J'ai effectué l'essentiel de ma carrière à l'université de Versailles Saint-Quentin, où j'ai dirigé un laboratoire durant quelques années. Mes recherches portent depuis très longtemps sur les politiques technologiques et la place des grands programmes de défense stratégiques, ainsi que sur la mondialisation et les interactions croissantes qu'elles provoquent entre les activités productives et les activités financières.
Je n'ai pas mené d'études sur le CIR lui-même, mais celui-ci semble être victime d'un succès très controversé : s'il est loué pour la forte montée des dépenses et des créances qui bénéficient aux entreprises, il n'amène pas de résultats saillants depuis 2008.
Je me suis livré à quelques comparaisons entre l'augmentation des dépenses de recherche et développement de la France et celles de l'Union européenne : elles sont quasiment identiques, mais la statistique étant la science du mensonge, comme le disait un grand ministre conservateur britannique au XIXe siècle, on trouve quelques modifications selon l'année de départ. La progression des dépenses de recherche et développement, en France, n'est toutefois pas significativement différente de celle de l'Union européenne à vingt-huit.
Trois points, que je ne développerai pas, m'ont particulièrement intéressé. En premier lieu, pour expliquer cette contradiction entre l'effort considérable demandé à la collectivité et les résultats de la recherche et développement, qui sont plutôt décevants, il faut revenir aux relations existant entre recherche et développement et innovation. On ne peut résumer l'innovation à un produit dont la recherche et développement serait l'intrant, le facteur de production initial.
Le premier intermédiaire dans la relation entre recherche et développement et innovation des entreprises se situe dans la structure des dépenses de recherche et développement publics, privés, militaires, civils. Ce système de recherche et développement entre dans ce qui est plus généralement appelé par les économistes de l'innovation un système national d'innovation, qui fait appel à d'autres critères, comme la qualité des relations entre les grands groupes et le tissu de PME, ou la qualité du système de formation universitaire et de recherche.
J'ai lu avec attention l'avis sur le budget de la Mission recherche et enseignement supérieur (MIRES) : le CIR représente 40 % des dépenses de la MIRES. Vous retrouverez ces chiffres dans la présentation écrite que je ferai dans les jours qui viennent à ce sujet. La France est dans une position extrêmement médiocre du point de vue du système de recherche publique. Elle occupe le dix-huitième rang des pays de l'OCDE pour les dépenses d'éducation et le dix-neuvième rang pour les dépenses de recherche et développement publics par rapport au PIB - ou l'inverse. Pour certaines, ces positions se sont détériorées depuis 2008.
Pour des capacités innovatrices à long terme, un système universitaire de recherche et développement publics est essentiel. Un arbitrage est aujourd'hui indispensable, compte tenu de la contrainte des finances publiques, des sommes croissantes affectées au CIR et de celles qui sont affectées à la recherche publique.
Il existe en second lieu, entre recherche et développement et innovation, un tissu industriel très dense. C'est un constat bien établi que la France manque cruellement d'entreprises de taille intermédiaire (ETI) et de PME. Si le dispositif du CIR, en soi, a une utilité, son recentrage sur les PME et les ETI me paraît urgent.
Le second point de mon intervention portera sur la place des grands groupes industriels, pas simplement parce qu'ils sont l'objet d'une controverse s'agissant des financements du CIR, mais plus généralement parce qu'il s'agit d'une question qui m'occupe depuis plusieurs dizaines d'années. La concentration très forte d'un certain nombre de groupes et de leur proximité avec les marchés d'État est là aussi établie.
Je livrerai dans mon intervention écrite des chiffres tirés soit de la Cour des comptes, soit du ministère, soit de mes propres travaux, qui montrent que cette concentration, loin d'avoir diminué, malgré le passage d'un financement dit « vertical » et « direct » à un financement plus « horizontal » et « indirect », s'est amplifiée ces dernières années.
Deux statistiques à ce sujet : quatre-vingt-seize grandes entreprises réalisent 34 % des dépenses de recherche et développement. Dans un ouvrage de la Documentation française paru en novembre 2014 sur l'industrie française de défense, j'ai pu établir que sept grands groupes de défense parmi ces quatre-vingt-seize grandes entreprises réalisent 22 % des dépenses de recherche et développement totales en France. C'est dire la concentration qui existe autour de certains grands groupes spécialisés.
Enfin, s'agissant de la question de l'emploi, sur laquelle je n'ai pas travaillé, je reprendrai à mon compte un certain nombre des réserves ou des interrogations émises sur l'augmentation des effectifs, à propos des remarques sur la requalification d'un certain nombre d'emplois. À ce propos, les organisations syndicales des finances publiques, dans un rapport remis au Sénat, en avril 2015, ont attiré l'attention sur la difficulté des contrôles et les questions soulevées par l'optimisation fiscale. Il y a là matière à réflexion : tous les rapports internationaux soulignent en effet que l'optimisation fiscale des entreprises n'a pas cessé depuis 2007 - c'est un euphémisme - et qu'elle repose largement sur la circulation des intangibles, dont la recherche et développement fait partie.
Il ne s'agit pas de chercher à pointer les responsabilités, mais il est clair que, comme toute exonération fiscale, le CIR peut être sujet à un certain nombre d'optimisations fiscales, qui se sont considérablement développées non seulement à partir des entreprises américaines, mais aussi à partir des grands groupes français.