Le plus simple serait sans doute que je vous présente le petit travail que nous avons mené et qui a donné lieu à un rapport qui sortira à nouveau cet été dans une version actualisée. Nous sommes actuellement, au niveau syndical, dans une phase de consultation de nos adhérents situés dans les directions spécialisées du contrôle fiscal et nous participons, avec l'administration, à plusieurs groupes de travail portant sur le contrôle fiscal - ce qui n'est pas dénué de lien avec le crédit impôt recherche.
Nous suivons plusieurs dispositions fiscales, dont le CIR, qui nous alerte à plusieurs titres. Le premier point sur lequel il faut peut-être s'interroger concerne tout d'abord l'opportunité d'une mesure dérogatoire pour un objectif certes louable et légitime. Je dirais également quelques mots sur l'assiette du dispositif lui-même. C'est, enfin, le contrôle qui est véritablement au centre de nos préoccupations. Nous aurons aussi quelques propositions à vous faire. Le CIR relève à la fois de la politique fiscale et de la politique de recherche : ma compétence est limitée au premier de ces deux champs.
Concernant le caractère dérogatoire du dispositif, le constat est désormais solidement établi que les politiques fiscales depuis un certain nombre d'année ont souvent été marquées par une grande complexité et une grande instabilité du fait de mesures fiscales dérogatoires, qui sont nombreuses et coûteuses. Le crédit d'impôt recherche n'échappe pas à la règle : il a connu un certain nombre d'évolutions, source de questionnements pour les entreprises mais aussi pour les agents des finances publiques.
La dernière grande réforme du CIR, en 2008, visait à simplifier le dispositif mais a permis selon nous, une explosion du coût du CIR qui nous semble aujourd'hui un instrument difficilement contrôlable et qui appelle un certain nombre d'interrogations. Le coût budgétaire du CIR pose question dans le contexte budgétaire actuel.
S'agissant de l'assiette du CIR, nous avons dit à plusieurs reprises qu'elle est permissive : légalement - peut-être pas légitimement, c'est bien sur ce point que le débat porte - elle comprend un grand nombre de dépenses, notamment les dépenses de personnel. Cela permet de « gonfler » artificiellement le montant du crédit d'impôt, qui avoisine les 6 milliards d'euros par an. L'interrogation sur l'assiette, nous la comprenons surtout à travers notre expérience du contrôle.
Les instruments juridiques que sont le rescrit fiscal et le contrôle à la demande présentés comme éléments de sécurisation pour les bénéficiaires du CIR sont quasiment inexistants. La procédure du rescrit est complexe, parfois peu connue, notamment de certaines PME. Les entreprises s'interrogent sur les suites du rescrit, particulièrement en termes de contrôle. Pourtant, le rescrit engage aussi l'administration et ne devrait pas déboucher, s'il est bien mené, sur un contrôle en aval. Nous nous interrogeons donc sur la faible utilisation de ces instruments de sécurisation juridique. Le bilan que nous faisons, très rapidement, c'est que beaucoup d'entreprises, par ignorance, crainte ou intérêt, ne souhaitent pas utiliser ces dispositifs : nos inquiétudes portent surtout sur les entreprises dont ce n'est pas dans l'intérêt...
L'analyse que nous faisons du contrôle fiscal du CIR vient du terrain, c'est-à-dire que ce sont des vérificateurs qui contrôlent le CIR, ou qui traitent les réclamations contentieuses, qui font remonter des données. Contrairement à ce qui est parfois soutenu, le taux de couverture du crédit impôt recherche est assez faible : la part de redressements en matière de CIR dans le contrôle fiscal total est d'environ 7 %. Toutes les entreprises qui bénéficient du CIR ne sont pas contrôlées, loin de là. Le contrôle nous semble donc insuffisant quantitativement mais surtout qualitativement.
Le contrôle du CIR est d'abord caractérisé par une très grande complexité : la mise en oeuvre d'un contrôle global fait intervenir la direction générale des finances publiques et les services du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche (MESR). Aujourd'hui, à la fois faute de moyens et d'une courroie de transmission efficace, peut-être aussi faute d'une orientation claire, la coordination entre les différents services fonctionne mal.
Nous n'avons ainsi pas les moyens d'assurer un contrôle fiscal efficace. Par exemple, les demandes d'expertise qui émanent des directions de contrôle fiscal d'Île-de-France (DIRCOFI) ne sont étudiées que si le montant de crédit d'impôt recherche en cause est significatif, c'est-à-dire supérieur à 150 000 euros. Ce qui veut dire que pour un montant inférieur, il n'y a pas de recours à l'expertise : notre travail se borne alors à effectuer un certain nombre de calculs formels sans pouvoir analyser le projet même qui donne lieu à l'attribution du CIR.
Lorsque l'expertise est mise en oeuvre, l'immense majorité des cas débouche sur une validation. Les contacts que nous pouvons avoir avec des agents dans des délégations inter-régionales du ministère de la recherche montrent qu'eux-mêmes sont parfois un peu frustrés du temps qu'ils passent à l'expertise, dans l'entreprise : ce temps est limité, ils ne se déplacent pas toujours ou alors pas longtemps, faute de moyens, et se retrouvent confrontés à une équipe qui représente l'entreprise et qui soutient haut et fort que le projet correspond bien aux critères du CIR.
Des dépenses peuvent être artificiellement rattachées à l'assiette du CIR : des dépenses de personnel de soutien, par exemple, liées à des salariés abusivement qualifiés de chercheurs, des dépenses d'organisation de séminaires qui ne portent pas directement sur des problématiques de recherche... L'assiette, déjà très large, est ainsi parfois contournée.
Comme vous le savez, le taux du CIR alloué diminue fortement au-delà d'un plafond de 100 millions d'euros de dépenses de recherche. Tout à fait légalement, les groupes fiscalement intégrés peuvent optimiser le CIR pour faire remonter au niveau du groupe une créance sur l'État particulièrement importante. La nature de certains projets pose parfois question : des remontées récentes de la DVNI nous ont fait état de dépenses de recherche, prises en compte dans le CIR, des institutions bancaires et financières pour développer le trading à haute fréquence - s'agit-il de recherche ?
L'assiette du CIR est tellement large qu'elle en devient difficilement contrôlable, d'autant plus qu'elle fait intervenir deux ministères. Nous nous trouvons souvent désarmés face à des projets qu'en tant qu'agents des finances publiques, nous n'avons pas les moyens de qualifier, et sur lesquels le MESR lui-même se trouve parfois démuni du fait de leur particulière complexité.
Le cumul du CIR et du CICE pose aussi question, ainsi que l'optimisation de la propriété intellectuelle qui consiste à loger des brevets dans des filiales et à déduire de l'assiette de l'impôt sur les sociétés les redevances payées à ces filiales, après avoir bénéficié du CIR. Existe toute une chaîne d'optimisation, qui donne parfois lieu à une chaîne de fraude.
Du point de vue des propositions qui peuvent être formulées, se pose selon nous la question du recentrage, du « reciblage » du dispositif. Tout d'abord, devrait être étoffée l'information sur le CIR, notamment sur les contrôles et les redressements fiscaux opérés ces dernières années, depuis la réforme de 2008. Un suivi détaillé qualitatif du CIR est, à nos yeux, indispensable en termes d'information du Parlement - et permettrait peut-être de dégager quelques pistes d'amélioration.
Il y a sans doute, du côté de la mécanique fiscale, un dispositif à instaurer pour éviter qu'une entreprise qui a bénéficié du CIR puisse déduire de l'assiette de l'IS les redevances liées à une cession de brevet : c'est une double peine pour les finances publiques.
Le contrôle doit par ailleurs être renforcé, ce qui passe à la fois par une meilleure détection dans nos services et par une meilleure coordination avec le MESR. La question du plafonnement au niveau du groupe reste posée : tous les travaux portant sur le sujet ont montré que le CIR constitue l'un des dispositifs les plus attractifs du monde, ce qui signifie qu'il est particulièrement coûteux. L'assiette mériterait peut-être d'être redéfinie, notamment par rapport au taux de 200 % pour les doctorants.
S'il doit y avoir mesure dérogatoire, celle-ci doit être mieux contrôlée et mieux gérée - les contacts que nous avons pu avoir avec d'autres organisations syndicales et des experts, montrent que tout le monde partage ce souci. On ne peut pas se permettre de perdre six milliards d'euros de recette fiscale sans savoir quel est le retour pour l'économie et la recherche.