Intervention de Marko Erman

Commission d'enquête Réalité du détournement du crédit d'impôt recherche — Réunion du 2 avril 2015 à 13h45
Audition de M. Marko Erman directeur technique en charge de la recherche et de l'innovation du groupe thales

Marko Erman, directeur technique en charge de la recherche et de l'innovation du groupe Thales :

Merci Monsieur le Président. Thalès est en effet un acteur important dans cinq marchés verticaux : défense, sécurité, aéronautique, spatial et transport terrestre. Sur ces différents segments, il possède en France 21 sociétés qui intègrent la recherche et développement (R&D), la fabrication et les forces commerciales. Notre domaine d'action est, de façon globale, un domaine technologique à très haute valeur ajoutée, dit de « systèmes critiques », impliquant des contrôles de sécurité et de sûreté de fonctionnement. Notre offre, très diverse, offre est constituée d'équipements, de composants, de systèmes, de sous-systèmes, de services et de projets clefs en mains. Nous sommes dans un marché de petites séries, voire de réalisations uniques, qui font chacune l'objet de R&D spécifiques, au-delà d'un socle commun. Notre offre ne s'adresse pas à des particuliers.

Notre effort de R&D est extrêmement important. 39 % de nos effectifs mondiaux travaillent dans ce domaine. La France joue un rôle prépondérant dans notre organisation, qui s'étend sur 55 pays. Le marché national représente 25 % du chiffre d'affaires du groupe environ, un chiffre en diminution depuis plusieurs années. La France représente environ la moitié de notre chiffre d'affaires en production. 60 % de nos effectifs de R&D sont situés sur le territoire français, et 75 % en recherche et technologie (R&T). 85 % de nos brevets sont obtenus et déposés en France.

Nous définissons la R&D de façon assez large : les activités scientifiques, le développement technologique, la levée de risques de ces technologies, les démonstrateurs de faisabilité, le développement expérimental et le développement proprement dit - validation, qualification et intégration des développements. À l'intérieur de cet ensemble, un pôle R&T comprend les sciences, les technologies et la levée de risques. Les démonstrateurs de faisabilité et le développement expérimental font partie de la branche « développement », de la même façon que le développement classique. Le CIR comprend la totalité de la R&T, et uniquement la partie « développement expérimental » et « démonstrateur » de la partie « développement ».

Les effectifs de R&D mondiaux s'élèvent à 24 000 personnes, dont 3 000 environ dans la branche R&T. Les effectifs de la R&D en France sont de l'ordre de 14 000 personnes, stables depuis 2008 ; c'est en leur sein que se trouvent les salariés chercheurs couverts par le CIR. Un flux interne, allant de la R&D vers d'autres métiers, nous oblige à embaucher assez massivement tous les ans : plus de 1 000 personnes par an dans la R&D ces cinq dernières années, et ce de façon croissante pour atteindre 1 500 personnes en 2014. 60 % sont embauchées en France, à l'image de la proportion de chercheurs français à l'intérieur du groupe.

Les avantages de la France pour la R&D sont divers : qualité de formation de nos ingénieurs et doctorants, compétitivité du coût du chercheur du fait du CIR, effets vertueux liés à la taille critique des équipes, modalités nouvelles de soutien à la R&D, notamment via les pôles de compétitivité et le programme des investissements d'avenir (PIA), ainsi que l'attention portée par la direction générale des armées (DGA) à la recherche.

Le CIR a permis à Thalès, outre de maintenir la compétitivité des chercheurs à un niveau intéressant, d'augmenter la coopération avec les laboratoires publics - le financement de ces derniers a été multiplié par cinq, depuis l'instauration du doublement du crédit d'impôt en cas de sous-traitance à un organisme de recherche public -, à travers des collaborations, voire la mise en place de laboratoires communs. Ce crédit d'impôt a également permis le maintien du potentiel de R&D du groupe en France, en dépit de la concurrence internationale.

Le CIR doit vivre au même rythme - long - que la recherche, et donc être stable et pérenne. Il l'est, de fait, depuis 2008, mais doit être perçu comme tel, ce qui n'est forcément le cas du fait de sa remise en cause chaque année lors de l'examen du projet de loi de finances, qui attise les craintes des acteurs.

Je souhaite vous sensibiliser à l'impact des activités amont sur les emplois, sur le secteur et dans l'environnement spécifiques à notre groupe. On estime qu'un emploi R&T induit quatre emplois en développement, qui induisent à leur tour deux emplois en production. La moitié de la valeur que nous produisons est achetée chez des sous-traitants et partenaires ; pour la seule partie France, les achats sont de 2,2 milliards d'euros, dont 35 % sont effectués auprès de 3 200 petites et moyennes entreprises (PME) et 35 % auprès de 800 entreprises de taille intermédiaire (ETI), ce qui est très élevé. Si l'on considère que les emplois créés dans le groupe sont équivalents en nombre à ceux créés à l'extérieur, alors, pour les six nouveaux auxquels se référait mon exemple, quatre sont créés dans des PME et des ETI.

À l'international, la France est concurrencée par de nombreux pays. Occidentaux, tout d'abord : États-Unis, pays de l'Union européenne et Japon. Ils ont tous mis la R&D au coeur de leurs priorités, à travers notamment des politiques d'aide s'inspirant souvent de la France, et en développant des dispositifs similaires au CIR. Une étude européenne très récente montre que sur 33 pays membres analysés par la Commission, 21 ont un système d'incitation fiscale. Et certains pays qui n'en avaient pas, comme la Grande-Bretagne ou l'Espagne, sont en train de s'y rallier. Le dispositif français demeure attractif en termes de taux. Certains de ces pays occidentaux ont depuis longtemps développé des universités importantes, reconnues dans les classements mondiaux, habituées à travailler avec l'industrie et favorisant l'entrepreneuriat. Ils sont en avance sur la France de ce point de vue, même si nous comblons notre retard depuis quelques années.

Les pays émergents, de leur côté, bénéficient d'une croissance supérieure aux pays occidentaux. Ils entendent rattraper leur retard et transforment leur industrie manufacturière de masse à bas coûts en une industrie à valeur ajoutée plus élevée. Cela les incite à investir résolument dans la formation et dans la recherche, aidés en cela par une démographie favorable. Ces pays ont aussi une stratégie scientifique couplée à une stratégie industrielle fortes, soutenues au niveau étatique, comme le montre le développement des écrans plats en Corée du Sud.

Pour conclure, le CIR est pour nous un outil de compétitivité essentiel. L'évolution mondiale nous pousse à soutenir ce dispositif, voire à le développer le cas échéant.

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