Intervention de François Métivier

Commission d'enquête Réalité du détournement du crédit d'impôt recherche — Réunion du 19 mars 2015 à 9h45
Audition de Mm. Laurent Gouzènes président du comité financement et développement de l'innovation et patrick schmitt directeur recherche innovation et nouvelles technologies du medef

François Métivier, professeur à l'Institut de physique du globe de Paris :

Vous mettez le doigt sur un problème intéressant. Lorsqu'on lit les rapports du Sénat ou de l'Assemblée nationale, on constate qu'on postule l'efficacité du CIR et que ce postulat repose sur un très faible nombre d'études économiques. La justification apportée par l'État, quant à l'efficacité supposée du CIR, dans les années 2008 (année de la réforme du CIR) ou juste après, repose sur deux grandes études. Il s'agit notamment d'une étude macroéconomique de Cahu (et al.), commandée au départ par le ministère des finances puis publiée dans la revue d'économie de Sciences Po. L'autre grande étude est le rapport de MM. Mulkay et Mairesse. Ce sont les deux fondements de la soi-disant efficacité du CIR. Celle-ci est appréciée très différemment dans ces deux études. Dans le cas de l'étude de Cahu et al., l'efficacité du CIR est postulée. L'étude postule qu'il existe au minimum un effet d'additivité. Elle aboutit à un calcul positif, avec un effet d'entraînement de 2.

Sur la diapositive de la page 3, nous avons repris les hypothèses de Cahu et al. Nous les avons appliquées pour vérifier si, oui ou non, il y avait un effet d'additivité et d'entraînement. Nous concluons qu'il n'y a pas d'entraînement et encore moins d'additivité : il y a éviction, ce qui nous conduit à penser que toutes les conclusions de l'étude sont probablement fausses.

Nous ne remettons pas en cause la qualité des études ni des modèles. Ceux-ci reposent cependant sur des hypothèses et il eût été utile que ces hypothèses soient vérifiées.

Messieurs Mulkay et Mairesse ont réalisé une étude microéconomique à partir de la base GECIR, à laquelle ils ont eu accès, couplée à l'enquête « moyens R&D » des entreprises, à laquelle ils ont également eu accès. Sur ces bases, ils ont pu créer un jeu de données pour quelques milliers d'entreprises. Il s'agit là encore d'une étude de modélisation, qui dépend fortement des hypothèses formulées au départ. Vous savez aussi qu'il existe en économie différentes écoles de pensée qui ne sont pas du tout d'accord sur les hypothèses fondatrices. En l'espèce, l'hypothèse fondatrice retenue table sur une maximisation de la valeur de marché des entreprises, ce qui revient à dire que les entreprises sont neutres au risque. A partir de là, ils développent un modèle mathématique fort intéressant, composé d'une quinzaine de coefficients empiriques ajustés sur des données, avec des marges d'erreur qui sont parfois plus grandes que l'estimation elle-même. À partir de ce modèle, ils président une croissance de la DirDe qui devrait être associée à un effet de levier de 1,3 en 2012. Nous avons testé cette prédiction, qui s'avère totalement erronée. Nous ne constatons aucun effet d'entraînement à l'échelle des entreprises en 2012.

Je fais de la modélisation en mathématiques et en physique. Lorsqu'on travaille en géophysique ou en sciences de la terre, les équations fondamentales sont acceptées par tous : il s'agit des « équations de conservation » de la masse, de la quantité de mouvement, de l'énergie. Ici, nous avons affaire à des équations fondamentales qui ne sont pas acceptées par tous car elles reposent sur des hypothèses a priori non démontrées. Par ailleurs, en sciences, on balaie l'espace des paramètres. Lorsqu'on fait varier des paramètres associés à de fortes incertitudes, on vérifie que les prédictions du modèle sont les mêmes. Je ne serais pas étonné qu'il existe des valeurs pertinentes du modèle de Messieurs Mulkay et Mairesse, qui aboutissent à cela. Mais ce travail n'a pas été fait. Peut-être de nombreux chercheurs ne s'intéressent-ils plus au CIR, ce qui est peut-être à rapprocher du manque d'efficacité au regard de ce qui était imaginé.

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