Intervention de Sarah Guillou

Commission d'enquête Réalité du détournement du crédit d'impôt recherche — Réunion du 11 mai 2015 à 14h05
Table ronde d'économistes

Sarah Guillou, économiste :

Je suis à l'intersection des travaux de Benoît Mulkay et de Claude Serfati, en ce sens que je n'ai pas procédé à une évaluation du CIR. Je connais en revanche très bien la comptabilité de la recherche et développement, ayant beaucoup travaillé sur ces bases de données.

J'ai également beaucoup travaillé sur les politiques industriels. Le coeur de la politique industrielle se situe souvent dans la politique d'innovation et de recherche et développement, qui prend le pas sur toute forme de politique industrielle.

L'évaluation est bien évidemment un objet fondamental qu'il faut poursuivre. Je comprends fort bien votre préoccupation, la réforme de 2008 ayant beaucoup modifié la place du CIR dans le dispositif de soutien à la recherche et développement en France. Ce changement a soulevé beaucoup de questions sur l'opportunité de cette dépense publique et fiscale.

Il est impératif de poursuivre l'évaluation et de faciliter la tâche des chercheurs dans ce domaine, où l'on manque de recul. Cette réforme a été mise en place en 2008, à un moment tendu sur le plan économique. C'est aussi une période critique pour les statistiques du fait des réformes de l'Insee relatives à la comptabilité de l'entreprise et aux nomenclatures. Face à ces difficultés d'évaluation, il nous faut encore quelques années pour accéder aux données pour évaluer l'impact de la réforme.

Un assez large consensus se dégage sur l'effet positif de l'additionalité, un euro de CIR étant investi par l'entreprise en recherche et développement. C'est ce qu'on appelle l'effet d'addition, qui peut légitimer la politique du CIR, dans la mesure où l'on fait l'hypothèse que le rendement social de la recherche et développement dépasse le rendement privé : ce que cela rapporte à la communauté est supérieur à ce que cela rapporte à l'entreprise. Il est en effet très difficile d'estimer ce rendement social. On pense que la recherche et développement crée des externalités positives qui profitent à l'ensemble de la société. C'est parce que le rendement social dépasse le rendement privé que tout euro dépensé en recherche et développement participe à l'accroissement du bien-être social.

C'est toute l'hypothèse sur laquelle repose la politique de soutien à la recherche et développement. Cette hypothèse forte pourrait être débattue : chacun croit au progrès technique, au moins à long terme. Si l'on croit également au rendement social, la politique du CIR peut apparaître légitime pour produire un effet d'addition.

Elle pourrait également conduire à ce que les entreprises dépensent plus que ce qu'on leur donne. Les estimations ne vont toutefois guère en ce sens. Quelques-unes montrent un effet de levier en fonction des catégories d'entreprises. Par ailleurs, certaines démontrent qu'il pourrait exister un effet d'éviction, la dépense pouvant être plus faible que le financement par le CIR. La question se pose alors fallait-il accorder le CIR aux entreprises ?

Il ne faut pas forcément répondre par la négative : même si elles dépensent moins que ce qu'elles ont reçu, peut-être auraient-elles dépensé encore moins si elles n'avaient rien reçu. On ne peut répondre à cette question. L'évaluation est donc difficile.

On sait que le montant consacré par l'industrie pharmaceutique aux dépenses de recherche diminue, alors que ce secteur bénéficie d'une part importante de la dépense fiscale que représente le CIR. On ne peut pour autant en conclure que cette industrie dilapide l'argent public, parce qu'elle aurait encore moins dépensé sans CIR.

Il faut donc poursuivre l'évaluation, rendre l'accès aux données plus aisées pour les chercheurs, car il n'est pas toujours facile de procéder à ces évaluations en toute neutralité scientifique, mais il convient de demeurer prudent quant aux conclusions de ces études, compte tenu du manque de recul et de la difficulté à savoir ce qui se serait passé en l'absence du CIR.

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