Intervention de Maxime Gauthier

Commission d'enquête Réalité du détournement du crédit d'impôt recherche — Réunion du 12 mars 2015 à 13h50
Audition de Mme Maxime Gauthier directrice des vérifications nationales et internationales à la direction générale des finances publiques

Maxime Gauthier, directrice des vérifications nationales et internationales à la direction générale des finances publiques :

La direction des vérifications nationales et internationales a une compétence nationale : nous pouvons contrôler toutes les entreprises de France. Nous nous concentrons toutefois sur les plus grosses et leurs filiales, puisque nous ne nous intéressons qu'aux entreprises dont le chiffre d'affaires dépasse 152, 4 millions d'euros - 76, 2 millions d'euros dans les services - et dont l'actif brut est supérieur à 400 millions d'euros, ainsi qu'à leurs filiales à plus de 50 %. Cela représente un portefeuille de quelque 78 000 entreprises de toutes tailles.

Notre direction est organisée en 25 brigades de vérification fiscale comptant chacune, sous l'autorité du chef de brigade, huit à dix vérificateurs. Les brigades se spécialisent par secteurs socio-professionnels - électronique, automobile, grande distribution... - car un secteur présente souvent des caractéristiques fiscales propres. Nous avons aussi dix brigades de vérification et de contrôle informatiques, composées d'informaticiens.

Une grande partie de notre travail est consacrée au CIR, surtout depuis que la loi de finances pour 2008 a transformé son mode de calcul. Cette réforme a eu pour conséquence un fort accroissement du nombre de bénéficiaires et du coût de ce dispositif. En 2010, il concernait 2 500 entreprises pour un total de 2, 3 milliards d'euros ; en 2013, il en touchait 3 800, pour un montant global de 3,6 milliards d'euros. Il s'agit, en trois ans, d'une augmentation de 56 %.

Nous réalisons environ 1 200 contrôles par an. Comme notre portefeuille comprend environ 78 000 entreprises, cela impose des choix. Nous établissons donc chaque année un programme autour d'enjeux spécifiques. Si notre présence auprès des plus grosses entités est quasi constante, encore faut-il définir des axes de contrôle. En ce qui concerne les plus petites entreprises, nous identifions nos cibles au quatrième trimestre, en nous appuyant sur la connaissance qu'ont nos brigades de leur tissu fiscal et, depuis 2011, sur la cellule d'analyse des risques que nous avons créée pour nous aider à opérer cette sélection. Il s'agit de procéder à du data mining dans nos fichiers informatiques et parmi les déclarations des entreprises : grâce à un système de cotations, nous déterminons des zones à risque. Contrairement à une légende, le fait de réclamer un CIR n'expose pas automatiquement une entreprise à un contrôle ! La preuve : 3 800 entreprises ont sollicité un CIR l'an dernier, et nous n'avons effectué que 1 200 contrôles. Bien sûr, nous sommes vigilants car le CIR représente un enjeu financier important, mais nous ne contrôlons pas que le CIR.

Nous identifions parmi les déclarations des entreprises les requêtes qui présentent un caractère d'étrangeté : premières demandes, demandes intermittentes - la recherche, en principe, est un travail de longue haleine -, demandes issues de secteurs traditionnellement pauvres en recherche et développement, comme la pêche, la restauration, le voyage, le sport... Nous examinons de près aussi les projets informatiques, qui relèvent moins souvent de la recherche que les entreprises voudraient le faire croire ! Nous recherchons enfin la présence de subventions publiques, ou le recours à une main d'oeuvre extérieure. Tous ces indicateurs ne sont pas forcément révélateurs d'une fraude mais ils constituent autant de signaux qui attirent notre attention.

Le nombre de rappels a triplé en cinq ans : alors qu'en 2010, 70 entreprises, soit 5 % des entreprises contrôlées, s'en étaient vu imposer un, en 2014 ce chiffre est monté à 200, soit 17 % du total. Du reste, un rappel ne remet pas tout en cause. Il arrive qu'une même entreprise présente une ou deux centaines de demandes distinctes de CIR. Si une demande est refusée, les autres restent valables. Les montants rappelés sont passés de 36 millions d'euros en 2010 à 95 millions d'euros en 2014. Cela reste marginal : chaque année, le total des droits rappelés s'établit entre 3 et 3,5 milliards d'euros, et le montant total des CIR octroyés est compris entre 2 et 3 milliards d'euros. L'État ne reprend donc pas d'une main ce qu'il octroie de l'autre. Mais, comme le CIR est un dispositif très généreux, la vigilance est nécessaire.

Les rappels portent, en proportion à peu près égale, sur l'éligibilité du projet ou sur des dépenses qui y sont rattachées à tort. Nous ne constatons pas de fraude caractérisée sur le CIR, tout au plus des erreurs, une interprétation trop généreuse des règles ou encore un manque de documentation sur le projet. Nous n'avons pas détecté de volonté déterminée de détourner les sommes en question.

La difficulté, pour nous, n'est pas de réaliser les contrôles comptables, fiscaux ou juridiques, pour lesquels nos vérificateurs sont bien formés, mais bien d'évaluer la pertinence scientifique des projets de recherche. Dans le domaine informatique, les fonctionnaires de nos dix brigades sont formés depuis 2012 par le MESR aux méthodes d'investigation développées par ce ministère : nous disposons donc de 35 vérificateurs capables de conduire eux-mêmes une évaluation. Ils procèdent à une soixantaine d'expertises chaque année. Pour les autres sujets, nous travaillons avec des experts du MESR et nous avons accru les recours à leurs expertises dont le nombre est passé de 28 en 2012 à 56 en 2014. Ces experts ne sont pas si nombreux, et nous aimerions que leur nombre s'accroisse encore, car leur tâche est lourde : une expertise peut prendre plusieurs mois. Pour améliorer notre collaboration, nous avons développé une relation structurelle avec le MESR, et notamment avec sa direction générale de la recherche et de l'innovation, avec laquelle nous avons signé un protocole. De notre côté, le correspondant unique est M. Boizart, ici présent. Deux fois par an, nous nous réunissons pour faire le point et préparer les actions futures. Cette fluidification de nos relations avec le MESR a eu des effets très bénéfiques : les experts comprennent mieux nos contraintes juridiques et notre collaboration, sur des dossiers parfois pointus, s'est considérablement développée et améliorée.

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