts entre eux, tant ils sont complémentaires. Notre pays excelle dans le domaine de la recherche fondamentale et ce, depuis très longtemps. En revanche, le monde a changé, il est devenu plus concurrentiel avec l'émergence de nouvelles grandes nations industrielles. Dans ce contexte, le progrès technologique et la capacité à innover, à se renouveler, sont devenus les facteurs clé de la création de valeur pour notre économie, en particulier si nous souhaitons toujours figurer parmi les pays les plus développés et offrir à notre population ce qu'elle est en droit d'attendre en matière de bien-être et de redistribution. L'innovation, c'est non seulement ce qui nous permet de rester dans la course, mais aussi de surmonter la concurrence par les coûts. Et cette innovation, qui se diffuse à toute l'économie, elle commence d'abord par de la recherche et elle se concrétise par son développement.

En matière de recherche, tout ne se décrète pas et les calculs de rentabilité imposent à la fois de prendre de l'avance et de voir sur le long terme. Rechercher c'est donc investir, mais c'est aussi prendre des risques ; par exemple le risque d'échouer. C'est pourquoi, sans soutien durable, les entreprises, et notamment les moins solides, ne produisent pas spontanément la quantité socialement et économiquement optimale de R&D. Il y a donc une imperfection du marché. L'objet du CIR est de la corriger.

La France a fait le choix d'un outil simple et puissant, dont le coût est certes important, mais désormais stabilisé.

L'agenda de Lisbonne en 2000 prévoyait que les dépenses de R&D devaient atteindre 3 % du produit intérieur brut (PIB), dont les deux tiers de recherche privée. Nous en étions loin et, vous le savez, dans les années 2000, la France a beaucoup perdu en matière de compétitivité, notamment dans le secteur industriel.

En pratique, le premier CIR, portait sur une augmentation des dépenses de R&D d'une année sur l'autre et non sur un volume. Il n'incitait donc pas les entreprises à accroître durablement leur effort. En effet, une fois la dépense accrue, l'entreprise ne bénéficiait plus du CIR même en maintenant un effort de R&D constant. Au contraire, elles étaient même encouragées à avoir une R&D fluctuante, ce qui était contre-productif. Le CIR était par ailleurs complexe.

Il a été plusieurs fois ajusté, mais le dispositif que nous connaissons désormais a été rendu plus simple et plus puissant. Il représente 30 % des dépenses de R&D engagées durant l'année par l'entreprise dans la limite de 100 millions d'euros. Au-delà de 100 millions d'euros, c'est un taux de 5 % qui s'applique. Il n'est plus plafonné.

Son coût a certes naturellement crû, mais nous avons maintenant atteint un régime de croisière avec une créance stabilisée aux alentours de 5,6 milliards d'euros pour plus de 20 000 déclarants (prévisions associées au programme de stabilité pour 2015). Dans les premières années suivant la réforme de la loi de finances pour 2008, le coût du CIR a pu être sous-estimé. Ces écarts de prévision jusqu'en 2013 étaient liés à sa montée en charge et aux remboursements anticipés des créances prévus lors du plan de relance. Depuis 2013, les prévisions sont plus précises.

En matière de R&D, la France est aujourd'hui dans la course internationale, quand bien même la concurrence s'est accrue.

Au sein de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), 26 des 34 États membres ont un dispositif fiscal spécifique d'encouragement à la recherche privée. Le coût du CIR représentait 0,26 % du PIB en 2011, loin devant le Canada qui était second. Entre 2007 et 2012, la R&D des entreprises est passée de 1,31 % à 1,45 % du PIB. C'est donc une hausse de 0,14 % du PIB. Et c'est la recherche privée qui a contribué à faire progresser l'effort total de R & D, l'effort public restant stable en proportion du PIB.

À partir de données de l'OCDE et du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, on constate que depuis 2007, la créance de CIR et la dépense intérieure de R&D des entreprises (DIRDE) ont cru simultanément, même si l'assiette du CIR ne correspond pas tout à fait à la dépense intérieure. Notamment parce que certaines dépenses sont prises en compte sur une base forfaitaire comme les dépenses de personnel et les dotations aux amortissements ou que l'assiette du CIR peut inclure des dépenses de R&D sous traitées à l'étranger.

En volume, la créance annuelle de CIR a augmenté de 800 millions d'euros entre 2008 et 2012. La dépense intérieure de R&D des entreprises a progressé de 4,2 milliards d'euros dans le même intervalle.

En matière de dépense de recherche, la France se positionne au 6e rang mondial et au 2e rang européen, devancée par des États comme l'Allemagne, le Japon ou la Corée qui ont une base industrielle plus large. Notre intensité en R&D progresse, non seulement en valeur absolue, mais aussi plus vite que la moyenne des États de l'Union européenne. Dans la durée, la part française de brevets déposés, rapportée à l'ensemble des pays de l'OCDE se maintient.

La force de ce dispositif réside dans son adaptation à la diversité des besoins des entreprises, petites ou grandes.

Il est d'abord rendu efficace par son champ d'application large, défini par la loi, puisqu'il tient compte de la diversité des dépenses qui contribuent à la R&D : investissements affectés à ces opérations au travers des dotations aux amortissements qui les concernent, mais aussi frais de fonctionnement, dépenses relatives à la protection de la propriété intellectuelle, dépenses de normalisation. Les dépenses de personnel, c'est-à-dire l'emploi, sont prises en compte et adaptées aux situations spécifiques. Celles liées à la première embauche sur un contrat à durée indéterminée (CDI) de titulaires d'un doctorat ou diplôme équivalent sont prises en compte pour le double de leur montant. Cela a sans doute contribué à ce que depuis 2007, l'embauche de jeunes docteurs soit multipliée par trois.

Parmi cette assiette de dépenses éligibles, la recherche publique n'est pas oubliée puisque les dépenses de sous-traitance auprès d'entités publiques sont retenues pour le double de leur montant. Cela permet une collaboration entre R&D privée et publique, conforme à la Stratégie de Lisbonne. Ainsi, en 2012, 3 000 entreprises ont déclaré un total de 449 millions d'euros de recherche contractuelle avec des institutions publiques de recherche.

Le crédit d'impôt tient également compte de la diversité des entreprises et de la diversité de leur organisation. Les entreprises peuvent recourir à la sous-traitance si les dépenses représentent moins des deux tiers des dépenses déclarées et sont inférieures à certains plafonds. Les petites et moyennes entreprises (PME) bénéficient par ailleurs du crédit d'impôt innovation pour les dépenses de conception de prototypes ou installations pilotes de nouveaux produits.

Les dernières données détaillées disponibles proviennent du ministère de la recherche. Elles ont été publiées en septembre dernier et portent sur l'année 2012 :

- 90 % des entreprises bénéficiaires du CIR sont des PME ;

- le montant de CIR perçu par ces entreprises est de 1,7 milliard d'euros en 2012 alors qu'il était de 600 millions d'euros en 2007 ;

- le CIR bénéficie majoritairement à l'industrie, à hauteur de 60 %.

En 2013, la créance de 5,5 milliards d'euros bénéficie aux grandes entreprises à hauteur de 2,4 milliards d'euros, aux entreprises de taille intermédiaire (ETI) à hauteur de 1,4 milliard d'euros et aux PME donc à hauteur de 1,7 milliard d'euros. Les PME bénéficient par ailleurs d'un remboursement anticipé de leur créance.

Cette adaptation à la diversité des besoins est importante et il serait je pense dangereux de la remettre en cause.

En matière de recherche, la force industrielle d'un pays repose sur sa capacité à constituer des filières d'excellence et d'avenir. Dans ce contexte, opposer les entreprises selon leur taille est un mauvais procès, et pour se maintenir dans la course internationale, le fait d'avoir de grands groupes, champions dans leur domaine, est un atout pour toute la filière en amont et notamment pour un grand nombre de PME. Au classement mondial des 100 grandes entreprises les plus innovantes, la France se situe au 3e rang, derrière les États-Unis et le Japon. Depuis plusieurs années, la France a pu à la fois consolider ses positions dans certains secteurs clé traditionnels (les transports, dont l'aéronautique et l'automobile, l'industrie pharmaceutique, la gestion environnementale) et développer ses avantages dans d'autres secteurs prometteurs (biotechnologies, nanotechnologies, numérique). Dans ces domaines, le poids de la France en termes de brevets déposés est supérieur à son poids dans le total des brevets mondiaux.

Enfin, le CIR est un dispositif encadré, conditionné et contrôlé.

En effet, la simplicité et la souplesse du CIR n'empêchent pas qu'il soit très fortement encadré et qu'il fasse l'objet de contrôles.

Cela se traduit par ses modalités d'application qui sont telles que le dispositif est à la fois exigeant et lisible. Il est exigeant dans la définition des dépenses de R&D concernées. Il s'appuie pour cela sur le manuel de Frascati, méthode type élaborée par l'OCDE. Ces dépenses répondent à une définition rigoureuse qui va au-delà de simples dépenses d'innovation qui n'engendreraient pas les mêmes externalités positives. En effet, les dépenses d'innovation trouvent plus facilement leur rentabilité, sans nécessairement profiter au reste de l'économie. Le CIR exige davantage. Cette exigence est justifiée dès lors que dans le même temps, le taux du crédit d'impôt, 30 %, est important.

Les entreprises peuvent avoir des interrogations légitimes sur l'éligibilité d'une dépense particulière. Une procédure spécifique de rescrit a donc été prévue, ce qui favorise la sécurité juridique et peut prévenir les erreurs. La publication en 2014 d'une documentation pédagogique contribue également à mieux prévenir le risque d'erreur. Enfin, cette année et pour les PME, nous allons étendre la portée du rescrit : il portera non seulement sur la validation du projet de recherche mais aussi sur le montant des dépenses engagées.

Pour s'assurer que la dépense remplit son objectif, l'administration procède par ailleurs à des contrôles fiscaux qui impliquent, et c'est une des spécificités du CIR, les services fiscaux et ceux du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche. Certains représentants d'entreprises font d'ailleurs remarquer que ces contrôles sont répétés et qu'ils peuvent parfois être mal vécus. Je pense pour ma part qu'ils sont nécessaires.

Ils portent principalement sur l'éligibilité des dépenses et sur l'adéquation des moyens exposés au regard du projet de recherche. En 2014, les montants rappelés au seul titre du CIR ont concernés environ 1 300 entreprises, soit 6,5 % des bénéficiaires pour plus de 200 millions d'euros (hors pénalités). De ce point de vue l'administration n'est pas moins vigilante, bien au contraire, puisque le nombre de rappels a doublé en trois ans. Il y a par ailleurs des contrôles qui ne se traduisent par aucun rappel.

La particularité des contrôles en matière de CIR, c'est qu'ils peuvent porter sur l'appréciation de la qualité d'un projet. Aussi, il est indispensable d'améliorer le dialogue sur ce point pour rendre le contrôle encore plus efficace. Comme je l'ai indiqué le 1er avril avec M. Michel Sapin lors d'une conférence de presse spécifique consacrée aux relations entre les entreprises et l'administration fiscale, nous proposerons très prochainement par la voie législative la création d'une instance spécifique de conciliation qui interviendra lors des contrôles CIR et permettra sur saisine de l'administration ou des contribuables que ces derniers puissent être entendus, notamment par un expert de la R&D.

Enfin, les contrôles ne révèlent pas une pratique de structuration des groupes dans le seul but d'optimiser le CIR qui justifierait de changer les règles actuelles

D'abord, les grandes entreprises réalisent les dépenses de recherche les plus importantes en volume, ce qui implique mécaniquement un CIR plus élevé. Il n'y a là rien d'anormal. Ces grandes entreprises déposent également un nombre très élevé de brevets.

Il existe des groupes déclarant plus de 100 millions d'euros de R&D avec une ou plusieurs filiales déclarant également plus de 100 millions d'euros de dépenses de R&D. S'agit-il d'un détournement dans le seul but de contourner le plafond de 100 millions d'euros pour bénéficier d'un taux de 30% sans limite d'assiette ?

À partir des données des déclarations CIR 2012, rien n'indique qu'une telle pratique est fréquente.

Si des montages étaient constatés, consistant à créer des filiales sans la moindre réalité économique, dans le seul but d'échapper au taux de 5 %, l'administration procéderait à des redressements, notamment par la voie de l'abus de droit.

Dès lors, une solution généralisée de plafonnement au niveau du groupe ne me paraît pas être une réponse face à un risque qui n'est pas constitué, quand nous sommes en capacité de sanctionner les éventuels abus.

Le risque serait surtout de pénaliser les groupes qui exercent des activités de recherche diversifiées et organisées par segments. C'est un choix légitime.

Surtout, les groupes français seraient pénalisés par rapport aux groupes étrangers, lesquels ne seraient concernés par aucun plafond pour leurs filiales établies en France.

Dans son rapport d'octobre 2009, le Conseil des prélèvements obligatoires relevait qu'à terme, la dépense fiscale représenterait 1 à 3 points d'impôt sur les sociétés (IS). Faudrait-il changer de méthode et réduire le taux nominal d'IS en supprimant le CIR ?

Là encore, je ne suis pas convaincu. L'intérêt du CIR est précisément, depuis toujours, d'être un allégement sélectif de l'IS tourné vers une dépense socialement utile. En d'autres termes il s'agit d'une forme de subvention, dont le bénéfice et l'emploi sont conditionnés à l'exigence d'une contrepartie et font l'objet d'un contrôle.

Le CIR actuel est un choix de politique publique, effectué en 2008, mais que le Président de la République n'a pas souhaité remettre en cause en 2012. Tout simplement parce que c'était une bonne mesure et qu'il nous est apparu indispensable de stabiliser le CIR afin de permettre aux entreprises d'avoir la visibilité nécessaire. La visibilité pour des projets qui s'inscrivent dans le court et le moyen terme et qui structurent leurs stratégies de développement. Cela reste aujourd'hui tout aussi indispensable, au moment où notre économie connaît enfin une reprise très attendue.

Je vous remercie et serais très heureux de répondre à vos éventuelles questions.

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