Je m'exprimerai en tant qu'ancien chef de la mission de l'IGF qui, avec Alexis Masse, sous la supervision de Florence Lustman, a réalisé en 2010 une évaluation du CIR, et non comme sous-directeur de la gestion fiscale des entreprises à la DGFiP.
Nous avions cherché à évaluer l'efficacité économique du dispositif issu de la réforme de 2008, en nous appuyant sur les études économétriques, et nous nous étions moins intéressés à la fraude et aux détournements éventuels. Notre mission avait conclu que le CIR était un dispositif efficace. L'IGF, d'ailleurs, a partagé notre conclusion et lui a attribué dans son rapport sur les niches fiscales la meilleure note en termes d'efficacité. Nous avions estimé qu'un euro de dépensé au titre du CIR suscitait une dépense de Recherche et Développement supplémentaire de un euro. Le mécanisme ne provoque donc pas d'effet d'aubaine. Des études économétriques ultérieures du ministère de la recherche en 2011 et 2014 ont confirmé ce résultat. D'autres études ont en outre estimé que l'effet de levier à long terme était encore supérieur, avec un effet multiplicatif. Notre mission a porté une appréciation positive sur la réforme de 2008, qui a assis le CIR sur le volume global de la dépense de R&D et non sur son évolution. Elle a simplifié son usage par les entreprises ainsi que sa lisibilité et a accru son caractère incitatif en facilitant son appropriation par les responsables opérationnels qui l'intègrent plus aisément dans le calcul de leurs budgets. En 2010, notre recul était certes limité, mais nous avions constaté une hausse des dépenses de R&D plus rapide que celle du PIB en dépit de la désindustrialisation. L'intensité de la R&D dans le PIB a atteint son niveau record en 2012. Une étude de janvier 2014 a confirmé depuis ces résultats.
Nous préconisions de veiller à la stabilité du dispositif. En cas de mesures d'économies budgétaires, nous indiquions qu'il était préférable de prendre des mesures horizontales, plutôt que de cibler les grandes entreprises. Rien n'indique que celles-ci sont moins sensibles au CIR. Les études postérieures menées en France n'ont pas prouvé non plus que les PME soient plus réactives au CIR, l'étude de Mulkay et Mairesse en 2011 aboutissant même plutôt à la conclusion inverse. Toutefois le nombre de grandes entreprises étant peu nombreuses, l'échantillon est de taille limitée et il est difficile de parvenir à une conclusion certaine. Nous nous étions prononcés également contre l'exclusion de certains secteurs, comme le secteur financier par exemple, de l'éligibilité au CIR. Rien n'indique que ces secteurs ne font pas de R&D ; de plus cela poserait des problèmes au regard du droit communautaire, sans parler des principes constitutionnels. Pour lutter contre la fraude nous proposions la suppression des taux majorés pour les nouveaux entrants et un lissage des seuils. En ce sens il pourrait être intéressant de supprimer le plafond tout en abaissant le taux du CIR. Nous nous étions également penchés sur les risques de fraude liés à la sous-traitance, la même dépense pouvant être déclarée à la fois par le donneur d'ordre et le sous-traitant. Nos discussions avaient été animées. Comme il s'agit d'une dépense fiscale à caractère incitatif, nous avions estimé qu'il fallait privilégier le donneur d'ordres, mais nous nous étions prononcés de manière conservatrice pour ne pas exclure les dépenses de R&D réalisées par les sous-traitants ; il est possible toutefois que les fraudes soient plus nombreuses dans cette configuration.
Enfin nous invitions le ministère de la recherche à augmenter le nombre d'experts scientifiques, à mieux les former et à promouvoir le dialogue direct avec les entreprises. Des progrès ont été accomplis : une convention a été signée, le nombre d'experts a augmenté, même si leur hausse n'est pas à la hauteur de l'augmentation du nombre d'entreprises bénéficiaires du CIR. Il existe toujours une pénurie d'experts scientifiques, ce qui confronte Bercy à un dilemme : soit ne pas vérifier, soit, ce qui est pire, s'aventurer sur le terrain scientifique.