Intervention de Christian Eckert

Commission d'enquête Réalité du détournement du crédit d'impôt recherche — Réunion du 7 mai 2015 à 13h55
Audition de M. Christian Eckert secrétaire d'état au budget auprès du ministre des finances et des comptes publics

Christian Eckert, secrétaire d'État :

Dans la perspective de cette commission d'enquête, mon propos liminaire a été lu et relu et chaque mot a été pesé.

Je vais sortir un peu de mon texte pour vous livrer des impressions peut-être plus vagues mais qui me semblent fondamentales. Ce qui me frappe depuis que je travaille sur cette question, c'est la dualité entre certains qui se plaignent du trop large périmètre du CIR, des abus qui en découlent et de l'insuffisance des contrôles (j'accepte de l'entendre, je me suis moi-même souvent posé beaucoup de questions à cet égard), et d'autres qui ne cessent de m'interpeller sur la lourdeur des contrôles liés au CIR. Pour quelqu'un qui n'a pas d'a priori sur ce crédit d'impôt, il y a là un paradoxe extraordinaire.

Nous avons eu des débats très longs à l'Assemblée nationale, parfois même virulents avec la volonté de certains de remettre en cause l'architecture du dispositif notamment au travers de l'introduction d'un plafonnement. Dans le même temps, le nombre de courriers que je reçois, soit individuels soit rédigés par des organisations socio-professionnelles, qui regrettent le poids jugé excessif des contrôles liés au CIR, est important.

Je vous ai communiqué un certain nombre de chiffres : 6,5 % de redressements, c'est quand même beaucoup ! Il y a un contrôle approfondi, qu'il soit complexe, je vous l'accorde. On ne peut pas demander aux agents de l'administration fiscale d'être des spécialistes pour labelliser des projets qui s'inscrivent dans le champ du CIR. C'est pourquoi nous travaillons en liaison avec d'autres ministères comme le ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, mais aussi le ministère de l'économie qui dispose également de compétences sur ces sujets. Le dispositif nous apparaît équilibré, et nous le compléterons par la médiation qui sollicite des experts en la matière.

Il ne m'a pas échappé qu'il y a eu un reportage télévisé hier soir, d'autant que j'avais été sollicité pour y participer, invitation que j'ai déclinée. Je ne vous répondrai pas sur ce cas précis et sur des éléments qui sont couverts par le secret fiscal. Je fournirai, avec mon administration, des réponses au questionnaire de la rapporteure et à ses éventuelles questions complémentaires dans le sillage de cette affaire. Vous imaginez bien que je dispose de toutes les informations sur ce cas d'espèce et sur les autres cas qui ont souvent été soulevés. Parler d'actualité sur une affaire qui remonte, semble-t-il, à 2009, alors que nous sommes en 2015, on peut déjà s'interroger...

En outre, le sujet de l'organisation du plafonnement à 100 millions d'euros est récurrent, connu et débattu depuis des années au Parlement. Je rappelle la position intangible du Gouvernement que j'ai indiquée tout à l'heure : le Gouvernement ne souhaite pas que ce dispositif soit modifié. Tout le monde demande de la stabilité et de la lisibilité fiscales, de la prévisibilité pour les entreprises s'agissant d'opérations plutôt au moins de moyen terme.

Comme toujours en matière fiscale, on pourra trouver ici ou là tel ou tel cas qui peut poser question, parfois avec des volumes financiers significatifs, sur 20 000 entreprises concernées et 5,6 milliards de crédit d'impôt... Faut-il pour autant rajouter de la complexité à un dispositif qui se veut simple et lisible mais reste assez technique dans sa mise en oeuvre ? Vous l'avez dit, sa gestion peut être compliquée pour des très petites entreprises (TPE) et des PME et nécessite souvent le recours à des conseils fiscaux, j'y reviendrai.

Je ne connais aucun dispositif fiscal qui n'implique pas d'effet d'aubaine ou d'effet de bord. C'est du reste pour cette raison que nous avons collectivement, et j'y ai pris ma part, complexifié les dispositifs fiscaux. On nous reproche souvent de ne pas produire des lois simples. Pourquoi ? Tout simplement parce que la matière humaine et économique est diverse. Appliquer une loi simple et uniforme à des situations diverses peut provoquer autant d'injustice qu'il y a de situations particulières. C'est pourquoi le législateur, très souvent, prévoit des exceptions pour corriger ces effets d'aubaine. Il est vrai que le contribuable, qui n'a pas toujours la vision d'ensemble de la diversité des situations, peut s'en étonner. Tout le monde glose sur l'épaisseur du code général des impôts mais ce sont les mêmes qui vous interpellent sur les dispositions d'exception qu'il faudrait réserver à certaines situations. Le législateur est constamment confronté à cette interrogation entre la justice et la justesse, et entre la complexité et la simplicité. S'agissant du CIR, nous avons adopté le principe de la durabilité du dispositif, de son caractère sacralisé pour donner de l'attractivité et de la lisibilité. Pour autant, j'estime que les contrôles sont nécessaires. Certes, nous avons un dispositif très ouvert, très large, mais qui doit être très contrôlé.

Sur cette affaire d'organisation et d'optimisation que l'on pourrait être tenté de rechercher : vous savez que les textes disposent que sont considérés comme des abus de droit les montages qui ont été conçus dans un but exclusivement fiscal. Cet adverbe a fait l'objet de beaucoup de discussions et de propositions d'amendement, voire de quelques censures de la part du Conseil constitutionnel lorsque nous avons tenté de substituer à l'adverbe « exclusivement » d'autres adverbes tels que « essentiellement » ou « principalement ». Les députés avaient fait adopter, contre l'avis du Gouvernement ou parfois avec son opposition bienveillante, des modifications de cet adverbe qui ont été régulièrement censurées.

En ce qui concerne la fiscalité des produits des brevets, c'est une question qui se traite au niveau européen. C'est le souhait de M. Michel Sapin de parvenir très prochainement à un aboutissement, probablement au mois de juin. Un certain nombre de pays sont désormais à peu près d'accord pour traiter ces questions de « patent box » et de lieu d'exploitation de brevets dans des pays à fiscalité favorable. M. Michel Sapin en a parlé hier à l'Assemblée nationale, ces questions sont au coeur de travaux avec l'Organisation de la coopération et du développement économiques (OCDE) et nos partenaires européens.

Mme la rapporteure, vous avez évoqué la question des secteurs d'activité. Dans les réponses que nous vous transmettrons, vous disposerez de la répartition par secteurs d'activité. Bien sûr, sur les 5,5 ou 5,6 milliards d'euros de créance, sont principalement au bénéfice des industries manufacturières, à hauteur de 2,445 milliards d'euros. Les activités financières et d'assurance ont perçu, en 2013, moins de 300 millions d'euros de CIR, ce qui me paraît globalement plutôt faible, et ne figurent donc pas sur le podium des secteurs bénéficiaires du CIR, même pas, je pense, parmi les six ou sept premiers. Les activités spécialisées scientifiques et techniques ont représenté plus d'un milliard d'euros, les activités d'information et de communication, donc le secteur du numérique, autour de 800 millions d'euros, et le secteur automobile près de 500 millions d'euros.

En ce qui concerne les écarts entre prévision et réalisation, le projet de loi de finances pour 2014 a réévalué, en 2013, les créances de 2010 de 2,6 %, et le projet de loi de finances pour 2015 les a réévaluées, en 2014, de 9 %, c'est beaucoup. Pour les créances de 2011, on était sur le même chronique, avec des réévaluations de 4,4 % et 0 %, pour 2012, de 2,7 % et 1 %, et, pour 2013, de 1,2 % et 1 %. Les créances les plus récentes n'ont pas connu d'écarts significatifs entre les prévisions et les réalisations. La mise en oeuvre du plan de relance et l'anticipation des versements ont rendu ces écarts importants.

S'agissant du cumul CICE-CIR, on n'est généralement pas sur les mêmes types de revenus. Les salaires éligibles au CICE se situent entre 1 et 2,5 fois le salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC). Les salaires des chercheurs sont souvent supérieurs à cette fourchette, alors que les salaires des fonctions support s'y inscrivent. On peut imaginer des dispositifs pour éliminer ce double avantage, mais je ne suis pas sûr que cela porterait sur des sommes significatives. Cela rajouterait de la complexité, et le Gouvernement, à ce stade, ne le souhaite pas.

Pour l'embauche des jeunes docteurs, la créance peut certes couvrir 120 % de la charge salariale. Pourquoi pas ? Quand on examine la globalité des dépenses de R&D, elles restent financées à hauteur de 30 % par le CIR. Si un poste dépasse les 100 %... Si les embauches de jeunes docteurs ont augmenté, certains réclament d'aller encore plus loin, il s'agirait alors d'atteindre des taux encore plus significatifs. Je ne pense pas, encore une fois, que ce sujet mérite une modification substantielle.

Sur la contractualisation et les retours induits, il s'agit d'une question très vaste et subjective. Les entreprises vous diraient que le bénéfice pour le pays où l'activité se déroule ne se limite pas au seul impôt sur les sociétés, et les salaires produisent aussi d'autres revenus pour l'État, au travers de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), les cotisations sociales... Avoir une évaluation de ce retour sur avantage fiscal ne saurait se limiter au seul impôt sur le revenu des entreprises. La question de l'organisation de l'ensemble des types d'imposition est une question plus large qui recouvre l'impôt, son affectation et son assiette, comme en ce qui concerne le financement de la protection sociale.

Il existe effectivement beaucoup de cabinets de conseil dont on peut parfois s'interroger sur le professionnalisme, la précision et la fiabilité. Le législateur doit-il, pour autant, intervenir dans ce domaine ? Je vous en laisse méditer la portée. C'est difficile. Nous nous sommes posés la question de la sanction pénale applicable aux cabinets dont les conseils ont conduit à des abus de droit ou à des fraudes.

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